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Culture - L’artiste de la semaine

Ghassan Halwani, étranger dans sa ville

« Je ne suis pas un cinéaste, mais un artisan et, aujourd’hui, un employé au service d’autres œuvres cinématographiques. » C’est ainsi que se présente le réalisateur, qui a projeté son film « Erased, ascent of the invisible » au Metropolis dans le cadre du festival Almost There.


Ghassan Halwani.

Erased, ascent of the invisible, un film sur les milliers de personnes disparues pendant la guerre civile libanaise, projeté récemment dans le cadre du festival Almost There, est le premier « film » de Ghassan Halwani bien qu’il se défende de « faire des films », et préférerait sans doute les appeler « objets visuels »... Depuis la guerre de 2006, qu’il a vécue comme un grand K-O (knock-out), Ghassan Halwani s’est retiré de la vie active d’artiste pour travailler pour les autres, un peu dans l’ombre des films. « Je me suis senti, à cette époque, vidé de ma substance. Je n’avais plus rien à dire. Je me suis donc mis de côté. En marge de tout. » Il travaille alors avec Rabih Mroué, Joanna et Khalil Joreige, et même aujourd’hui avec Walid Mouaness, qui réalise son film 1982. Son langage, outre la photo qu’il a apprise en France, c’est le dessin. Ghassan Halwani dessine, gratte de sa main et superpose des images qui commencent à vibrer et à s’animer. Tout comme dans son film Erased où « l’échec du geste mécanique à reproduire trois dessins l’un sur l’autre donne le souffle à l’image et la fait vivre », indique-t-il. « Je crois aux échecs qui donnent vie », dit-il encore.

Retour vers les années 2000, où, après un diplôme en marketing – « j’y étais obligé pour fuir le service militaire et tout ce qui est bruit de bottes », dit-il en souriant jaune –, il quitte le Liban et suit des études de photo à l’étranger. Activiste n’ayant jamais coupé le cordon ombilical avec sa ville, avec laquelle il a un lien organique, il revient en 2005 après l’assassinat du Premier ministre Rafic Hariri, non pour soutenir ou contredire le mouvement populaire qui est né, mais pour être témoin de tous les événements qui allaient suivre. « J’avais le pressentiment qu’une métamorphose radicale (qu’elle soit bonne ou mauvaise) allait toucher le pays et je voulais être l’œil ouvert et présent pour témoigner. »


L’œil témoin
Ce n’est qu’en 2013 que Ghassan Halwani refait surface pour travailler sur Erased, un film sur les disparus pendant la guerre civile libanaise et sur leur « absence présente » dans la vie de leurs proches. « Je ne pensais pas du tout que je pourrais travailler un jour sur la cause des disparus sous l’angle artistique. J’ai commencé d’ailleurs par l’écriture. Je ne pensais pas en faire un film, puis j’ai réalisé que la possibilité d’échange avec les autres se ferait mieux sur une plate-forme de cinéma. C’était un choix stratégique. Il fallait ouvrir un débat, car il y a un seul discours sur les disparus, c’est celui des familles. Or la cause des disparus est une cause publique qui appartient à tous. » Si la guerre de 2006 avait eu gain de ses espoirs ou de ses attentes – « je suis resté longtemps sans ne pouvoir rien faire, car j’avais un sentiment de non-appartenance à l’art dans toutes ses disciplines (art contemporain ou cinéma) et une non-appartenance aux lieux et plates-formes qui en assuraient la visibilité », dit-il –, la décision de faire ce film sur les disparus était comme le réveil d’un monstre. En voyant la photo de son père (NDLR : Adnan Halwani, kidnappé en 1982) placardée sur un mur enfoui dans une masse compacte de personnes humaines, il lui semblait essentiel de prendre sa caméra et d’écrire visuellement l’œuvre devenue Erased. Ghassan Halwani est probablement l’un des derniers des authentiques, des purs qui ne transigeront jamais sur la nature de leur travail ou sur leur vision. Il continue à prendre les transports publics, car « conduire en ville est un acte trop violent », et ne se met pas à la mode des derniers smartphones. Être « en vogue » ou « à la mode », lui sont des mots non familiers. Le sang de la ville, sa ville, coule dans ses veines. Mais à présent, il le dit vicié, empoisonné. « Il y a trop d’amertume, confie-t-il, trop d’aigreur pour cet État – qui ne mérite que le nom de “pouvoir” –, puisqu’il fait de tout pour éloigner et non rapprocher les citoyens. » Dans ce premier film, Halwani propose ainsi une réflexion sur les disparus de la guerre. Il gratte les murs, les décortique, épluche couche après couche pour enfin révéler le corps (absent) de l’homme dans sa cité. C’est à partir de la notion de disparition d’un corps qu’il va décrire les paradoxes d’une ville qui lui fait mal comme une déchirure. À travers le dessin animé, la photo mais aussi le manque de musique, « car je ne veux pas imposer les émotions aux autres », il réussit à décrire l’absence/présence du corps et la destruction/construction. « La reconstruction de Beyrouth s’est faite sur la destruction d’une histoire, de notre histoire. » Et le réalisateur de conclure : « Je ne m’adresse pas dans ce film à une masse compacte qui est le public, mais à tout un chacun. C’est comme si je traitais avec ce chacun isolé dans son propre corps. » Ce corps seul dans la ville que Ghassan Halwani raconte avec une énorme pudeur.



1979

Naissance à Beyrouth.

24 septembre 1982

Jour de la disparition de son père.

1989

Jour de la reddition de Michel Aoun et de son discours.

L’année 95/96

Prise de conscience de la métamorphose typographique de Beyrouth.

Fin des années 2000

Départ du Liban.

2005

Retour au Liban.

2013

Décision de commencer le film « Erased, ascent of the invisible ».




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