La visite du ministre turc des Affaires étrangères Mevlut Cavusoglu à Beyrouth est importante à la fois dans son timing et dans son contenu. Elle intervient au moment où l’armée syrienne, appuyée par l’aviation militaire russe, enregistre d’importantes avancées dans la province d’Idleb, mettant à mal l’armée turque et ses alliés des différentes factions de l’opposition syrienne, ainsi que les relations entre Moscou et Ankara.
En effet, depuis qu’elles ont abouti à un accord avec l’administration américaine sur la création d’une « zone de sécurité » dans le nord de la Syrie, qui serait pratiquement sous l’influence turque et américaine, les autorités d’Ankara ont pris leurs distances à l’égard de la Russie. Le président turc Recep Tayyip Erdogan a ainsi publié un communiqué dans lequel il refuse l’annexion de la Crimée par la Russie, et la Turquie semble de plus en plus critique à l’égard de la position du Kremlin au sujet de la crise syrienne.
Les autorités turques avaient même commencé à avancer leurs pions dans le nord de la Syrie, apportant presque ouvertement leur aide aux factions de l’opposition syrienne, dont l’ex-Front al-Nosra. C’est ainsi qu’un avion syrien a été abattu la semaine dernière et que le sort de son pilote est resté inconnu, mais des sources proches du régime syrien estiment qu’il est aux mains des autorités turques. De même, des obus ont été tirés vers la base de Hmeimim, contrôlée par les Russes, et les regards se tournent là aussi vers la Turquie.
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Face à cette nouvelle attitude turque, le régime syrien a décidé de mener la bataille pour chasser les combattants de l’opposition de la province d’Idleb, avec l’appui des Russes. À la surprise des Turcs et des Américains, l’armée syrienne a avancé rapidement, prenant ainsi le contrôle de la ville stratégique de Khan Cheikhoun. Un convoi militaire turc qui volait au secours des combattants de l’opposition syrienne dans cette ville a même été bombardé par les aviations russe et syrienne, et il est resté bloqué, ne pouvant plus avancer vers la ville. Une fois la ville passée sous le contrôle de l’armée syrienne, celle-ci a avancé vers la localité de Morek, encerclant un poste de surveillance turc installé sur place. Selon des sources proches de l’armée syrienne, des soldats turcs auraient même été capturés et le régime syrien exige, pour les libérer, de connaître le sort du pilote dont l’avion est tombé la semaine dernière. Selon les mêmes sources aussi, le président syrien Bachar el-Assad a reçu dans le courant de la semaine un député russe auquel il a transmis un message musclé à l’égard des autorités turques.
C’est donc dans ce contexte compliqué que le ministre turc des Affaires étrangères a choisi d’effectuer une visite au Liban. D’ailleurs, selon les déclarations officielles faites à toutes les étapes de cette visite, il est clair que le dossier syrien est au cœur des entretiens avec les responsables libanais, qu’il s’agisse de la question des réfugiés syriens (que le Liban officiel appelle les déplacés syriens) ou de la situation générale de ce pays. Dans les déclarations officielles, les autorités libanaises et le ministre turc ont mis en avant les points d’entente, comme la nécessité pour la communauté internationale de fournir des aides aux réfugiés qui rentrent dans leur pays. Un autre point d’accord entre le Liban et la Turquie est la volonté des deux pays de privilégier une solution politique en Syrie. Il s’agit d’une position de principe, même si chaque pays conçoit différemment la forme de cette solution.
Selon des sources diplomatiques libanaises, au-delà des échanges bilatéraux et des généralités, la visite du ministre turc des Affaires étrangères est une tentative de contourner la tension qui règne actuellement dans les relations entre Ankara et Moscou, sans parler de l’animosité profonde qui existe entre les autorités turques et le régime syrien. La Turquie chercherait ainsi à frapper à la porte libanaise pour transmettre des messages, tout en cherchant à renforcer ses relations avec le Liban. Le ministre Cavusoglu a d’ailleurs déclaré hier que le Liban « est un pays-clé pour la stabilité dans la région » et a exprimé la volonté de son pays de renforcer ses relations avec lui.
À ce stade, peu de détails ont été révélés sur la teneur des entretiens du chef de la diplomatie turque avec les responsables libanais. Mais selon les sources précitées, le ministre turc n’est pas venu à Beyrouth dans une volonté d’escalade avec la Syrie. S’il a choisi de venir au Liban et non de se rendre en Jordanie ou en Irak, autres pays limitrophes de la Syrie, c’est bien parce qu’il sait combien les développements en Syrie ont un impact sur la situation interne libanaise. Selon des sources sécuritaires, le directeur de la Sûreté générale Abbas Ibrahim, qui a de bonnes relations avec toutes les parties concernées, pourrait même jouer un rôle précis pour régler quelques problèmes en suspens...
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commentaires (6)
DDe ma part je résumerais ce voyage "ottomanique" de Mevlut effendi, comme la vvisite du désespoir... Je m'explique. La Turquie arrogante et raciste n'aurait jamais penser venir confier ses craintes aux dirigeants libanais. C'est un premier pas et c'est bien. Cela dit leur problème vient du fait que la diplomatie turque est restée du temps ottomanique avec un retard de plus de cent ans.... La Turquie n'a jamais su se remettre en question pour revoir sa politique et sortir de ce piège qui se ferme sur elle. Cent ans de gâchis !(un génocide qui attend encore sa reconnaissance) Ils continuent à pratiquer une diplomatie ottomane, (tu me donnes, je te donne...) Le monde a changé il est plus éveillé, et connaît les faiblesses de ce pays. Les russes ne sont pas dupes... ( on ne les achète pas avec 5 milliards et quelques contrats) Les americains connaissent aussi parfaitement les turcs....
Sarkis Serge Tateossian
20 h 31, le 24 août 2019