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Culture - L’artiste de la semaine

Tony Chakar, plus d’une flèche à son art

Préférant l’ombre aux lumières crues, l’artiste, architecte et écrivain a tissé, lentement et en silence, une œuvre étoffée et protéiforme, dont la complexité crée une intimité avec ses spectateurs...

Tony Chakar. Photo DR

Ashkal alwan accueillait il y a quelques jours Let this Darkness Be a Bell Tower, une discussion cornaquée par Tony Chakar et qui explore le fil ténu séparant le non-espoir du désespoir. Avant (et après) son premier solo On Becoming Two qui avait eu lieu au Beirut Art Center en mars 2017, l’artiste est resté loin des médias. Son refus des lumières crues, qui tranche avec le nombrilisme de certains artistes, « j’ai toujours été introverti, ça n’a jamais changé depuis l’enfance », concède-t-il ; ses absences prolongées, « certains me taxent de paresseux, mais je préfère simplement travailler dans la lenteur »; la complexité, « à ne pas confondre avec complication »; les nuances, l’énigme de son œuvre, « cela conduit à une relation plus intime avec le spectateur qui y offre sa propre lecture »; son caractère protéiforme aussi « à la frontière de plusieurs disciplines qui ne sont pourtant pas étanches », avaient sans doute fait de lui l’une des figures majeures de l’art contemporain libanais paradoxalement peu connues du grand public.


Danser son art

Tony Chakar donne rendez-vous à deux pas de chez lui, dans un café, place Sassine, lieu sésame qui ouvre des passerelles secrètes vers un Beyrouth jauni que l’artiste a toujours refusé de quitter. « J’aime le climat ici et puis la nourriture aussi. Mon ventre passe avant tout! » lance-t-il presque en plissant les yeux de bonheur sous le soleil piquant de juillet. Pourtant, nous sommes au lendemain de l’annulation du concert de Mashrou’ Leila, et Chakar ne peut s’empêcher de penser que « cela révèle une pourriture de la société libanaise sous le vernis d’une pseudo ouverture », évoquant l’obscurantisme dont il avait également subi les foudres en 1999, lors de son installation Retroactive Monument for a Chimerical City avec Ashkal alwan. « J’avais choisi d’installer une statue d’une déesse romaine à la Corniche, en face du McDo de Aïn Mrayssé. Nous avions aussitôt reçu des plaintes de gens qui considéraient cela mal placé, vu que la statue se trouvait aussi à côté de la mosquée. Tous les soirs, par précaution, je rangeais donc la statue au Théâtre de Beyrouth. Le dernier jour, je l’avais laissée à sa place, seulement pour venir la retrouver en miettes le lendemain matin. »

Si cet évènement marque la première intervention publique de Tony Chakar, ce dernier préfère s’en rappeler comme d’une « première rencontre avec quelque chose de malsain et de très ancré dans les mentalités libanaises » plutôt que d’une entrée dans le domaine de l’art. C’est que celui qui s’aime en « danseur de (son) art, (se) baladant entre plusieurs médiums », avoue avoir du mal avec l’étiquette d’artiste que l’on cherche à lui estampiller. « En fait, une fois la guerre soi-disant terminée, je me suis retrouvé avec d’autres jeunes comme moi à vouloir chercher des réponses à des évènements dont on n’avait jamais réellement compris le début ou la fin. Des affinités se sont créées entre nous, à la faveur de discussions et d’une manière de penser assez similaire. Ensuite, à défaut de mots, on s’est mis à faire des choses, et ces choses, sur le tard, on a choisi de les ranger dans la case art. »


Un raconteur d’histoires

Depuis cet épisode, le flot de ses recherches, mêlé à celui de ses pensées, n’a cessé de conduire l’homme « qui refuse la facilité » vers un art de tous les possibles, dont il se plaît à réinventer les codes à son rythme et à sa façon, parallèlement à son métier de professeur d’histoire de l’art et de l’architecture à l’ALBA. Pour ce faire, tantôt il emprunte à l’architecture de ses études, comme par exemple sur All That Is Solid Melts into Air, une acrylique murale à travers laquelle Chakar interrogeait la suprématie d’une carte, dans le cadre d’abord du Hamra Street Project instigué par Ashkal alwan en 2000, puis, dans d’autres dimensions, au sein de son exposition solo « Becoming Two » au Beirut Art Center en 2017.

Tantôt il use des mots, et plus particulièrement de l’oral, pour ses performance-talks, tel The Eighth Day où il tissait à la Biennale de Liverpool en 2008 des similitudes entre la notion de trou noir et celle de la guerre de 2006, « par le fait même que ces deux évènements se mesurent de par l’effet qu’ils ont sur les choses qui les entourent ». Tantôt, aussi, il arrive à Tony Chakar de simplement proposer une réflexion sur le monde et sur les changements qui le trament en puisant dans la théologie en particulier. « À travers mon installation Of Other Worlds that Are in this One, j’ai voulu plancher sur la manière dont on regarde le monde qui a été définie par l’époque de la Renaissance, une projection d’images sur un plan qui fait

semblant d’exister et qui contraste, par exemple, avec toute l’imagerie des icônes religieuses qui, au contraire, joue sur les surfaces plutôt que la profondeur », explique-t-il en détaillant les nuances de ce travail.

Comme autant de facettes qui font finalement de Tony Chakar, par-delà son art, un raconteur d’histoires hors pair, qui préfère, comme les grands auteurs, se mettre dans l’ombre et laisser son œuvre parler pour lui…


5 mai 1968

Naissance à Beyrouth.

Février 1977

Son père est tué par un sniper.

1992

Première fois qu’il écoute « Smells Like Teen Spirit » à la radio dans une voiture.

1996

Son premier article publié dans « Mulhaq an-Nahar. »

1999

Sa première intervention dans un espace public, « A Retroactive Monument for a Chimerical City » (avec Ashkal alwan).

2017

Son premier solo show, « On Becoming Two », au Beirut Art Center

2018

Après de longues années de refus de vendre ses œuvres, vente d’une première pièce au Van Abbemuseum aux Pays-Bas.



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