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Économie - tribune

À propos de Moody's et de ses consœurs : C'est la politique imbécile !

Le secrétaire général de l’Association des banques du Liban (ABL), Makram Sader. Photo DR

Le premier octobre 2019, le bureau d'information du ministre des Finances a publié un communiqué après la réunion du comité de révision de la notation souveraine du Liban avec l’agence Moody's, à l’issue de laquelle cette dernière a décidé de maintenir sa notation actuelle à savoir Caa1. Moody’s a également mis la note du Liban « sous surveillance » avec une tendance à la baisse dans les trois mois à venir, faute de développements positifs.

En consultant le rapport de Moody’s Investors Services (MIS) sur son site Web à New York, nous pouvons examiner les raisons qui poussent l’agence à maintenir ou à abaisser la notation de l’État libanais. Tout d’abord, reconnaissons que ce rapport est objectif, précis et compétent. Les motivations de Moody's peuvent être résumées en deux groupes, sur lesquels nous nous arrêtons, espérant que ça pourrait exhorter les décideurs au pouvoir à approuver un budget de l’État plus équilibré et des réformes plus adéquates de manière à convaincre Moody's de maintenir la notation actuelle. Rappelons-nous déjà les notations des deux autres agences : Standard & Poor's nous a donné six mois avant de réviser à la baisse  notre note de B- à CCC ; quant à Fitch IBCA il avait précédemment suivi Moody's et abaissé notre note à CCC malgré tous les efforts déployés pour le convaincre à maintenir la même notation.

Pour revenir à Moody's, son évaluation du 1er octobre comprend deux axes : le premier concerne la capacité du système bancaire - banque centrale et banques commerciales- de continuer à financer les besoins de l’État libanais compte tenu du déficit élevé qui persiste entre ses dépenses et ses recettes. Le second traite de la question de la balance des paiements à la lumière de la détérioration des conditions de financement extérieur, qui implique l'épuisement des réserves en devises étrangères du pays et, par conséquent, de la capacité à maintenir la stabilité financière et monétaire qui persiste depuis plus d'un quart de siècle. Bien entendu, les deux axes sont interdépendants, car les dépenses de l’État se transforment en partie en demande de biens et services étrangers, c’est-à-dire à un épuisement supplémentaire des devises, en plus de l’impact de la diminution des flux extérieurs sur la croissance des dépôts et, partant, sur la capacité des banques à financer l’État.


(Lire aussi : Moody’s adresse un ultimatum aux dirigeants libanais)


En termes de finances publiques, il s’avère que la dette de l’État venant à échéance jusqu’à la fin de 2020 s’évalue à 15.000 milliards de livres libanaises et 4 milliards de dollars, soit un total de 14 milliards de dollars, ce qui représente 24% du PIB moyen pour les deux années 2019 et 2020. D’après l’expérience des années précédentes, les sommes dues ont été refinancées à près de 100% par la BDL et les banques. La différence réside dans le fait que le coût de refinancement sera beaucoup plus élevé que le coût actuel -inférieur à 7% en moyenne !- Le financement tiendra alors compte de la hausse sans précédent du coût des dépôts dans le secteur bancaire en raison de la hausse du risque pays.

Les nouveaux déficits résultant des dépenses dans les budgets de 2019 et 2020 devraient atteindre environ 4,8 milliards de dollars par an, dont 60% en livres et 40% en dollars, si les prévisions seraient correctement réalisées. Nous pouvons confirmer que le système bancaire (banque centrale et banques commerciales) a la capacité de financer ces besoins. Les banques ont des dépôts en livres libanaises et en devises auprès de la BDL qui excèdent les 150 milliards de dollars sous formes de réserves obligatoires, dépôts à terme et certificats de dépôt. Nous pouvons nous attendre à des souscriptions aux bons du Trésor libellés en livres et en devises, si le secteur bancaire s'accorde avec le ministère des Finances sur les nouvelles conditions de prêt, vu que le coût a augmenté avec le risque du pays, comme exprimé par les agences de notation internationales. L’opération consistera à échanger des instruments de dette détenus par les banques auprès de la BDL en bons du Trésor, en respectant le même profil d’échéance.

En d’autres termes, nous ne pensons pas que la couverture des besoins de financement de l'État sera une raison de la détérioration de la stabilité financière du pays. Pour rappel, les résidents libanais détiennent 88% de la dette publique (les banques 39%, la Banque du Liban 38%, les institutions publiques et le public 12%), et la majeure partie de la dette publique est libellée en livres (62%) et une partie plus faible en devises (38%). La règle universellement reconnue est qu’une majorité qui détient au moins 70% de la dette du pays débiteur concerné est en mesure de décider de mettre ce pays en situation de cessation de paiement. Il appartient donc au secteur bancaire libanais d’en décider. Bien sûr, il ne le fera pas !.


(Lire aussi : Le risque que le Liban « restructure » sa dette s’accentue, selon Moody’s)



Le deuxième axe du rapport de Moody’s -et le plus important, à notre avis- réside dans la partie consacrée à la baisse significative des conditions du financement extérieur et la détérioration de la dynamique de la balance des paiements libanaise qui pourra en résulter. Moody's a expliqué le manque de financement étranger par les convulsions, pressions et rivalités au sein du gouvernement libanais, en premier lieu, par l’intensification des sanctions américaines contre le Hezbollah en second lieu et, enfin, par le regain de pression et de tension dans la région, y compris avec Israël. Les marchés financiers reflètent ces évolutions à travers la dégradation de l'indice EMBI pour le Liban à la mi-septembre, qui est passé de 820 à 1330 points de base. Nous remarquons une détérioration similaire du coût de l’assurance de la dette libanaise (CDS) sur le marché de Londres, passant de 746 à 1296 points de base au cours de la même période.

Pour plus d’argumentation sur la dégradation de la capacité de financement des besoins extérieurs,  Moody's indique dans son rapport que le déficit dans les paiements extérieurs en 2018 et au premier semestre de 2019 s’est élevé respectivement à 4,8 milliards de dollars, puis à 5,3 milliards de dollars, concluant ainsi que le stock de devises étrangères « utilisables » dans les réserves de la Banque du Liban, s’élevant à 38 milliards de dollars, a été réduit à 6-10 milliards de dollars, après avoir pris en compte les avoirs extérieurs nets des banques. A notre avis, ce calcul qui supprime tous les dépôts des non-résidents en livres libanaises et en devises, équivalents à  37 milliards de dollars américains, et les rend inutilisables, ne prend pas en considération le fait qu’une grande partie des dépôts des non-résidents revient aux Libanais eux-mêmes, en plus des dépôts fiduciaires, ce qui signifie que plus de la moitié des dépôts des non-résidents appartient aux Libanais, et nous ne voyons aucune raison de les distinguer de ceux des résidents. Cela porte le volume de devises « utilisables » à un minimum de 25 milliards de dollars (6 + 19) et non à 6 milliards de dollars. Si l'on ajoute les autres avoirs extérieurs des banques, qui se sont élevés à 5 milliards de dollars à fin août 2019, le total sera 25 + 5 = 30 milliards de dollars au lieu de 10 milliards de dollars.

A court terme, ce stock est suffisant pour défendre le taux de change de la livre libanaise. Il suffit également, bien que de moins en moins, pour assurer le financement requis des importations des produits de première nécessité, comme le montre le mécanisme adopté récemment pour l'importation d'hydrocarbures, de médicaments et de blé.

Cependant, la question reste de savoir comment financer les biens que le Liban a besoin d’importer en dehors de ceux mentionnés dans la circulaire publiée par la Banque du Liban! La réponse réside d'abord dans la nécessité de réduire le volume des importations de biens et de services (tels que le tourisme et voyages) au cours de la prochaine période. Les Libanais ne peuvent plus maintenir un niveau de vie disproportionné par rapport à leur travail et à leurs revenus. L'autre partie de la réponse est la possibilité de recourir au stock d'avoirs extérieurs détenus par les Libanais, y compris les importateurs, auprès des banques non résidentes, que la Banque des règlements internationaux estime à environ 9 milliards de dollars à fin mars 2019, et à 7,4 milliards à la fin de 2017. L’augmentation de ces avoirs de plus de 1,5 milliard de dollars sur un an et trois mois provient du fait qu’une partie du capital sortant des banques libanaises a été placée auprès de banques internationales.

Moody's a raison d’évoquer la fragmentation et la faiblesse du mécanisme d'élaboration et de mise en œuvre des politiques au Liban. Nous, les Libanais, savons pertinemment ce que dit Moody's. Elle a raison de dire que les sources de financement étrangères diminuent. Cette baisse est déjà liée à l’absence de réformes et à l’échec des politiques locales. Elle a raison d’attirer l’attention sur l’aggravation des risques qui peuvent menacer la stabilité financière et sociale du pays. Ce rapport devrait nous inciter à agir. Certaines parties étrangères, notamment les Français, restent soucieuses de nous aider à faire face à nos tragédies. Soyons humbles et acceptons ! ...

Pendant la campagne électorale de Bill Clinton, un slogan a été soulevé : C'est l'économie, imbécile ! Nous disons à propos de notre pays : c’est la politique, imbécile ! ... La politique est le bon exercice du pouvoir de l’État, c’est-à-dire un exercice mené dans l’intérêt des citoyens et de la nation. La livre libanaise a également besoin d'un bon exercice du pouvoir de l'État. La force de la monnaie est le reflet de la force de l'économie. La force de l'économie est le reflet de la politique de l’État et de son autorité. La corruption s'empare des droits et des fonds de l'État, l'affaiblit et affaiblit par suite sa monnaie. Rendrons-nous l'autorité de l'État à l'État, restituerons-nous ses droits pillés et rétablirons-nous son autorité diminuée ? C'est la politique au Liban, imbécile ! La défense de la livre se fait d’abord par la politique, ensuite par l’économie, et enfin par la politique monétaire et bancaire. Ne fragmentez pas la question de la stabilité monétaire et ne la réduisez pas aux seules pratiques des agents de change ou des banques. Regardez surtout du côté de la performance politique.


*Secrétaire général de l’Association des banques du Liban (ABL)


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Makram a raison! L'économie va couci-couca, la politique Ça, c'est un vrai problème. Qui c'est comment le résoudre ? Et y a pas de solution comme tous nos politiques sont nuls.

TrucMuche

22 h 25, le 12 octobre 2019

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Commentaires (1)

  • Makram a raison! L'économie va couci-couca, la politique Ça, c'est un vrai problème. Qui c'est comment le résoudre ? Et y a pas de solution comme tous nos politiques sont nuls.

    TrucMuche

    22 h 25, le 12 octobre 2019

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