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Moyen Orient et Monde - Analyse

L’axe chiite dans la tourmente

Le guide suprême iranien, Ali Khamenei, s’exprimait hier sur les manifestations à Téhéran. Photo AFP/HO

Yehya est un Libanais d’une cinquantaine d’années, originaire du Liban-Sud. Nostalgique du nassérisme, il considère que le combat contre Israël est primordial et voit la main des Américains derrière la plupart des grands événements qui secouent la région. Depuis le 17 octobre dernier, il soutient pourtant activement la révolte libanaise. Il se laisse également aller à des prédictions régionales, comme de nombreux autres manifestants. « Tu verras, après Beyrouth et Bagdad, ce sera le tour de Téhéran », nous confiait-il il y a de cela deux semaines. « Les gens de la région ont faim et ne supportent plus de vivre sous le joug de régimes corrompus », ajoutait-il. Force est de constater que Yehia avait raison : les mêmes causes produisent les mêmes effets.

À l’instar de ce qui s’est passé à Beyrouth et à Bagdad, les Iraniens sont descendus protester samedi dans les rues contre l’étincelle de trop – en l’occurrence l’augmentation du prix de l’essence – celle qui rend leurs conditions de vie déjà difficiles tout à fait insupportables. La colère trouve ses sources dans le marasme économique, mais la politique n’est jamais loin. Comme lors des manifestations de janvier 2018, les protestataires iraniens ont scandé des slogans contre l’interventionnisme régional de la République islamique, rappelant à quel point la dialectique entre l’interne et l’externe était essentielle à la compréhension de la situation générale. Comment expliquer en effet que des manifestations éclatent tout le long de l’axe chiite iranien, alors que le discours dominant depuis plusieurs mois, propagé en premier lieu par les leaders du régime et leurs obligés, est celui d’une victoire triomphante de celui-ci dans toute la région ? Faut-il pour autant croire à la thèse inverse, celle que véhicule l’administration Trump, et qui voit derrière chaque secousse iranienne le début de la fin du régime des mollahs ? Comme à chaque fois qu’il s’agit de prendre la température des rapports de forces régionaux, à un moment où ceux-ci sont dans une phase de grande reconfiguration, il est nécessaire de rester aussi nuancé que prudent. L’influence régionale iranienne n’a jamais été aussi forte, mais elle repose toutefois sur des bases assez fragiles. L’axe chiite iranien est en proie à une contestation inédite, mais il serait bien hâtif de vouloir l’enterrer trop vite. Il suffit de se rappeler que le président syrien Bachar el-Assad était jusqu’en 2015 dans une situation très délicate et qu’il se trouve aujourd’hui, grâce aux interventions russe et iranienne et aux atermoiements des Occidentaux, en position de force sur le terrain.



(Lire aussi : Les enjeux de la contestation en Iran)



Désinformation et répression
Téhéran a fait preuve en Syrie d’une parfaite maîtrise de la méthode contre-révolutionnaire et commence à l’utiliser aujourd’hui à Bagdad, à Beyrouth et à Téhéran. Le commandant spécial de la force al-Qods, le général Kassem Soleimani ne se vantait-il pas d’ailleurs auprès des autorités irakiennes, il y a deux semaines de cela, de « savoir comment gérer les manifestations » ?

La contre-révolution iranienne est basée sur un mélange de désinformation et de répression. Il s’agit d’une part de décrédibiliser les manifestations en les présentant comme des instruments de la politique américaine au Moyen-Orient, ce que font les dirigeants iraniens et leurs alliés régionaux à chaque fois qu’ils commentent les révoltes libanaise et irakienne. L’argument du grand complot américain est toujours porteur dans la région, au-delà même des sympathisants de l’axe iranien. Il s’agit d’autre part de s’appuyer sur le cœur du régime pour mener un mouvement de répression visant à faire peur au ventre mou de la contestation et se retrouver à gérer seulement les éléments les plus radicaux, qu’il sera plus facile d’accuser de « terrorisme ».

La mécanique iranienne est toutefois en train de coincer sur ce deuxième élément. Les moyens ne manquent pas : en interne le régime peut compter sur les 130 000 gardiens de la révolution, sur le puissant clergé ou encore sur les 5 millions de militants totalement dévoués (les bassidj) ; en externe, le Hezbollah au Liban et les milices pro-iraniennes en Irak sont suffisamment forts pour défendre l’axe chiite.

Mais Téhéran est-il prêt à prendre les armes contre les populations qu’il prétend protéger pour sauvegarder son influence ? Il le fait en Irak, où le nombre de victimes s’élève à 330 morts, mais cela ne suffit pas à éteindre la contestation. Il a probablement conscience qu’il est beaucoup plus difficile de le faire au Liban, mais là aussi son allié, le Hezbollah, se trouve dans une position très délicate entre son souhait de ne pas former un gouvernement où il serait le seul maître à bord et sa peur de perdre son pouvoir s’il donne son aval à un gouvernement de technocrates.

En Irak comme au Liban, les Iraniens et leurs alliés sont, à mesure que le temps passe et que la contestation ne faiblit pas, confrontés à un dilemme de plus en plus cornélien : lâcher du lest et risquer de perdre une partie de leur influence ou accroître la répression et se retrouver confrontés à des populations locales encore plus hostiles. Sur la scène régionale, Téhéran peut-il accepter de se mettre en retrait à un moment où il se considère comme le grand gagnant ? Peut-il surtout le faire alors qu’en interne, la pression américaine réduit aujourd’hui considérablement sa marge de manœuvre ?



Lire aussi 
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Pour mémoire
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Yehya est un Libanais d’une cinquantaine d’années, originaire du Liban-Sud. Nostalgique du nassérisme, il considère que le combat contre Israël est primordial et voit la main des Américains derrière la plupart des grands événements qui secouent la région. Depuis le 17 octobre dernier, il soutient pourtant activement la révolte libanaise. Il se laisse également aller à des...

commentaires (10)

C’est comme ça que les médias contribuent à la perte des révolutionnaires. A prendre leurs désirs pour réalité et à transformer des revendications purement économiques en revendications politiques. Vous présentez les protestations comme étant le mouvement d’un peuple opprimé appartenant à l’axe de la liberté contre l’axe de l’obscurantisme. C’est non seulement absurde, mais c’est aussi cultiver une sorte de dualité simpliste qui ne tient nullement compte des sentiments beaucoup plus complexes de populations prises en otages par les medias et les politiques de gouvernements étrangers

Chady

20 h 22, le 18 novembre 2019

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Commentaires (10)

  • C’est comme ça que les médias contribuent à la perte des révolutionnaires. A prendre leurs désirs pour réalité et à transformer des revendications purement économiques en revendications politiques. Vous présentez les protestations comme étant le mouvement d’un peuple opprimé appartenant à l’axe de la liberté contre l’axe de l’obscurantisme. C’est non seulement absurde, mais c’est aussi cultiver une sorte de dualité simpliste qui ne tient nullement compte des sentiments beaucoup plus complexes de populations prises en otages par les medias et les politiques de gouvernements étrangers

    Chady

    20 h 22, le 18 novembre 2019

  • CE SONT NOS MAÎTRE QUI DIRIGENT LE LIBEN ET POUR COMBIEN DE TEMPS ENCORE ? DIEU SEUL LE SAIT.

    Gebran Eid

    17 h 29, le 18 novembre 2019

  • Dire que ce sont ces gens sur la photo qui dirigent le Liban A EN PLEURER OU A SE REVOLTER REVOLTER :'EST CE QUE LES LIBANAIS ONT CHOISI

    LA VERITE

    16 h 18, le 18 novembre 2019

  • L'axe Perse et Basjidi plutot, les Chiites du Liban sont en grande partie des victimes...comme une partie des maornites et 2 ou 3 druzes

    Jack Gardner

    14 h 47, le 18 novembre 2019

  • Vous posez les questions en considérant que l'Iran était le grand gagnant. Doit on vous rappeler que l'Iran n'a encore rien gagné a ce jour? Au Yémen, a part foutre la merde, rien n'a changé. Ce n'est pas parce que l'Arabie n;a pu les battre que l'Iran a gagne. En fait l'Arabie a sauver le gouvernement qui a été sujet au coup d’état, mais ni les uns ni les autres ont eu le dessus. En Iraq itou. N’était ce les interventions US, les milices Iraniennes ne seront jamais venu a bout de personne. N'en parlons pas de la Syrie ou sans que les Russes n'interviennent le Hezbollah se faisait étriller et Bachar serait déjà pendu haut et court au bout de la corde qu'il mérite. Quand au Liban, vous pensez une seule seconde que le Hezbollah pourra jamais établir sa province islamique? Que les Libanais, même Chiites accepteraient?

    Pierre Hadjigeorgiou

    14 h 43, le 18 novembre 2019

  • "Bachar el-Assad était jusqu’en 2015 dans une situation très délicate et qu’il se trouve aujourd’hui, grâce aux interventions russe et iranienne" correction, cest lintervention russe qui a garder bashar U pouvoir. Et ce avec l'accord des ricains. Pour mieux contrôler la region et se la partager ils laissent les locaux l'illusion quils sont puissants et en contrôle oour mieux s'entredéchirer. Pensons à notre Liban et comment le remettre sur ses jambes.

    Wlek Sanferlou

    13 h 56, le 18 novembre 2019

  • Hahahahaha !!!

    FRIK-A-FRAK

    12 h 17, le 18 novembre 2019

  • On ne voit pratiquement que des turbans blancs sur cette photo...en face du turban noir suprême. Où est les citoyen ordinaire, premier concerné par ce problème d'augmentation du prix de l'essence ? Irène Saïd

    Irene Said

    11 h 02, le 18 novembre 2019

  • Ils font l’économie de chaises au parlement Iranien?

    Gros Gnon

    08 h 35, le 18 novembre 2019

  • QUI DIT QU,EN SYRIE S,EST FINI ? LA PARTIE AU LIBAN VA ETRE PERDUE PAR LE HEZBOLLAH. EN IRAQ LE PEUPLE NE DECOLERE PAS. LA PARTIE EST DIFFICILE MAIS LES IRAQUIENS SONT DECIDES A SE LIBERER DE L,HEGEMONIE PERSE. LA REPRESSION EST SOUVENT LE CARBURANT DES REVOLUTIONS.

    LA LIBRE EXPRESSION

    05 h 18, le 18 novembre 2019

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