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Liban - Médias

Le sit-in de l’ordre des rédacteurs, début d’un long processus

Pour la première fois de son histoire, l’ordre des rédacteurs a lancé un appel à un sit-in de protestation contre la situation désastreuse des médias en général et de la presse écrite en particulier. Les journalistes sont donc descendus dans la rue mardi et se sont regroupés devant la statue des Martyrs, pour exprimer leurs appréhensions et leur colère, et faire entendre leur voix. Il y avait d’ailleurs quelque chose de pathétique dans ce rassemblement, qui comptait parmi ses rangs les vétérans, les retraités, mais aussi les nouveaux visages, les techniciens, les photographes et les journalistes de terrain, tous unis dans leur angoisse pour leur avenir et celui des métiers de l’information qui avaient connu un grand essor dans les années 1990 et 2000 avant d’affronter une grande crise avec le développement des nouveaux supports numériques.

La crise frappe aujourd’hui essentiellement la presse écrite libanaise, qui a pourtant longtemps été considérée comme « le miroir du monde arabe » grâce à son dynamisme à un moment où dans la plupart des pays arabes, il n’y avait pas de presse vraiment libre. Il y a quelques années encore, le Liban comptait près de 11 quotidiens. Ce qui est énorme pour un petit pays de 4 ou 4,5 millions d’habitants dont moins du quart achète des journaux régulièrement. Mais à ce moment-là, la presse écrite locale avait une vocation panarabe et recevait en même temps des financements de nombreux États arabes qui avaient pratiquement « leur journal » au Liban.

Plusieurs facteurs ont ainsi provoqué la grave crise d’aujourd’hui : d’abord le développement des médias audiovisuels. Dans un monde où la culture a de moins en moins de place, on préfère certainement regarder la télévision ou écouter la radio plutôt que de lire un journal. Il y a eu aussi les nombreux changements dans le monde arabe, par exemple en Libye, en Irak et ailleurs, ces États finançant dans le passé des médias au Liban, et, enfin, il y a eu le grand boom technologique qui a permis aux réseaux sociaux de prendre le relais sur le plan de l’information.

Ce qu’on appelle les médias traditionnels n’ont pas vraiment vu venir la crise et ils n’ont pas su s’y adapter et se réinventer un rôle. Au lieu d’investir dans les clés de compréhension et d’explication des événements, ils ont préféré faire la concurrence aux réseaux sociaux, en misant sur la rapidité au détriment de la qualité. Alors que, selon les principes de base, une information ne peut pas être publiée ou diffusée avant d’être vérifiée et recoupée par des sources différentes, les médias traditionnels ont préféré jouer la carte de la rapidité, au détriment de la crédibilité. Ils ont donc continué à perdre du terrain face aux « nouveaux médias ».


(Pour mémoire : A Beyrouth, les journalistes manifestent pour crier leur colère)

Pourtant, le Liban continue à avoir un nombre non négligeable de quotidiens (L’Orient-Le Jour, an-Nahar, al-Akhbar, Daily Star, al-Joumhouriya, ach-Charq, Nida’ al-Watan, al-Bina’, al-Liwa’, sans parler d’Asharq al-Awssat) qui font travailler un grand nombre de journalistes, mais dans des conditions qui ne sont pas idéales. En réalité, le journalisme est l’un des rares métiers au Liban qui ne bénéficie pas de prestations sociales. Les journalistes eux-mêmes n’en ont réellement pris conscience que lorsque la crise est arrivée. L’ordre des rédacteurs fait ce qu’il peut à ce sujet, mais ses moyens restent limités. Il compte ainsi essentiellement sur la contribution de l’État aux syndicats et aux ordres professionnels, car les cotisations de ses membres restent dérisoires.

Pour sensibiliser les Libanais et surtout l’État à la situation dramatique des journalistes, ceux qui exercent le métier et ceux qui ne trouvent plus de support pour les engager, le président de l’ordre Joseph Kossaïfi a donc lancé son appel au sit-in.

De fait, tous ceux qui l’ont pu ont tenu à participer à ce rassemblement. Mais le plus remarquable, c’est que les partis politiques y ont envoyé des représentants : le Hezbollah, le PSP, même le courant du Futur (qui est pourtant actuellement en conflit avec les journalistes de la Future TV, après avoir fermé le quotidien al-Moustaqbal), les Kataëb, le mouvement Amal ont déclaré soutenir les revendications de l’ordre des rédacteurs. Celles-ci sont multiples. Elles commencent par la couverture médicale à tous les journalistes en exercice ou à la retraite qui ne bénéficient pas d’une couverture assurée par leurs médias, ainsi que la création d’une caisse pour les indemnités de fin de service. Ce sont là les revendications de base. Mais il y a aussi les projets de lois qui attendent toujours d’être adoptés au Parlement et qui renforcent le rôle de l’ordre, à la fois en l’ouvrant à tous ceux qui travaillent dans le domaine des médias et en faisant de l’adhésion à cet ordre une condition pour pouvoir exercer ce métier (comme c’est le cas pour les médecins, les avocats et les ingénieurs) et, en même temps, en lui donnant plus de pouvoir pour réglementer ce secteur professionnel. Il s’agit en fait de transformer la corporation en une structure qui rassemble, au-delà des divisions politiques et autres, et en même temps qui lui donne la latitude de parler au nom de ce secteur et en fait le recours et l’autorité dans tout ce qui a trait à l’information. La question qui se pose reste toutefois la suivante : la classe politique, notamment tous ces partis qui se sont fait représenter au sit-in, ont-ils réellement intérêt à avoir en face d’eux un ordre puissant et uni, capable de se transformer en lobby le cas échéant ? Ou bien préfèrent-ils qu’il reste faible et divisé, à la merci des aides qui lui sont accordées ?

Mardi, les journalistes se sont donc retrouvés pour crier leur inquiétude et leur colère. Mais ce rassemblement n’est que le début d’un long processus qui met l’accent sur la relation ambiguë et déséquilibrée entre les gens du pouvoir et les médias...

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