« À côté de la plaque », « irrespectueux de l’intelligence des citoyens et de leurs attentes », mais aussi « outrageusement provocateur », voire « insultant ». C’est en ces termes que des membres de la société civile engagée depuis 28 jours dans un bras de fer avec le pouvoir, contactés par L’Orient-Le Jour, qualifient les propos tenus mardi soir par le chef de l’État, Michel Aoun, lors d’une interview télévisée. Des propos qui, dénoncent-ils, ne sont qu’une tentative de sauver la face, de négocier des ajustements cosmétiques qui permettront à la caste politique de se maintenir au pouvoir, alors que le peuple libanais réclame une refonte du système et un changement des mentalités. Ce changement doit impérativement passer par la formation d’un gouvernement indépendant de transition qui se chargera de préparer des élections législatives anticipées. Mais au lieu de lancer les consultations parlementaires tant attendues dans cet objectif, le président Aoun a tergiversé et appelé les manifestants à rentrer chez eux, déplorent-ils, faisant état d’une rupture totale entre la rue et lui.
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Une remise en question du système économique et politique
« Les propos du président Aoun reflètent un degré inouï d’autisme », lance ainsi Carole Sharabati, professeure de sciences politiques à l’Université Saint-Joseph. « Aussi bien le chef de l’État que ses conseillers et ses proches collaborateurs sont à côté de la plaque », déplore-t-elle, constatant « le déni » et « l’absence de réactivité » vis-à-vis des demandes populaires. Celle qui prend part aux mouvements de rue, « comme tous les citoyens », observe aussi « une volonté de sauver la face ». « Les revendications de la rue sont pourtant fondamentales, affirme la fondatrice de l’organisation Sakker el-Dekkene. Motivées par la faillite financière du pays, elles remettent en question la totalité du système économique et politique qui achète les allégeances et facilite clientélisme et corruption. » « Mais le président Aoun s’accroche au passé, face à ce nouveau paradigme, au même titre que l’ensemble de la classe politique », regrette-t-elle, faisant état d’une discussion de sourds, d’une rupture totale entre le président et la population.
Pour Jad Chaaban, professeur d’économie à l’Université américaine de Beyrouth et activiste, le discours du chef de l’État n’a rien apporté de nouveau. Il a repris les « mêmes idées », la « même langue de bois », cette « même attitude des gens du pouvoir », invitant les manifestants à rentrer chez eux avant tout changement, à se faire représenter par un leader et à dialoguer avec les autorités. « Non seulement il a ignoré les demandes de la rue qui réclame pour commencer la formation d’un gouvernement indépendant, mais il a diabolisé les manifestants qui se sont sentis insultés, en les traitant comme des voyous qui bloquent les routes », déplore l’universitaire. Et d’observer qu’à l’instar des leaders politiques qui se sont exprimés depuis le début des mouvements de contestation, Michel Aoun s’est adressé à sa rue hier, comme pour lui dire qu’il la protège des groupes désorganisés. C’est aussi le fossé générationnel entre le chef de l’État et la jeunesse du Liban qui interpelle le professeur Chaaban. Le fait que Michel Aoun n’a pas compris les jeunes ni les raisons pour lesquelles ils manifestent. « Il passe à côté de leurs revendications citoyennes et n’assume pas ses responsabilités. Il se présente même comme supérieur à eux », regrette-t-il.
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À chaque discours, la rue reprend un second souffle
De son côté, le Bloc national (BN) ne peut s’empêcher d’interpeller le chef de l’État dans un message posté sur son site web. « N’est-il pas grand temps d’avoir confiance dans votre peuple, Monsieur le Président ? »
C’est dans ce cadre que le coordonnateur politique du BN, Amine Issa, dénonce « le manque de considération » du président Aoun à l’égard du peuple, auquel il s’adresse comme s’il était « illettré, soumis à des pressions ou inconscient de l’intérêt national ». « Il a pourtant reconnu l’échec du système, martèle-t-il. Il est donc grand temps qu’il fasse confiance au peuple, qu’il écoute ses revendications liées au refus du clientélisme et de la corruption, en formant un gouvernement d’indépendants. » Quant aux menaces voilées de confrontation, M. Issa rappelle que ce n’est pas la première fois que le pouvoir et les partis politiques agitent le spectre de la violence contre les manifestants, dans une tentative de dresser l’armée libanaise contre les protestataires. « Ces tentatives ont toutes lamentablement échoué », affirme-t-il. Mais il ne peut s’empêcher de constater qu’à chaque prise de parole d’un homme politique, le chef de l’État, le leader du Hezbollah Hassan Nasrallah ou le gouverneur de la Banque centrale Riad Salamé, « la rue reprend un second souffle ».
« Les propos du président sont hors sujet », réagit à son tour Nayla Geagea, avocate chercheuse et membre de Beyrouth Madinati. « Ils ont été considérés par les manifestants et plus particulièrement les jeunes comme une provocation », ajoute-t-elle, rappelant les termes alambiqués de Michel Aoun sur le manque de confiance envers la classe politique et sur l’émigration des jeunes, qui ont été interprétés comme une invitation à quitter le pays. « Et ce malgré une vaine tentative d’arranger les choses », ajoute-t-elle en référence à la mise au point de la présidence. La militante estime que le chef de l’État a perdu sa légitimité auprès de la rue. Elle insiste en revanche sur l’importance des consultations parlementaires contraignantes préalables à la formation d’un gouvernement. « Le président doit à tout prix les lancer si nous voulons un gouvernement indépendant. Il est donc hors de question de réclamer sa démission », affirme-t-elle, mettant en garde contre « le vide institutionnel ». Mais elle craint que le président « ne persiste dans son entêtement » face à une rue qui flambe à chaque discours et réclame un gouvernement indépendant.
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La montée de la colère
Le cofondateur du parti Sabaa, Jad Dagher, se dit pour sa part « consterné ». « La rue ne s’est pas sentie écoutée. Elle s’est sentie insultée et cela devient dangereux », constate-t-il. Car le président Aoun et son entourage ne mesurent pas l’importance de ce qui se passe dans la rue, autrement dit la demande populaire d’un changement profond de système, qui commence par la formation d’un gouvernement indépendant de transition et se poursuit par l’organisation d’élections législatives anticipées. D’où la colère qui gronde et enfle à chaque discours d’un homme politique. Une colère qui, note-t-il, « vise aussi bien Baabda que le Sérail ou le Parlement ». « Est-ce normal qu’au terme de 28 jours de protestations, le chef de l’État n’esquisse pas la moindre tentative de se rapprocher de son peuple ou de répondre par la positive à ses revendications et à ses propositions de solution ? » demande-t-il, craignant une montée de la colère, de la violence aussi.
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Le manège de Aoun est clair comme l’eau de roche à qui sait décortiquer son comportement. Pour certains il ne peut pas agir à cause de HB. Puisque sa présence à Baabda était leur œuvre mais comportait des contre parties. Pour d’autre c’est par amour pour son gendre qu’il veut voir le succéder. Mais le pourrissement de la situation est évidente. Elle n’a qu’un seul but. Noyer le poisson. L'économie De notre pays est détruite depuis déjà des années ainsi que la faillite des banques. Il n’y plus de liquidité et ça finir par se savoir. La révolte n’a qu’acceler l'annonce du désastre et il devrait remercier les citoyens dans la rue. Son manège maintenant consiste à laisser pourrir encore plus la situation pour affamer les gens et que la faute retombe sur ceux qui ont permis de dévoiler précisément la catastrophe. Certains croient dur comme fer que c’est le mouvement qui empêche les banques de leur permettre de bénéficier de leur argent déposer et auquel ils n’ont plus accès. C’est un coup de maître. Avouez. S’ils s'étaient employés à utiliser des subterfuges plutôt pour sauver le pays.
12 h 17, le 14 novembre 2019