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Liban - Environnement

Les Gardiens des cimes, ou la ténacité des enfants du jurd

À l’heure où la propriété des nappes d’eau souterraines de Qornet es-Saouda, le plus haut sommet du Liban et du Proche-Orient, fait l’objet d’une querelle, retour sur un mouvement populaire qui a sauvé de la destruction les sommets rocheux de Aqoura et Tannourine.

Les gardiens des cimes : de gauche a droite, le journaliste Georges Eid de la MTV, Firas el-Hachem, Ziad Tarabey, Youssef Rami Fadel et Riad Harb. Photo Ghassan Germanos

Comme dit le dicton, des difficultés naissent les meilleures initiatives. C’est ainsi que le groupe Les Gardiens des cimes (Horras al-Qemam) a vu le jour. En 2018, un projet de carrières menaçait les jurds (hauteurs et arrière-pays) de Aqoura et de Tannourine. Il consistait en l’exploitation des montagnes en vue d’en extraire des tonnes de rochers, pour la construction et l’aménagement d’un barrage controversé à l’emplacement du gouffre de Balaa, dans la région de Tannourine.

Indignés par un projet jugé absurde, des habitants de Aqoura et de Tannourine s’étaient mobilisés et avaient réussi à faire obstruction à ce projet de carrière, sauvant le jurd du saccage. C’est au cours d’une réunion dans la maison de Ziad Tarabey, un membre du groupe originaire de Balaa, en présence de Paul Abi Rached, fondateur de l’association Terre-Liban et du Mouvement écologique libanais (LEM), que ce nom a été retenu pour le mouvement.

« Il est vrai que le mot gardien peut avoir une connotation militaire mais il est très révélateur de notre tempérament d’enfants du jurd, tenaces et acharnés », admet non sans une pointe de fierté Ghassan Germanos, un membre du groupe originaire de Aqoura. Et d’ajouter : « Notre groupe reste informel, mais nous nous mobilisons rapidement et nous sommes très déterminés. » M. Germanos explique à L’Orient-Le Jour que les membres de ce groupe ont, pour la plupart, laissé tomber leurs emplois, pour revenir vivre dans leur montagne et investir dans des projets d’écotourisme, d’agriculture et d’agritourisme.

« Nous vivons dans la nature, et c’est notre façon de militer au quotidien pour la préservation de nos montagnes encore vierges et sauvages, précise-t-il, mais notre action devient plus ciblée et directe lorsque des projets de carrières, de mégacimenteries ou autres menacent notre jurd. » Pour Firas el-Hachem, membre du groupe originaire de Aqoura, l’objectif principal des Gardiens des cimes est d’empêcher le saccage du patrimoine paysager des cimes du Mont-Liban nord, d’Ehden à Aqoura, en passant par Jebbet Bécharré.

« Nous n’accepterons pas que des projets de carrières, ou d’autres travaux similaires, soient réalisés dans nos montagnes », avertit cet activiste, qui rappelle que l’ouverture de carrières dans le jurd de Aqoura s’inscrivait dans le contexte de la construction d’un barrage à Balaa.

« Nous sommes contre la construction de barrages à tort et à travers, parce que nous connaissons mieux que quiconque la géologie hydrique de nos montagnes, dont la nature karstique empêche les barrages de se remplir à pleine capacité », explique-t-il.

« D’autant que l’impact de ces barrages sur le patrimoine paysager était énorme, et que le prix à payer sur le plan écologique était très élevé. Notre jurd risquait d’être à jamais défiguré », ajoute-t-il.


(Lire aussi : Pourquoi l’affaire de Qornet es-Saouda s’est transformée en « lac de la discorde »)



« Féroces et tenaces »

Youssef Rami Fadel, membre du groupe originaire de Tannourine, abonde dans le même sensb : « Notre objectif principal est de préserver notre jurd mais nous nous mobilisons également à tous les niveaux écologiques et environnementaux. » Au nombre des objectifs du groupe figure, outre la préservation de l’environnement, le nettoyage des espaces publics, la réduction de la consommation du plastique et la réglementation de la chasse. L’implication dans des mouvements en dehors de Tannourine et de Aqoura est due aux relations que le groupe a réussi à tisser dans toutes les régions du pays. « Nous sommes également impliqués dans la campagne hostile à la construction du barrage de Bisri (Liban-Sud), et dans la lutte pour empêcher la création d’une mégacimenterie à Meyrouba (Kesrouan) », ajoute-t-il.

Bien qu’ils militent à tous les niveaux, les Gardiens des cimes avouent à l’unanimité qu’ils « deviennent mille fois plus féroces et tenaces » lorsque leurs plus hauts jurds sont gravement menacés, et lorsque le paysage qu’ils ont connu depuis leur enfance est menacé d’être défiguré irréversiblement.

« Je crois profondément que seuls les habitants peuvent sauver et protéger leurs montagnes », affirme M. Hachem. Pour M. Fadel, rien ne peut être réalisé sans la mobilisation des habitants de la région. Mais que veulent les Gardiens des cimes ? La réponse de M. Fadel fuse : « Nous voulons que l’État nous laisse tranquilles ! Nous voulons être une région abandonnée et oubliée par l’État libanais parce qu’à chaque fois que le gouvernement envisage de réaliser des projets de développement, ces derniers s’avèrent être des projets désastreux aux motifs douteux. »


(Lire aussi : À la recherche d’un nouvel emplacement pour le lac de Qornet es-Saouda)



Un modèle à suivre

Pour M. Abi Rached, la mobilisation de 2018 à Aqoura et Tannourine est un modèle à suivre dans toutes les crises qui menacent l’environnement. « Cette expérience reposait sur trois piliers : les médias, les habitants et les associations concernées par l’environnement », précise M. Abi Rached avant d’expliquer : « Les associations ont contribué grâce aux études qu’elles ont fournies ; les médias ont conféré à cette cause une envergure nationale; et, parallèlement, les habitants sont passés à l’action. »

Et M. Abi Rached de conclure : « Après les Gardiens des cimes, ce sera au tour des gardiens des vallées, des rivières, des plages et des forêts d’agir ; peu importe du moment que le modèle des trois piliers est respecté. »


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