On est en droit de se demander pourquoi l’icône offerte au président de la République par l’évêque Maroun Ammar, représentant Michel Aoun enlacé par une Vierge couronnée de plumes, n’a pas choqué le pourtant très susceptible Centre catholique d’information. L’exhibition de cet objet naïf et d’un goût discutable réalisé à la gloire d’un président élu serait certainement passée par pertes et profits si, quelques semaines plus tôt, l’anathème jeté contre une autre icône détournée n’avait injustement coûté une fortune aux organisateurs du Festival de Byblos et mis en danger quatre jeunes talents libanais. De cette puérile et néanmoins dangereuse guerre d’icônes, il ressort que les religions, au Liban en particulier, se réservent l’exclusivité du kitsch.
Summum de laideur pour certains, éminemment décoratif pour d’autres, le goût kitsch se reporte en priorité sur des objets fabriqués en masse, et à ce titre catégorisés « art populaire ». Les Vierges, saints et angelots de plâtre, les bougeoirs de stuc, les bébés Krishna en résine avec leur petit pot de beurre ou les Ganesh en céramique, proviennent des mêmes usines chinoises qui inondent terre et mers de nains de jardin, pendules à coucou et autres figurines simplifiées d’amoureux enlacés, de sirènes couchées sur un galet, de tours Eiffel, de Sphinx ou de Manneken Pis. Pour ma part, je confesse avoir, à une époque, versé dans la collection compulsive de ces « affreux petits bouddhas bleus et obèses dont l’expression de sagesse est une invitation à finir dans la graisse » (Romain Gary, Au-delà de cette limite votre ticket n’est plus valable). Ils ont envahi mes étagères et ma table de travail. Ma lubie a passé, mais je me pose encore, quand je les observe, la question irrésolue du lien entre graisse et sagesse. Je possède aussi, souvenir d’enfance, une petite Vierge fluorescente ramenée de Lourdes par ma grand-mère qui la posait à mon chevet l’ayant investie du pouvoir de chasser les cauchemars.
La palme de l’idéalisation du kitsch revient donc aux cultes et à leur denier. Si je dis que mes bouddhas et ma Vierge n’ont aucune valeur autre qu’anecdotique ou sentimentale, il se trouvera immanquablement quelqu’un pour me signaler qu’ils sont sacrés et, à ce titre, d’une indiscutable beauté. Évidemment, il ne s’agit pas ici de jugement esthétique mais de pur fétichisme. Aux yeux de tels détracteurs, mon sentiment personnel à ce sujet ne compte pas, seul compte le consensus populaire qui veut que tel objet soit inviolable et forcément « beau ». C’est ainsi, dit-on, que le kitsch fait le lit du fascisme et inversement. Nous vivons des temps d’angoisse universelle où de plus en plus de gens s’en remettent aux leaders populistes qui s’appuient souvent sur la religion, ou en utilisent les mécanismes, pour exploiter le pouvoir de la masse. En retour, ils offrent à celle-ci des discours qui tour à tour la glorifient et l’incitent à la haine à travers la peur de l’autre, apaisant son désarroi et le justifiant d’un même geste. La pensée individuelle, de guerre lasse, finit par céder le pas à la pensée dominante. À l’esthétique dominante du même coup. C’est à ce prix que l’on devient, selon la formule désuète héritée du Mandat, « très comme il faut » (prononcer en un seul mot). Force sera donc d’admettre que l’icône de Deir el Qamar est la Vierge elle-même, et que le président qui partage avec elle l’espace de la toile est son protégé personnel. Pour les intercessions, on respectera la hiérarchie. Amen.
commentaires (10)
Article très intéressant comme d'habitude, mer i Fifi!!
Wlek Sanferlou
23 h 45, le 29 août 2019