Faire du beau avec des détritus. Tel est le dada de Tatiana Fayad et Joanne Hayek, deux amies d’enfance qui, en 2007, alors qu’elles n’avaient que 19 ans, créaient Vanina, désormais distribuée à l’international. Si au départ les deux jeunes femmes proposaient des bijoux confectionnés autour de vieilles pièces de monnaie libanaises, elles proposent désormais une gamme complète : des habits, des bijoux, des sacs, toujours made in Lebanon. Au fil des années, les deux jeunes femmes se sont découvert, outre celle de la mode, une passion commune pour l’engagement environnemental et social, qui se reflète dans leurs créations. Pour leur prochaine collection de sacs, elles ont décidé de donner une seconde vie… aux paquets de chips. Pour pouvoir mener ce projet à bien, elles ont décidé de lancer cet appel à travers L’Orient-Le Jour : « Nous avons besoin de 1 200 paquets supplémentaires pour compléter notre production de ce mois. Si vous consommez des chips et ne désirez pas voir le sac finir dans une décharge sur notre côte, nous le récupérerons pour lui offrir une nouvelle vie*. »
Pourquoi s’être lancées dans cette entreprise difficile ? « Les paquets alimentaires de chips, de chocolat et autres sont constitués d’un mélange d’aluminium et de plastique. La séparation des deux matériaux est si coûteuse et difficile que le processus n’est jamais engagé. Ces paquets ne sont donc pas recyclables, explique Joanne Hayek, cocréatrice de Vanina. Au Liban, comme dans beaucoup de pays, les produits non recyclables vont droit à la décharge – une montagne de déchets, souvent située sur la côte, qui englobe détritus organiques, électroniques, plastiques, etc., toutes sortes d’éléments jetés qui finissent par se décomposer en microparticules toxiques qui s’infiltrent dans nos océans et écosystèmes. »
Mais la jeune femme, qui est aussi architecte spécialisée en sustainable innovation et enseignante à l’Université américaine de Beyrouth (AUB), constate que « ces paquets alimentaires constituent une matière unique, caractérisée par son bel équilibre entre le fragile et le durable, et par son mélange de matière et de couleur : argenté luisant d’un côté, et coloré à motifs de l’autre ».
Alors, avec Tatiana Fayad, elle imagine une collection de sacs de soirée fabriqués à partir de paquets de nourriture récupérés, nettoyés, coupés au laser, plissés à la main et mélangés à des structures en laiton plaqué. Chaque sac compte entre 300 et 900 plis, l’équivalent de deux à cinq jours de travail, et permet de recycler douze paquets de chips. Pour mettre sur pied la collection dont les prototypes ont été présentés durant la semaine de la mode à Paris en mars 2019, Vanina a recours aux 50 artisans de son équipe de production de sacs. « Ces femmes ont été recrutées avec l’aide des ONG La voix de la femme et arcenciel, indique Joanne Hayek. Elles ont été formées et participent aujourd’hui à la création de sacs tissés à base de diverses matières : perles, bois, cordes, et maintenant paquets alimentaires. »
Délicatesse
Cette collection, Tatiana Fayad et Joanne Hayek ont décidé de la baptiser « Délicatesse ». « C’est une allusion aux délices gastronomiques et une manière d’attirer l’attention sur le côté problématique de la nourriture empaquetée et distribuée en masse, souligne Joanne Hayek. C’est un appel vers un retour au terroir, à la production locale et fraîche. »
Ce n’est pas la première fois que Vanina lance une collection en redonnant vie à des produits qui auraient pu finir à la poubelle. « Nous avons exploré différentes collections qui nous ont permis de transformer des matières dévaluées, obsolètes, considérées comme des déchets, en collections de bijoux », précise Joanne. Par le passé, elles ont créé des sacs à partir de boîtes de conserve (en collaboration avec les ONG arcenciel et Sawa), confectionné des bijoux à partir de vieilles pièces de monnaie, de clés usagées, de sacs de plastiques non biodégradables (en collaboration avec Swarovski), ou encore de détritus en papier.
« Pour nous, la mode est un outil de réflexion culturelle. Elle fait rêver tout en faisant réfléchir. À travers nos collections, nous voulons montrer que les déchets ne doivent plus être considérés et traités comme source de problèmes, mais comme source de possibilités et de créations », conclut la cocréatrice de Vanina.
*Les paquets de chips ou de chocolat à récupérer peuvent être déposés à la boutique Vanina, rue Gouraud, Gemmayzé. Pour plus d’informations, contacter le 01/447449.
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