Les Libanais affluaient dans les banques du pays, qui ont rouvert leurs portes vendredi matin, plus de deux semaines après le début du mouvement de contestation sans précédent contre la classe dirigeante qui a forcé le Premier ministre Saad Hariri à présenter sa démission.
L’apaisement – au moins temporaire – de la contestation a convaincu l’Association des banques du Liban (ABL) d’ouvrir les agences bancaires du pays aujourd'hui et samedi jusqu’à 17h (contre respectivement 14h et midi habituellement), évoquant un fonctionnement "normal".
Des queues se sont formées depuis le début de la matinée dans les agences bancaires et devant les distributeurs automatiques de billets à Beyrouth, ainsi que dans l'ensemble des régions libanaises. L'ouverture des banques, en ce début du mois et après deux semaines de fermeture, s'est déroulée dans le calme. "Il n'y a pas vraiment de panique. Je pensais qu'il y en aurait plus", explique un client à Zouk Mosbeh, dans le Kesrouan, cité par Reuters. "Je viens essayer de retirer du liquide et voir si ça fonctionne ou pas", dit une retraitée.
Une queue se formant à l'entrée d'une banque à Saïda. Photo D.R.
Selon les informations de L'Orient-Le Jour, les banques étudieront au cas par cas les demandes de leurs clients, particuliers ou entreprises. Ainsi, les banques devraient assurer les opérations "habituelles" de leurs clients, comme les crédits ou les prêts, et examiner les demandes exceptionnelles.
Les liquidités en livres libanaises sont disponibles. Un entrepreneur joint par l'OLJ a réussi à débloquer la somme de 20 millions de LL pour libérer un conteneur au port et payer ses employés. Les banques vont contrôler le déblocage de dollars pour les particuliers et les entreprises. Dans ces banques, le taux de change livre/dollar est fixé à 1516 livres.
Durant la période de contestation, les distributeurs automatiques de billets ont continué d’être alimentés, les virements de salaires des employés du privé ainsi que des fonctionnaires ont été assurés pendant les événements.Les banques se préparent désormais à absorber plus de deux semaines de transactions reportées par les ménages et entreprises. Un véritable défi technique et administratif qui va se coupler à deux autres missions : rassurer les clients inquiets de la situation financière du pays afin qu’ils ne retirent pas leurs économies du système bancaire et assurer assez de liquidités pour permettre aux entreprises de reprendre leurs activités.
Des clients devant une agence bancaire à Saïda, au Liban-Sud, le 1er novembre 2019. Photo Mountasser Abdallah
Des protestataires au siège de l'ABL
Selon des sources bancaires citées par Reuters, les banques libanaises vont tout faire pour éviter une fuite des capitaux, sans imposer de contrôle de ces capitaux, alors que certains observateurs avaient exprimé leurs préoccupations quant à la possibilité que les déposants retirent leur argent et les transfèrent à l'étranger ou les convertissent en dollars.
Plusieurs clients interrogés par L'Orient-Le Jour ont indiqué que les banques avaient peur que des déposants retirent des dollars pour les revendre plus cher.
Les Libanais craignent que la réouverture des banques ne s'accompagne d'une dévaluation monétaire, mais la Banque centrale a déclaré en début de semaine que la monnaie locale restait indexée sur le billet vert au taux de 1.507,5 livres pour un dollar, fixé en 1997. Sur le marché parallèle, celle-ci se négociait ces derniers jours à plus de 1.700 livres pour un dollar.
En fin de matinée, le président de l'Association des Banques du Liban (ABL), Salim Sfeir, a salué la "responsabilité des citoyens libanais", les appelant à "ne pas croire les rumeurs". Il a ajouté que "des mesures exceptionnelles" pourraient être prises par certaines banques.
La dette publique, détenue à 80% par les banques commerciales et la Banque centrale, culmine à 86 milliards de dollars, soit 150% du PIB, l'un des taux les plus élevés dans le monde. Le pays souffre par ailleurs d'une croissance molle depuis des années, qui devrait atteindre 0,2% en 2019, selon le Fonds monétaire international (FMI), contre plus de 10% en 2009.
Néanmoins, la contestation n'épargne pas l'ensemble du secteur bancaire. Dans la matinée, quatre protestataires sont brièvement entrés dans le bâtiment du siège de l'ABL, dans le quartier de Gemmayzé, à Beyrouth. Ces manifestants, qui réclament la fin de la dollarisation de l'économie libanaise et le recouvrement de l'argent volé, ont réussi à pénétrer dans le bâtiment et à sceller la porte d'entrée. Ces protestataires ont été sortis du bâtiment par des policiers anti-émeutes qui les ont arrêtés. Un bref esclandre a éclaté entre les forces de l'ordre et l'un des protestataires. Trois des quatre manifestants ont été relâchés par les autorités en début d'après-midi. Un mandat d'arrêt a été émis contre un cinquième manifestant, qui s'était approché de trop près d'un véhicule militaire au moment de l'arrestation des quatre autres jeunes qui s'étaient introduits au siège de la BDL.
Le siège de la BDL à Tripoli (Liban-Nord) a également été la cible de manifestants, en provenance de la place el-Nour, épicentre de la contestation dans cette ville, rapporte l'Ani. Les contestataires ont organisé un sit-in à l'entrée du bâtiment, brandissant des drapeaux libanais et scandant des slogans critiquant la politique financière de l'institution.
Sur le terrain, les routes étaient rouvertes dans l'ensemble du pays, à l'exception de certains points au Liban-Nord et dans la Békaa.
A Saïda, les manifestants qui campent dans un jardin public près de la place Elia ont coupé en milieu de journée la route longeant cette place pendant un bref laps de temps, jusqu'à ce que l'armée intervienne pour rouvrir les voies à la circulation. Après l'intervention de la troupe, les protestataires se sont installés dans une rue adjacente de la place Elia, qu'ils ont bloquées en s'asseyant au milieu de la route. Ces manifestants scandaient principalement des slogans visant le gouverneur de la BDL, Riad Salamé, affirmant qu'ils ne "paieront plus de taxes".
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Et dire que le secteur bancaire faisait notre fiérté !
21 h 30, le 01 novembre 2019