De l’avis de plusieurs parties politiques, la révolte populaire qui a commencé le 17 octobre est entrée dans une nouvelle phase, plus organisée. L’élan spontané des premiers jours a fait place à une colère ciblée et canalisée. Désormais, le flou du slogan « tous veut dire tous » est remplacé par une campagne dirigée contre le président Michel Aoun et son camp, accusés par les manifestants d’atermoyer dans la formation du gouvernement à travers le retard dans le rendez-vous des consultations parlementaires obligatoires pour la désignation d’un Premier ministre.
Certains acteurs du mouvement de révolte refusent de parler d’une nouvelle étape programmée, rejetant la responsabilité du regain d’intensité du soulèvement populaire sur l’entretien télévisé du chef de l’État mardi soir. Pour ceux-là, c’est Michel Aoun lui-même qui a provoqué la colère des gens par ses propos qui l’ont montré déconnecté de la réalité et par certaines de ses expressions qui ont été perçues comme de la provocation, voire du mépris à l’égard des protestataires.
Mais les milieux proches de Baabda ne sont pas convaincus de cette argumentation. Selon eux, les propos du chef de l’État ont été sciemment déformés pour provoquer la colère du peuple. De plus, le mouvement de protestation avait été préparé avant que l’entretien télévisé ne s’achève. Les services de sécurité concernés auraient ainsi la preuve que des messages téléphoniques ont été envoyés en début de soirée aux manifestants pour commencer à se regrouper en vue d’un vaste mouvement de fermeture des routes. Selon ces mêmes sources, les manifestants dans la rue, interrogés par les correspondants des chaînes de télévision après l’entretien du chef de l’État, ont eux-mêmes reconnu ne pas l’avoir écouté, se contentant de reprendre la fameuse phrase déformée et tirée de son contexte sur l’émigration. Donc, pour les sources proches de Baabda, quel qu’aurait été le contenu de l’entretien télévisé du chef de l’État, le résultat aurait été le même, car le mouvement de protestation cherchait un prétexte pour s’enflammer au moment où l’émissaire français arrivait au Liban.
Quelle que soit l’évaluation du contenu de cet entretien, il a en tout cas donné une raison idéale aux manifestants pour relancer leur mouvement. Désormais, Michel Aoun est devenu la principale cible du mouvement qui l’accuse de retarder les consultations parlementaires obligatoires.
Les sources proches de Baabda précisent à cet égard que le président avait voulu faciliter la formation du gouvernement, en procédant à ces consultations après un accord sur l’identité du futur Premier ministre et sur la forme du gouvernement que Baabda souhaite formé d’un mélange de technocrates et de personnalités politiques. D’ailleurs, toujours selon les mêmes sources, après les deux rencontres entre le Premier ministre démissionnaire et le ministre des Affaires étrangères, il y en a eu une troisième lundi, qui avait été qualifiée de positive. Selon les sources précitées, Saad Hariri et Gebran Bassil auraient même entamé une discussion sur les noms des ministrables. Michel Aoun et Nabih Berry avaient été mis au courant de ce climat politique et le chef de l’État comptait fixer le rendez-vous des consultations parlementaires pour vendredi. Il faut rappeler que M. Bassil avait même proposé à M. Hariri de choisir les figures politiques du prochain gouvernement parmi les personnalités de « second plan » pour ne pas provoquer la colère des manifestants. Autrement dit, il était prêt à ne pas faire partie du gouvernement à condition que les autres formations politiques prennent la même option. C’est dans cet esprit d’ailleurs, que le président de la Chambre a lancé mardi une phrase dont le sens équivaut à dire que la proposition qui a été faite à Saad Hariri ne pouvait pas être refusée, tant elle était satisfaisante...
Mais, toujours selon les mêmes sources, dans la nuit de lundi à mardi, Saad Hariri aurait soudain changé d’avis et fait parvenir à qui de droit qu’il n’était pas d’accord pour un gouvernement mixte techno-
politique, insistant pour un gouvernement totalement formé de technocrates non politisés. Ce soudain revirement a ramené les tractations au point de départ et le chef de l’État a estimé qu’il serait bon de s’adresser aux Libanais pour leur exposer la situation et expliquer en quelque sorte les raisons du retard dans la convocation des consultations parlementaires. Il a d’ailleurs déclaré, dans le cadre de l’entretien, que lorsqu’il a reçu le Premier ministre démissionnaire à Baabda, il a perçu ses hésitations.
Qu’est-ce qui a poussé Saad Hariri à changer d’avis, les sources de Baabda affirment ne pas le savoir, précisant que selon ceux qui ont mené les négociations avec lui, notamment les émissaires d’Amal et du Hezbollah (Ali Hassan Khalil et Hussein Khalil), il avait déjà à plusieurs reprises changé d’avis, faisant un pas en avant puis se rétractant. Malgré cela, aussi bien M. Aoun que MM. Berry et Hassan Nasrallah continuent de préférer parvenir à un accord avec lui, soit sur sa désignation, soit sur la désignation d’une personnalité qui bénéficie de son accord, avant de procéder aux consultations parlementaires obligatoires. À cet égard, les sources proches de Baabda précisent que les consultations parlementaires sont certes une démarche constitutionnelle mais elles sont en général de pure forme. Depuis Taëf et même avant, elles ont toujours été précédées d’un accord et les organiser dans un climat de conflit pourrait pousser le pays dans une situation plus grave. Depuis hier, en tout cas, les contacts politiques sont suspendus et c’est la rue qui occupe le devant de la scène.
commentaires (18)
Ce que personne ne veut comprendre c 'est que cette révolution concerne surtout les jeunes qui ont entre vingt et quarante ans et qui sont instruits et qui peuvent mobiliser en quelques heures des milliers de personnes par what' s up et qui réclament de ce monde virtuel un changement total politique loin des tribus et confessions . Inutile donc de chercher le sexe des anges et revenir avec des ministres vieux d' Esprit .
Antoine Sabbagha
16 h 40, le 14 novembre 2019