Voix sépulcrale, élocution hachée, expression indéchiffrable sauf sourires vers la droite où l’attire, hors champ, quelque présence rassurante, et une soudaine illumination du visage quand il entend ce nom, qui justifie pour lui tous les sacrifices et le sacrifice de tous, du gendre plus que dauphin mais pas moins que roi : le président. Des sons bourdonnent, désarticulés, une bouillie parfois inaudible où l’on distingue par habitude les ritournelles tant de fois entendues : le président. « Qu’ils revoient mon passé et qu’ils restent avec moi si ce passé leur plaît, sinon, c’est moi qui partirai » : le président du passé amer. « Ne détruisez pas le pays » : le président du pays exsangue à l’adresse de la révolution. « S’ils estiment qu’il n’y a pas de personne intègre avec qui dialoguer dans cet État, qu’ils émigrent » : le président et une certaine idée de l’opposition (et de la diaspora). « Ses propos ont été mal interprétés » : le président et les mauvais mots. Fin d’une interview pour rien. Fureur de la rue. Nervosité de l’armée et des forces de l’ordre. Un mort.
Pendant ce temps, le soleil qui se couche sur le palais de Baabda se lève sur les fumées d’un nouveau monde. Tandis que certains pôles du pouvoir, figures qui occupent le paysage depuis si longtemps qu’elles font partie des meubles, essayent encore avec un certain succès d’attiser les susceptibilités claniques, le Liban s’unit sous une rafale d’idées neuves. Décillés par leur appauvrissement galopant face à l’enrichissement scandaleux de la classe politique, ou poussés à l’émigration par manque d’opportunités, les Libanais prennent conscience que durant toutes ces années où leur pays n’a rien produit, c’était eux, le produit. Eux la marchandise électorale, le numéraire qu’on achète et revend, eux la bête que l’on vampirise et que l’on tanne, eux les fiers dont on courbe l’échine et qui quémandent comme autant de privilèges leurs droits élémentaires à l’éducation, à la santé, au logement ou à la retraite pourvu qu’ils baisent la bonne main (tout en la maudissant, selon l’adage). Baiser des mains et les maudire, rentrer chez soi et ne jamais voir l’horizon, rêver de salaires qui tiennent jusqu’à la fin du mois, rêver étroit par habitude, la vie écartelée entre un passé dans un pays détruit, un présent dans un pays souillé, et un futur accaparé par les mêmes dont on n’a jamais connu que destruction, pollution et défigurations.
Dix-huit heures. La foule, les feux, les fumigènes, les cris, on scande, on rit, on s’embrasse, on se bouscule, se congratule. Il y a des bourgeois aisés, des Gavroche, des mendiants, des étudiants, des parents, des grands-parents, des fauteuils roulants, des écoliers, des femmes, des hommes, des agriculteurs, des musiciens, des avocats, des chauffeurs de taxi, des économistes, des médecins, des accents de partout. Il y a à manger pour tous et des yeux qui brillent et un formidable courant d’amour. Tant d’années de silence et de résignation, et puis cette foudre, cet irrépressible orage. Il y a de l’euphorie. Vingt heures. Une rumeur monte dans l’obscurité. Percussions obsédantes, d’abord timides et puis de plus en plus amples, furieuses, impérieuses. Des ombres à toutes les fenêtres, des femmes et des enfants, des casseroles et des spatules. Une minute, deux minutes. On s’arrête. Mais une casserole au loin vous rappelle : reviens, parle-moi encore, encore notre colère à l’unisson, redouble, renverse, encore taper, chasser les sauterelles, débusquer les démons… On rentre, on regarde sa casserole. On n’en revient pas de ce qui vient de se passer. Il y a une passation de témoin d’une génération à l’autre. Ces enfants d’après-guerre, couvés, bénis, venus au monde avec la promesse du plus jamais ça, venus avec une mémoire neuve, ignorants de l’histoire escamotée des livres d’histoire, nous interrogent et nous jugent. Non, nous ne leur égrènerons pas nos repères élimés, droits des chrétiens et des musulmans, politique des axes et des grandes puissances, partage confessionnel et tribal du patrimoine, des biens et de l’espace publics, des opportunités et des droits. À notre génération qui a tout tenté et renoncé à tout par lassitude, ils réclament à leur tour tout et son contraire, le possible et l’impossible, le raisonnable et le déraisonnable. Leurs rêves éveillent nos rêves et nous restituent les années où nous n’avons pas vécu. Non, il n’y aura pas de guerre civile, et ce n’est pas ce qu’il reste de ce désastreux mandat, ni les provocations occultes et criminelles, qui nous épargneront ce fléau. Mais seulement une promesse à tenir.
Oui le soleil qui se couche sur le palais de Baabda, se lève sur les fumées d'un nouveau Monde!!! Vous découvrez Fifi les mots qu'il faut à l'endroit qui correspond! Jamais de mauvais mots dans vos "Impressions"! C'est l'éveil spontané d'une nouvelle génération qui saura,par sa maturité précoce", juger ses aînés, parents et grands parents. Ceux ci sont la majorité silencieuse qui ne s'est jamais exprimée et pendant plus de 40 ans n'a pas réagi se contentant à la résignation. Le Liban a subi une mauvaise gouvernance depuis 100 ans! Donc l'an 1943 est celui de la Dépendance! Maintenant, c'est cette révolte, appelée révolution, qui, selon son évolution vers une justice social, décidera oui ou non, si le Liban méritera une vraie Indépendance! Avec vous, Fifi, je le souhaite de tout mon coeur!
20 h 31, le 14 novembre 2019