Les propos du président libanais Michel Aoun ont remis le feu aux poudres, mardi soir, dans les rangs des manifestants qui ont laissé éclater leur colère même avant la fin de l'interview télévisée du président, coupant les routes du nord au sud du pays.
Ce regain de tension a fait une victime à Khaldé, dans le sud de Beyrouth, où un cadre du Parti socialiste progressiste de Walid Joumblatt a été tué par balles. Il s'agit de la deuxième victime en marge de la contestation qui secoue le Liban depuis le 17 octobre. M. Joumblatt s'est rendu à l’hôpital où le cadre du PSP Ala' Abou Fakhr avait été transporté. Il a affirmé avoir contacté le commandant en chef de l’armée et appelé à l'ouverture d'une enquête. Appelant ses partisans au calme, il a ajouté : "L’État est notre seul recours, sinon nous allons vers le chaos". Selon un communiqué de l’armée, une rixe a eu lieu entre une patrouille militaire et un groupe de protestataires qui coupaient la route, forçant un militaire à ouvrir le feu pour les disperser. L’institution militaire ajoute avoir ouvert une enquête après l'arrestation du militaire qui a ouvert le feu.
Dans ce contexte de tension, le ministre sortant de l'Education, Akram Chehayeb, a appelé les écoles et universités à rester fermées mercredi.
Lors d'un entretien retransmis sur les différentes chaînes de télévision libanaises, le président Aoun a affirmé que "le prochain gouvernement devrait être techno-politique", composé d'experts et des représentants des partis traditionnels, dans la mesure où le pays passe par une situation difficile qui exige des décisions que devraient prendre des politiques.
Ces propos interviennent alors que les tractations politiques traînent depuis la démission, le 29 octobre, du Premier ministre Saad Hariri, sous la pression d'un mouvement inédit de contestation contre la classe dirigeante accusée de corruption, entré mardi dans son 28ème jour. Le départ du cabinet n'a pas calmé les protestataires qui réclament la chute de toute la classe politique, accusée de corruption, la formation d'un cabinet de technocrates indépendants des forces politiques parmi d'autres revendications d'ordre socio-économique.
Interrogé sur les consultations parlementaires contraignantes pour nommer un Premier ministre, M. Aoun a répondu qu'elles pourraient avoir lieu jeudi ou vendredi à condition d'obtenir des réponses des "personnes concernées". La présidence avait justifié le retard dans l'annonce de la date de ces consultations par la volonté de M. Aoun de mener des tractations préalables entre les différentes formations politiques afin de préparer la "formule" selon laquelle sera formé le futur cabinet. Les discussions butent notamment sur la question de la mise sur pied d'un gouvernement composé uniquement de technocrates, comme le réclame la rue, alors que certains partis, comme le Hezbollah et le Courant patriotique libre, prônent un gouvernement "techno-politique". La place dans le futur gouvernement du chef du CPL et ministre sortant des Affaires étrangères Gebran Bassil, figure particulièrement conspuée par les manifestants, pose également problème. A la question de savoir si M. Bassil fera partie du prochain cabinet, le président a répondu : "Il lui revient de décider. Mais, dans un système démocratique, personne ne peut mettre un veto sur le chef du plus grand groupe parlementaire chrétien".
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"Désobéissance civile demain!"
Juste après ces déclarations, des manifestants ont commencé à bloquer des routes dans plusieurs villes du pays. Des centaines de protestataires ont coupé la voie-express du Ring, à Beyrouth, à l'aide de pneus en feu, scandant : "Désobéissance civile demain!" Toujours dans la capitale, des protestataires ont coupé la route place Sassine à Achrafieh, au niveau de la Cité sportive ainsi que dans les quartiers de Verdun et de Corniche el-Mazraa. Ailleurs dans le pays, dans le secteur de Chevrolet, à la lisière de Beyrouth, des manifestants ont de nouveau érigé un barrage. L'autoroute reliant Beyrouth au Sud, au niveau de Jiyé et de Naamé, a aussi été coupée, ainsi que la route de Dahr el-Baydar, reliant le Mont-Liban à la Békaa. Toujours dans la Békaa, la route de Saadnayel-Taablabaya a été coupée. Dans le Metn, les routes de Jal el-Dib et de Zalka ont été coupées ainsi que l'autoroute Beyrouth-Nord au niveau de Dora et de Nahr el-Kalb. Dans le Kesrouan, les routes de Zouk et de Ghazir ont été coupées. A Tripoli, des protestataires ont bloqué l'autoroute menant au Liban-Nord et des coups de feu ont été entendus, selon notre journaliste sur place Ornella Antar. A Saida, dans le Sud, place Elia, les protestataires ont dressé des tentes et des rassemblements ont eu lieu dans le Chouf.
Dans la nuit de mardi à mercredi, des manifestants se sont par ailleurs dirigés vers la route du palais présidentiel de Baabda où un rassemblement est prévu mercredi dans la matinée.
Sur la voie-express du Ring. Photo Matthieu Karam
"Les gens ne sont pas convaincus par le point de vue du président (...) Nous allons de nouveau bloquer les routes pour augmenter la pression et faire tomber le président", a déclaré à l'AFP un manifestant à Beyrouth, Haytham al-Darazi, 36 ans.
Dans son interview, le président a également appelé les protestataires au dialogue "afin de mener les réformes nécessaires, combattre la corruption et édifier un État". Le président avait lancé un appel dans le même sens lors d'un discours prononcé à l'occasion du mi-parcours de son mandat et lors d'une manifestation de partisans aounistes il y a deux semaines au palais de Baabda. "J'ai appelé à rencontrer les protestataires, mais je n'ai jamais eu de réponse", a-t-il dénoncé. Et de poursuivre : "Comment envisager une solution à cette crise si dans les rangs des protestataires il n'y a personne qui veuille dialoguer ?". "Les fermetures de routes et d'institutions publiques ainsi que la suspension des cours paralysent le pays", a-t-il dénoncé. Et de poursuivre : "Nous avons bien entendu vos revendications et vos appréhensions mais ne détruisez pas le pays et cessez d'assiéger les institutions publiques". "S'ils estiment qu'il n'y a pas de personne intègre dans cet Etat, qu'ils émigrent, a encore lancé le président. Qu'ils revoient mon passé et qu'ils restent avec moi si ce passé leur plaît, sinon c'est moi qui partirais".
Ces propos ont suscité un tollé sur les réseaux sociaux, poussant la présidence à publier une mise au point quelque peu alambiquée. "Ces propos ont été mal interprétés, peut-on y lire. Le chef de l'Etat voulait dire que si les contestataires n'arrivent pas à trouver des personnes intègres pour participer à un dialogue, qu'ils émigrent car de cette façon ils n'arriveront pas au pouvoir".
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commentaires (10)
Qu'ils revoient mon passé et qu'ils restent avec moi si ce passé leur plaît, sinon c'est moi qui partirai". Mr le President avec tout le respect que je dois a votre fonction je dois vous dire honnetement ce que je pense de votre passe plus recent car je ne connais rien de votre passe militaire en tant que chef de l'armee Libanaise 1) VOUS AVEZ ETE PARACHUTE A UN POSTE PROVISOIRE DE PREMIER MINISTRE PAR AMINE GEMAYEL PRESIDENT SORTANT KATAEB 2) VOTRE PREMIERE ACTION A ETE DE LANCER DES BOMBES SUR LE CASINO DONT LES GERANTS , AVEC ACCORD DES FORCES LIBANAISES DE L'EPOQUE , REFUSAIENT DE PAYER UNE NOUVELLE PART DE LEURS RECETTES A L'ETAT ( POUR NE PAS DIRE A VOUS ) ET SUR ACHRAFIEH POUR FAIRE MORDRE LA POUSSIERE A CEUX QUI ONT SAUVE LE LIBAN PAR LEURS ACTIONS GLORIEUSES DE DEFENCE DU LIBAN
LA VERITE
13 h 38, le 13 novembre 2019