Quelle lecture donnent les différentes forces politiques de la décision du président Michel Aoun d’engager lundi les consultations parlementaires contraignantes pour la nomination d’un nouveau chef du gouvernement, alors qu’il aurait très bien pu les convoquer pour aujourd’hui, s’il est vrai qu’une unanimité s’est formée autour de la candidature de l’homme d’affaires Samir Khatib à la succession de Saad Hariri.
D’aucuns pensent que si le chef de l’État a différé la date des consultations, c’est pour donner la chance à des négociations supplémentaires devant déboucher sur la nomination de M. Hariri, mais sous les conditions du Courant patriotique libre et du tandem Amal-Hezbollah, qui veulent un gouvernement techno-politique alors que le chef du courant du Futur reste attaché à une équipe ministérielle composée exclusivement de spécialistes.
Dans les milieux de Baabda, on explique que l’initiative présidentielle s’est imposée à partir du moment où les contacts pour la désignation d’un nouveau chef du gouvernement ont sensiblement avancé. Le président qui, depuis la démission du gouvernement, était soucieux de ne pas commettre de faux pas, toujours selon les mêmes milieux, s’est alors empressé de fixer la date des consultations parlementaires afin de ne pas être accusé d’atermoiements et pour que le Premier ministre désigné assume lui-même la responsabilité de la mise en place de la nouvelle équipe. Il a voulu ainsi jeter la balle dans le camp du successeur de Saad Hariri, d’autant qu’il a fait l’objet d’une attaque virulente, mercredi, des trois anciens chefs de gouvernement Fouad Siniora, Tammam Salam et Nagib Mikati qui l’avaient accusé de ne pas respecter les textes constitutionnels. Il appartiendra donc au nouveau Premier ministre de former son équipe, mais le chef de l’État aura quand même son mot à dire à ce niveau, puisqu’il peut en rejeter ou accepter la mouture, selon les mêmes milieux.
(Lire aussi : Le sort des consultations parlementaires tributaire de Hariri... et de la rue, le décryptage de Scarlett HADDAD)
De sources loyalistes, on complète ce raisonnement en précisant que la période de cinq jours est nécessaire pour la poursuite de contacts devant permettre d’aplanir quelques obstacles qui persistent et de prendre en même temps le pouls de la rue, avant que le Liban ne soit doté d’un nouveau Premier ministre, d’autant que l’organisation des consultations parlementaires dans les délais les plus brefs était l’une des revendications de celle-ci. Parallèlement, ce délai est tout aussi important, ajoute-t-on de mêmes sources, pour sonder les positions des différents blocs et forces politiques et plus particulièrement pour voir la réaction de la rue sunnite face à la désignation de Samir Khatib ou de tout candidat sunnite autre que Saad Hariri.
La rue, elle, prend soin de ne pas réagir hâtivement. Elle a déjà exprimé son opposition à la façon dont le processus de désignation d’un nouveau Premier ministre est mené, en dehors des cadres constitutionnels contraignants. La décision de fixer les consultations à lundi, en laissant entendre qu’il y a eu également un accord sur la composition de la nouvelle équipe, au sein de laquelle la rue sera représentée par trois ministres, est perçue par les protestataires comme une manœuvre destinée à les faire réagir violemment pour pouvoir leur porter un coup et les diviser. Le pouvoir pourrait dans ce cas faire assumer à la rue la responsabilité de l’échec de la formation d’un nouveau gouvernement et lui reprocher de cibler le régime, en l’accusant, comme certains de ses représentants ne se gênent pas de le faire actuellement, d’être manipulée par les forces du 14 Mars et, à travers celles-ci, par des forces arabes et occidentales. La rue stigmatise un procédé identique à celui qui a de tout temps régi le processus de formation des gouvernements et qui repose strictement sur le partage des parts au mépris des compétences et des besoins du pays et de la population. Elle fait remarquer que ses revendications sont bien connues de tous. Il s’agit de la formation d’un gouvernement de spécialistes indépendants, de la mise en place d’un tribunal spécial pour juger les responsables accusés de corruption et récupérer les fonds publics détournés, de l’élaboration d’une nouvelle loi électorale et de l’organisation de législatives dans un délai ne dépassant pas les six mois. Les protestataires considèrent que les dirigeants ne sont pas conscients du changement intervenu depuis le 17 octobre ou même du poids de la rue, devenue une force politique transcommunautaire et transrégionale.
Quant à l’opposition, elle exprime la même méfiance et accuse le pouvoir de chercher à l’acculer au pied du mur en lui imposant un candidat à la tête d’un gouvernement dont la nature et la couleur ont été décidées à l’avance, en plus de la répartition des portefeuilles entre ses composantes. C’est cette procédure peu constitutionnelle, indique-t-on dans ces milieux, qui a irrité la rue, notamment sunnite au nom de laquelle les trois anciens Premiers ministres s’étaient exprimés dans leur virulent communiqué mercredi. L’opposition n’exclut pas des rebondissements d’ici à lundi, notamment au niveau de la rue qui peut recourir à l’escalade pour rejeter les gouvernements « préfabriqués » et réclamer la mise en place d’un cabinet de spécialistes. Des appels à des manifestations de protestation samedi commencent d’ailleurs à circuler sur les réseaux sociaux.
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commentaires (12)
Bonne analyse. Cependant, une lecture différente est possible aussi; le jour où les responsables politiques et monétaires ont décidé de ne pas imposer "le contrôle de change", ni de légiférer, en laissant aux banques les mains libres pour déborder sans crainte du cadre légal, une décision stratégique semble avoir été prise: Statu quo et attentisme et pas d'urgence pour former un nouveau gouvernement. L'Etat profond partout dans le monde a tendance à craindre les nouveautés. D'ailleurs ils ne semblent pas avoir le choix, s'ils cachent beaucoup de choses inavouables. Je pense que le Président Hariri sera le prochain PM.
Shou fi
22 h 44, le 06 décembre 2019