À l’heure où la crise économique et financière du pays n’a jamais été aussi inquiétante depuis près de 30 ans, la nomination des quatre vice-gouverneurs de la Banque du Liban (BDL), qui se fait attendre depuis six mois, devient pressante et impérative, mais les conflits entre les différentes parties du gouvernement sont si vifs sur la question qu’il ne semble pas qu’elle sera réglée de sitôt.
On sait que les quatre vice-gouverneurs de la BDL, choisis au sein des communautés sunnite, chiite, druze et arménienne-orthodoxe, font partie du conseil central de la banque, présidé par le gouverneur et formé en outre des directeurs généraux du ministère des Finances et du ministère de l’Économie, qui sont, eux, membres d’office. Ce conseil établit les politiques monétaires et de crédit de la BDL, notamment les taux d’escompte et de prêt. Il prend en outre des décisions sur des questions concernant les secteurs bancaire et financier, la création de chambres de compensation, l’émission de devises et les demandes de prêts émanant d’entités du secteur public. Il décide également des règles et procédures régissant le personnel et les opérations de la banque, ainsi que de son budget et de ses comptes annuels.
(Lire aussi : Réconciliation interdruze : le bloc joumblattiste se dit « rassuré »)
« Unicité de critère »
Depuis qu’en mars dernier le mandat des anciens vice-gouverneurs est arrivé à expiration, le processus des nominations bute sur deux nœuds, druze et arménien-orthodoxe, sachant, selon des sources concordantes, qu’il n’y a pas de querelles quant aux vice-gouverneurs sunnite et chiite. Concernant le poste druze, la rivalité entre le Parti socialiste progressiste de Walid Joumblatt et le Parti démocratique libanais (PDL) de Talal Arslane s’illustre par la volonté de chacune des deux formations de s’en emparer. Le PSP soutient la nomination d’un banquier, Fadi Fleyhane, tandis que le PDL propose celle de Fouad Abou Hassan, qui, selon une source informée, travaille auprès de Fidus, une société financière spécialisée dans les marchés locaux et internationaux.
Interrogé par L’Orient-Le Jour, Bilal Abdallah, député du bloc parlementaire joumblattiste, estime que c’est à son parti que doit revenir l’attribution du poste réservé à la communauté druze. « Tant que le régime fonctionne selon le système confessionnel, le critère adopté au sein des autres communautés doit s’appliquer également chez les druzes », clame-t-il. « Ce critère est la justesse de représentation », indique-t-il à cet égard, en référence au fait que « dans les autres communautés, les parties qui ont obtenu la confiance du plus grand nombre d’électeurs n’admettent pas le partage ».
Un analyste joint par L’Orient-Le Jour fait constater que « Walid Joumblatt a toujours imposé les nominations druzes relatives aux fonctions de 1re catégorie, mais avec la réconciliation relative aux heurts de Qabr Chmoun, Talal Arslane, fort du soutien du Hezbollah et de la Syrie, considère désormais avoir droit à se faire représenter à concurrence d’un tiers de ces postes ». « Il ne veut plus se contenter de choisir le mohafez du Sud », note cet analyste, croyant savoir que « M. Arslane s’était tu lorsque, peu après la formation du gouvernement (avril), un proche de Moukhtara, le brigadier Amine Aaram, avait été nommé chef d’état-major de l’armée, mais il s’était réservé le droit de réclamer plus tard sa part dans la banque centrale ».
Un autre obstacle à la nomination des vice-gouverneurs est l’attribution du poste arménien-orthodoxe, traditionnellement occupé par un proche du parti Tachnag. Selon des informations de sources convergentes, le chef du Courant patriotique libre, Gebran Bassil, cherche désormais à obtenir la désignation à ce poste d’une personne qui lui est acquise.
(Lire aussi : Salamé, chez Aoun, se veut rassurant)
« Questions mesquines »
L’acharnement des diverses parties à accaparer le plus grand nombre de positions risque, comme dans toutes les institutions, de porter atteinte au fonctionnement de la Banque du Liban. Un parlementaire proche du président du Parlement, Nabih Berry, estime à ce propos qu’« en organisant le conseil central, jamais le législateur n’aurait imaginé qu’une vacance durable surviendrait un jour au sein de la BDL, de sorte qu’elle génère une situation à ce point illégale ».
« Ce problème de vacance doit être enfin résolu », tonne-t-il, proposant que « soient nommés au moins les deux vice-gouverneurs qui ne font pas l’objet de conflits pour que le conseil puisse se réunir selon le quorum requis ».Au sein du Conseil des ministres, des voix s’élèvent pour faire appliquer un mécanisme clair pour pourvoir aux postes du conseil central, comme elles le réclament d’ailleurs pour toutes les autres fonctions de l’administration publique. Camille Abousleiman, ministre du Travail proche des Forces libanaises, martèle que « le seul critère doit être celui de la compétence », réclamant que les désignations s’effectuent « le plus rapidement possible ». « En ce moment critique et crucial, il est inadmissible qu’on continue à atermoyer pour des raisons mesquines et politiciennes », met-il en garde.
Au cours de la réunion qui a eu lieu hier matin à Baabda entre le président de la République, Michel Aoun, et le gouverneur de la BDL, Riad Salamé, le sujet des nominations au conseil central de la BDL n’a pas été abordé, affirme une source proche de Baabda, sollicitée par L’OLJ. Elle indique que ce sont les secousses ébranlant actuellement la situation économique et monétaire qui ont été évoquées, notamment la pression dont pâtit le dollar et, dans le même sillage, le mécanisme prévu pour l’importation des médicaments, de la farine et des carburants.
Cet entretien intervient, rappelons-le, trois jours après que le président Aoun eut affirmé vendredi, à bord de l’avion qui le ramenait de New York, qu’il n’était pas au courant de ce qui s’était passé lors de son absence. « La personne de référence pour les devises est le gouverneur de la Banque du Liban, et pour les finances, le ministre titulaire, Ali Hassan Khalil », avait-il précisé. La source interrogée explicite ces propos en soulignant que « le chef de l’État n’a pas lancé d’accusations contre MM. Salamé et Khalil, indiquant plutôt que lorsqu’on veut en savoir davantage sur la monnaie et les finances, c’est à eux qu’on doit respectivement s’adresser ».
(Lire aussi : Joumblatt et Bassil à la table de Aoun : atmosphère « amicale »)
« Excuse »
Du côté du Courant patriotique libre (CPL), on soutient aussi, en réponse à une question de L’OLJ, que les questions monétaires sont du ressort du gouverneur de la banque centrale, faisant constater que dans les démocraties occidentales, notamment les États-Unis et la France, c’est lui qui s’exprime sur la stabilité financière et la stratégie monétaire. Ce cadre du CPL se demande au passage : « Pourquoi M. Salamé avait-il assuré à maintes reprises, notamment au président Aoun, que la situation monétaire est sous contrôle, que le marché est calme et qu’il n’y a pas lieu de paniquer ? »
Pour toute réponse, un responsable politique proche de l’esprit du 14 Mars lance sans détour que « par les propos qu’il a exprimés, le président Aoun cherche une excuse pour imputer la gravité de la situation à Riad Salamé », estimant qu’« il le fait avec la connivence du Hezbollah ».
Lire aussi
Le vice-gouverneur druze de la BDL, prochaine pomme de discorde entre Joumblatt et Arslane ?
Les chantiers qui attendent le Liban, selon Fitch et S&P
Riad Salamé toujours dans le top du classement des banquiers centraux, selon « Global Finance »
LA POLITIQUE OU LA GANGRENE DU PAYS.
18 h 08, le 01 octobre 2019