Le regard est aiguisé, la présence forte, comme le caractère que l’on devine indépendant, combatif et terrien. Najwa Barakat affirme pourtant être de nature extrêmement rêveuse. « Je l’étais beaucoup plus durant mon enfance. Toute petite, je me cachais entre deux canapés du salon pour avoir la paix et pouvoir divaguer au gré de mon imagination », se remémore la romancière désormais confortablement assise dans l’un des fauteuils de son appartement à Beyrouth.
Les rats…
De son enfance, l’auteure, benjamine d’une fratrie beaucoup plus âgée* qu’elle, garde aussi le souvenir de ses lectures précoces. Très vite, elle se met à lire et dévore tout ce qui se trouve à sa portée. Des romans pour adultes notamment, dont La peste de Camus, qu’elle lira en traduction arabe à l’âge de 10 ans et qui marquera au fer rouge sa rencontre avec la littérature. « Je me souviendrai toujours de l’horreur avec laquelle j’ai reçu les images des rats que dépeignait ce livre. Je n’en comprenais pas la teneur métaphorique évidemment. Mais ça m’est resté au point d’avoir repris, plus tard, cet animal comme une métaphore puissante dans plusieurs de mes ouvrages », indique-t-elle.
Une image qui accompagnera sa traversée de la guerre libanaise. Lorsque celle-ci éclate en 1975, Najwa Barakat, adolescente brillante et rebelle, se retrouve propulsée de la capitale où elle est née et a grandi à Bécharré, son village d’origine. Elle y passera deux ans durant lesquels elle trouve une échappatoire dans la lecture. « Entre 13 et 18 ans, j’ai ingurgité une somme d’ouvrages fondateurs. Des livres de Taha Hussein, Yahia Haqui, Youssef Habchi el-Achkar aux classiques de la littérature occidentale en passant par les écrits de Freud. »
Comme un coup de massue…
Après le bac, tiraillée entre les sentiments d’insécurité et d’enfermement, entre le désir de poursuivre de longues études mais aussi celui d’alléger le fardeau financier qui pèse sur ses parents, elle se laisse entraîner par un ami dans des études d’art dramatique à l’Université libanaise. Et se découvre ainsi une fibre scénique et un goût pour la réalisation qu’elle espère alors développer aux États-Unis. Car, première de sa promotion, elle a droit à une bourse d’études à l’étranger. Mais, en 1983, l’année même de son diplôme, le président en exercice annule les bourses de spécialisation. Une décision que Najwa Barakat reçoit comme « un coup de massue sur la tête ».
Son rêve de déployer ses ailes à l’étranger est brisé net. Mais sa volonté reste forte, et sa nature batailleuse. Elle se rue au palais présidentiel et revendique si fort son « droit à la bourse » qu’on lui offre, en compensation, un job de scénariste au Centre national du cinéma.
Ce transformateur toujours d’actualité
« Je l’ai accepté dans l’objectif de réunir ainsi la somme nécessaire à mon départ », confie-t-elle. Deux ans plus tard, à défaut d’Amérique, c’est vers la France qu’elle s’envole pour poursuivre des études de cinéma à la Sorbonne. Rapidement, elle bifurque vers le Conservatoire libre du cinéma français « qui offrait une formation moins théorique qui me correspondait mieux ».
Pour la jeune Libanaise « à la fois très forte et très timide, voire quasiment asociale », Paris est une ville pleine d’attraits mais qui reste à apprivoiser. Ce qu’elle fera par le biais de l’écriture. Ainsi, en parallèle à ses études, elle va contribuer à des journaux et magazines arabes (an-Nahar, as-Safir, al-Hayat…). Elle va aussi réaliser des travaux de traduction, enseigner la langue arabe et rédiger son premier roman Al-Mohawwel (Le transformateur en traduction française).
Un premier livre écrit comme un exutoire de son vécu d’une décennie de guerre libanaise et qui fait le récit (quasi prémonitoire !) des angoisses d’une jeune femme qui vit dans un pays privé d’électricité et dépendant des générateurs...
Entre Paris et Beyrouth
Najwa Barakat, qui travaille désormais dans la presse écrite et radiophonique (Radio France internationale), collabore aussi avec des réalisateurs libanais installés à Paris à l’instar de Jocelyne Saab ou Borhane Alawiyé. Elle écrit en parallèle des scénarios de films qui se passent tous au Liban, et qui, pour cette raison, n’arrivent pas à être développés en projets. « À chaque fois que nous décidions de nous y rendre pour entamer le tournage, un événement dramatique survenait. » À défaut de faire des films, elle écrira des romans, dont la trame se déroule inéluctablement au Liban ou dans le monde arabe. Sept en langue arabe, et un seul en français : La locataire du pot de fer (paru en 1997 aux éditions L’Harmattan), inspiré de son vécu et de son rapport à la France et sa culture. « L’écriture de ce livre a constitué une parenthèse que j’ai adorée. D’autant qu’elle était justifiée par le thème que j’y abordais. » Mais pour cette amoureuse de la langue arabe, il n’était pas question d’abandonner cette dernière. Elle y retourne d’autant plus rapidement que tous ses romans sont généralement traduits chez Actes Sud. Comme cela a été le cas pour Ya Salam et La langue du secret. Ou encore aux éditions Stock pour ce fameux Bās al-awādim (Le bus des honnêtes gens) qui lui vaudra aussi le prix de la meilleure création littéraire de l’année 1996 attribué par le Forum culturel libanais.
L’obssession de la cruauté
Sauf que pour cette romancière, au-delà des prix et de la reconnaissance, « la littérature est un lieu de dialogue et d’échanges ». L’écriture est l’espace dans lequel elle tente d’explorer ce qui la préoccupe de manière quasi obsessionnelle. À savoir « cette cruauté, ce comportement animal chez les humains, ces êtres paradoxalement dotés de sentiments si doux comme l’affection et la tendresse ». Une préoccupation qu’elle impute, sans en être vraiment certaine, à sa jeunesse durant la guerre. « Au lieu de vivre mon adolescence dans l’insouciance, j’ai été confrontée à la violence, l’incompréhension, le rejet… » dit celle qui, du coup, a envie de tendre la main aux jeunes d’aujourd’hui, « afin de les aider à déployer leurs ailes tout en communiquant avec eux autour des préoccupations de ce monde arabe en faillite ».
Après avoir créé en 2009, dans le cadre de Beyrouth capitale mondiale du livre, et en collaboration avec Dar el-Saqi, un projet intitulé « Mouhtaraf : comment écrire un roman », elle poursuit dans cette voie en animant des ateliers d’écriture qui vont lancer la carrière de « 23 nouveaux auteurs dans le monde arabe », lance-t-elle fièrement. Elle qui avait mis, au cours de ces dernières années, sa propre écriture en veilleuse revient aujourd’hui avec ce Mister Noun (publié par Dar al-Adab et dont la traduction est prévue pour septembre 2020 chez Actes Sud). Un écrivain libanais qui, après une longue période non féconde, reprend la plume. Pour réanimer son inspiration, il quitte les hauteurs d’Achrafieh pour se plonger dans le ventre de la ville : ces régions pauvres de Nabaa et Bourj Hammoud, grouillantes de personnages aux faciès, accents, rites, religions et traditions différents qu’il découvre, fasciné… Toute similitude avec l’auteure de ce roman serait-elle purement fortuite ? « Peut-être », répond mystérieusement Najwa Barakat en lançant, mine de rien, « certains de mes amis m’appellent désormais Madame Noun ».
*Najwa Barakat est la jeune sœur de Hoda Barakat, également romancière reconnue.
12 septembre 1960
Naissance à Beyrouth
1970
Découverte de la littérature avec « La peste » de Camus
1975
Elle a 14 ans quand débute la guerre du Liban
1983
La bourse obtenue pour des études cinématographiques aux États-Unis est annulée
1985
Elle s’installe à Paris et écrit son premier roman
« Le transformateur »
1996
Elle reçoit le prix de la meilleure création littéraire de l’année pour « Le bus des
honnêtes gens »
2009
À l’occasion de Beyrouth capitale mondiale du livre, elle lance les ateliers d’écriture
2011
Elle commence à partager son temps entre Beyrouth et Paris
2019
Sortie de son dernier roman « Mister Noun » (Dar el-Adab)
http://galeriecherifftabet.com/fr/alterner-home/
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