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Idées - Point de vue

Trois propositions pour consolider les acquis de la révolution

Photo d’illustration : des manifestants déguisés en personnages de la série « Casa de Papel » à Saïda le 19 octobre 2019. Ali Hashisho/Reuters

Depuis plus d’un mois, la vague rouge, blanc, vert qui a inondé les places et les rues a donné un air de fête à de sinistres endroits qui dégageaient hier encore les senteurs d’un passé douloureux et d’un futur incertain.

Nul doute que la plus belle des images que l’on puisse garder de cette fête de l’espoir, celui de la renaissance d’un peuple et de la consécration d’une nation, est le brassage incroyable à la fois d’idées, de styles, de philosophies, de communautés et de classes sociales. Une agora où « le tout » et « le personne » font bon ménage, faisant fi des différences et chantant à l’unisson. Et c’est exactement là que réside le principal acquis de cette révolution. Un nouveau brassage et un contrat social qui s’écrit par et pour le citoyen libanais.


Peur de lendemains moins chantants
Cependant, alors que pointent à l’horizon la misère, les mines déconfites par le poids des échéances et des SOS étouffés dans des balises en détresse, la peur de lendemains moins chantants et de réveils très douloureux se fait aussi de plus en plus prégnante. J’ai d’ailleurs été assailli par les appels et relances d’amis et de connaissances, résidents ou expatriés, se disant prêts à aider immédiatement et par tous les moyens. Mais comment peut-on matérialiser ces élans sincères et les traduire en action en l’absence d’un État partenaire qui en établirait les bases et consacrerait les normes ? Comment procéder à une redistribution des aides proposées des personnes économiquement les plus avantagées vers les moins avantagées ?

Pour pouvoir comprendre et proposer, il importe de réfléchir un instant sur le concept de redistribution et sur ses motivations. En effet, la situation économique et financière ayant stimulé le mouvement de contestation devrait sans nul doute aboutir, dans une logique implacable, à la faillite du système bancal encore en place et au dépôt de bilan. J’avais d’ailleurs prévenu il y a plus d’un an dans ces colonnes que le Liban se dirigeait inexorablement vers le statut peu envié des États « fragiles » marqués par une échelle de vulnérabilité dont la faillite serait le degré ultime. Aujourd’hui nous y sommes et bien que rien n’ait été fait pour s’en prémunir, il importe de mettre en avant des solutions urgentes afin d’anticiper les problèmes de pauvreté galopante (qui passerait à 50 % de la population selon la Banque mondiale), de chômage endémique (plus de 25 %) et d’iniquité grave. Sinon la fête aura un goût de défaite et les amants se sépareront pour retrouver leurs anciennes allégeances et s’entre-déchirer à nouveau. Trois priorités sont donc à mettre en avant.


Protéger les petits déposants
La première, citoyenne, consisterait à établir, sur les places de la révolution et dans l’attente de la résurgence d’un véritable État, une plateforme numérique d’échanges permettant aux personnes démunies ou en manque d’assistance (scolarités, traitement médical, emploi, etc.) de solliciter une aide (don ou prêt) qui serait assurée via cette même plateforme par une ou plusieurs personnes touchées par le profil et désirant aider. L’offre et la demande seraient ainsi gérées par un organisme à but non lucratif assisté par des professionnels rémunérés et sous le contrôle d’un audit qualifié publiant ses rapports et comptes en toute transparence sur ladite plateforme. Une législation d’appoint et une fiscalité adaptée devraient néanmoins être mises en place pour assurer à ce système d’entraide la pleine réussite.

La deuxième priorité est en rapport avec la restructuration plus que probable de la dette publique libanaise par le biais de ce qui est communément appelé le « hair cut » – une décote sur la dette souveraine qui se répercutera ensuite sur les déposants et titulaires d’actions normales ou privilégiées des banques. Il faudrait à ce titre et par souci de justice que le montant de la décote ne soit pas définitivement perdu et que le fardeau des pertes soit équitablement réparti. Or beaucoup de déposants résidant (au Liban) ont réussi ces derniers temps à transférer leurs fonds et actifs financiers pour les mettre à l’abri à l’étranger. Il est donc important que ce « hair cut » soit proportionnel et progressif au-delà d’un certain plafond de dépôts (en évitant les petits déposants). Cela passe ensuite par la récupération des montants volés ou perçus indûment durant trois décennies par le fait de la corruption et du trafic d’influences politiques. Cela passe enfin par des mesures fiscales d’appoint tendant à établir des taxes affectées permettant d’individualiser les ressources en faveur de certaines politiques et d’assurer une meilleure acceptation des prélèvements correspondants. Elles iront alimenter, avec celles de l’argent volé récupéré, un fonds souverain dont l’objectif serait d’investir dans l’économie locale productive et d’assurer le financement de mesures tendant à lutter contre l’exclusion et la pauvreté (soins de santé généralisés, assurance contre le chômage involontaire, retraite, etc.). Ce fonds sera aussi une garantie pour la récupération a posteriori de la ponction effectuée au titre de la restructuration de la dette.

La troisième priorité enfin, qui découle de la deuxième, tend à protéger les petits déposants de toute faillite ou insolvabilité éventuelle des établissements bancaires et consiste à hausser la garantie des dépôts du minimum actuel de 5 millions de livres libanaises à 150 millions.

En somme, il faudrait consolider les acquis de la révolution et afficher des objectifs clairs afin que les conséquences des politiques hasardeuses et du surendettement excessif ne retombent pas sur ceux qui ne le méritent pas et que ce ne soit pas la société libanaise dans toutes ses composantes qui en paie en définitive le prix fort et son nouveau pacte national qui en fasse les frais. Le philosophe chinois Sun Tzu ne disait-il pas que « le meilleur moyen de ne pas atteindre ses objectifs est de ne pas en avoir » ?

Par Karim DAHER
Avocat, enseignant en droit fiscal à l’USJ et président de l’Association libanaise pour les droits et l’information des contribuables (Aldic).



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commentaires (2)

L'appel de M. Daher à organiser dans une structure les aides disparates aux personnes et familles les pkus fragiles économiquement doit être entend TRÈS rapidement. Nous sommes nombreux en effet à donner par-ci par-là sans avoir le moindre contrôle sur l'utilisation des fonds donnés et, surtout, sans coordination par le biais d'un organisme transparent et national. Mais j'en appelle aussi aux grandes fortunes libanaises dont on n'entend pas du tout les représentants s'exprimer alors que le pays tombe en ruine et que des salariés sont licenciés par centaines. Quand Notre-Dame de Paris a brûlé, les représentants de l'élite économique française se sont mobilisés comme un seul homme pour participer au financement de sa reconstruction. Où sont donc passés tous ces Libanais qui emplissaient les rubriques mondaines lors de soirées de "levées de fonds" pour telle ou telle cause médiatisée? Ce pays qui a fait leur fortune ne pourra pas se relever sans eux, en l'absence d'un État digne de ce nom. Les représentants de ces diffèrentes classes économiques d'entrepreneurs, commerçants, industriels doivent sortir du bois et agir vite, ne serait-ce que dans leur propre intérêt, pour assurer des lendemains prospères à leurs affaires.

Marionet

12 h 12, le 07 décembre 2019

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Commentaires (2)

  • L'appel de M. Daher à organiser dans une structure les aides disparates aux personnes et familles les pkus fragiles économiquement doit être entend TRÈS rapidement. Nous sommes nombreux en effet à donner par-ci par-là sans avoir le moindre contrôle sur l'utilisation des fonds donnés et, surtout, sans coordination par le biais d'un organisme transparent et national. Mais j'en appelle aussi aux grandes fortunes libanaises dont on n'entend pas du tout les représentants s'exprimer alors que le pays tombe en ruine et que des salariés sont licenciés par centaines. Quand Notre-Dame de Paris a brûlé, les représentants de l'élite économique française se sont mobilisés comme un seul homme pour participer au financement de sa reconstruction. Où sont donc passés tous ces Libanais qui emplissaient les rubriques mondaines lors de soirées de "levées de fonds" pour telle ou telle cause médiatisée? Ce pays qui a fait leur fortune ne pourra pas se relever sans eux, en l'absence d'un État digne de ce nom. Les représentants de ces diffèrentes classes économiques d'entrepreneurs, commerçants, industriels doivent sortir du bois et agir vite, ne serait-ce que dans leur propre intérêt, pour assurer des lendemains prospères à leurs affaires.

    Marionet

    12 h 12, le 07 décembre 2019

  • Pardon Maître de vous contredire. Un haircut généralisé serait malhonnête, car "la sueur de fronts" des libanais ne doit pas être spolier par ceux-là même qui ont ruiné les finances du pays. Si comme vous écrivez que les banques n'appliquent pas un traitement égalitaire à l'ensemble de ses créanciers (clients créditeurs) elles mériteraient de passer immédiatement sous contrôle de la BDL. Irving Picard a réussi à récupérer presque l'ensemble des milliards perdus par Madoff. Il serait nécessaire qu'il vienne au Liban sur mandat du FMI pour récupérer les dizaines et dizaines de milliards payés en trop en intérêts depuis 10 ans, et si possible, sur des périodes beaucoup plus lointaines. Quand les intérêts du dollar étaient à 1% en Europe les banques libanaises en payaient 4 - 5 et 6%. Totalement malhonnête, car infini c'est le sang du Liban que les banques ont offert à leurs clients.

    Shou fi

    23 h 10, le 06 décembre 2019

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