Les intérêts respectifs des Iraniens, des Irakiens et des Libanais se rejoindraient-ils à la faveur de la crise économique et des aspirations nationales ? Alors que la dénonciation de la mainmise de Téhéran sur la vie politique irakienne cadence les manifestations dans le sud du pays depuis début octobre, le prix de cet expansionnisme perse est décrié jusque dans les rues d’Iran, où la crise économique étrangle la population dont une partie s’interroge sur le bien-fondé d’une politique étrangère aux coûts significatifs.
« En période de difficulté économique, les Iraniens pensent que le régime devrait utiliser leur peu de ressources localement plutôt qu’à l’étranger », avance Ali Alfoneh, spécialiste de l’Iran et chercheur auprès de l'Arab Gulf States Institute basé à Washington. Les soulèvements qui touchent l’Iran, l’Irak et le Liban mettent l’accent sur la justice sociale et la nécessité de redonner la priorité aux enjeux nationaux plutôt qu’à la politique régionale et internationale. Dans un même élan, leurs aspirations patriotiques se répondent. Dans un même élan également, le régime iranien et ses alliés en Irak, et dans une moindre mesure au Liban, tentent de les étouffer. Le message est clair : ils ne lâcheront pas de lest.
Au pays du Cèdre, alors que la question des armes du Hezbollah n’est pas posée dans le débat public et ne constitue pas l’enjeu principal des manifestations, le parti de Dieu a fermement balayé l’idée d’un cabinet exclusivement formé de technocrates, craignant par là d’être écarté du pouvoir et de voir son contrôle sur la vie politique libanaise considérablement diminué. Dans la même veine, en Irak, où l’emprise iranienne est bien plus forte et ne connaît aucun rival, les alliés de la République islamique ont fait pression sur le Premier ministre Adel Abdel-Mahdi pour l’empêcher de démissionner par peur d’un nouveau gouvernement sur lequel leur mainmise serait moindre.
À Beyrouth comme à Bagdad, l’Iran et ses alliés se battent pour le maintien du statu quo. Leur rhétorique est d’autant plus défensive qu’elle s’appuie sur la croyance forcenée en une conspiration internationale ourdie par les ennemis de Téhéran. Le complot est ainsi sur toutes les lèvres, à demi-mot ou très franchement. On le trouve d’abord chez le guide suprême iranien, l’ayatollah Ali Khamenei, qui a accusé les États-Unis et l’Arabie saoudite de fomenter l’instabilité au Liban et en Irak, ajoutant que l’Iran était au fait de ce genre de situation puisqu’il avait eu à déjouer des interférences étrangères similaires chez lui.
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Même rengaine au Liban où, de manière plus tacite, le Hezbollah avait fustigé par la voix de son secrétaire général Hassan Nasrallah, le 25 octobre dernier, un détournement des revendications sociales originelles du soulèvement pour des objectifs politiques visant à la démission du gouvernement. « Les données en notre possession, et non les analyses, montrent que le Liban est entré dans une phase où il est ciblé au niveau international et régional et je crains pour le pays. […] Regardez ce qui se passe ailleurs, en Irak par exemple », avait-il déclaré.
En Irak, selon des hauts responsables cités par l’AFP sous couvert d’anonymat, les alliés pro-Iran du Premier ministre Adel Abdel-Mahdi auraient assuré à ce dernier que sa démission causerait le chaos. « Il est enfermé dans une bulle, on lui dit que les manifestations sont un complot contre son gouvernement et qu’il faut absolument qu’il reste au pouvoir », assure l’une des personnes interrogées.
Dans ce contexte où Téhéran et ses alliés font front commun, la République islamique voit d’un très mauvais œil les soulèvements irakien et libanais. Et vice-versa. « Le Hezbollah craint les manifestations actuelles en Iran et les perçoit comme celles qui ont lieu en Irak et au Liban, c’est-à-dire comme un complot mené par les États-Unis pour saper Téhéran et son influence régionale », explique Mohanad Hage Ali, spécialiste du Hezbollah et chercheur au Carnegie Middle East Center. « Le parti considère toute critique de l’influence iranienne comme étant inorganique aux sociétés chiites, comme un implant étranger qu’il faut réprimer. Pour la formation, le soft power que constituent les complots est plus dangereux que les conflits directs et les attaques militaires », ajoute-t-il.
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Réveils nationaux
Téhéran est contesté partout, mais semble faire la sourde oreille. Ses objectifs régionaux semblent rester les mêmes. Alors qu’il est fragilisé sur la scène interne, est-il susceptible de durcir sa position dans la région ? Autrement dit, le fait que le régime iranien se sente aujourd’hui victime d’une grande conspiration risque-t-il de l’amener à resserrer l’étau sur les populations qui vivent dans ses zones d’influence ? « Au vu des enjeux, le régime aurait plutôt tendance à encourager ses supplétifs à avoir recours à plus de violence pour réprimer les manifestations en Irak et au Liban et ainsi décourager les Iraniens de les imiter », estime M. Hage Ali. « Les manifestations en Iran pourraient limiter la capacité du régime à intervenir en soutien à ses alliés en Irak et en Liban », nuance pour sa part Ali Alfoneh.
Les destins de Téhéran, Bagdad et Beyrouth semblent clairement liés. Téhéran est confronté à un défi de taille, celui des réveils nationaux, y compris en son sein. « Les manifestations au Liban et en Irak pourraient avoir un impact en incitant les Iraniens à protester contre le régime dans les rues, en dépit des risques que cela comporte », dit M. Hage Ali.
Le projet révolutionnaire iranien, qui avait pour objectif d’exporter son modèle par-delà ses frontières, est mis à rude épreuve. « On n’a quand même pas fait une révolution pour nous occuper du prix des pastèques ! » se serait exclamé l’ayatollah Khomeyni lorsqu’il a dû s’atteler à ses premiers dossiers économiques. Force est de constater pourtant que c’est bien le « coût des pastèques » qui fait peser aujourd’hui une menace sur l’emprise iranienne dans la région.
Pour mémoire
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Ce que les Ayo!-t'est-là(?) et leurs followers n'arrivent pas à comprendre est que le progrès est impatient est n'attend pas les idéologies sclérosées pour le rattraper. Le monde évolue et l'Iran et ses adorateurs crépissent sous des slogans ridicules. La Chine, sur laquelle ils comptent, est arrivée là où elle est et là où Ils l'envient, car elle s'est montrée ouverte à la technologie et les investissements des sociétés étrangères de tout horizons. Alors que l'Iran et ses idolâtres s'évertuent à créer le slogan le plus puissant! Hani'an lakoum le meilleur slogan de la marche arrière!
17 h 12, le 21 novembre 2019