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Culture - L’artiste de la semaine

Ginane Makki Bacho, foule sentimentale...

Ses interminables saisons de migration s’étirent à la galerie Agial jusqu’au 31 août. Elles narrent les déplacements de ces êtres humains perdus, à l’œil hagard. Faute d’écrire, l’artiste plasticienne, rebelle et activiste, raconte en peinture, sculpture ou autres médias ses combats, ses blessures et ses espoirs.

Ginane Makki Bacho. Photo DR

Ses innombrables toiles (gravures ou mixed media) accrochées aux murs de son appartement côtoient ses poupées miniatures rapportées de destinations diverses (Côte d’Ivoire, Ukraine…) ; ainsi que ses poteries africaines, ses crayons en nombre indéfini, ses petites boîtes à pilules, ses œufs multicolores, ses bouquins (recueils de Victor Hugo et autres poètes occidentaux et orientaux) rangés dans des bibliothèques, phagocytant les salons ou même posés sur le sol servant de socles à des sculptures. Tous ces objets, œuvres ou photographies qui pullulent et se régénèrent chaque an, cohabitent avec Ginane Makki Bacho ou plutôt l’habitent. Ils sont cette foule d’émotions qui, au fil du temps, ont explosé en elle (tels les obus que sa famille et elle ont dû subir durant la guerre du Liban) pour forger sa personnalité, la façonner et faire d’elle ce qu’elle est aujourd’hui, une artiste engagée envers l’humain, infatigable, résolue, exigeante de son art. On n’oserait suggérer le mot « accompli » bien qu’on pense qu’elle l’est vraiment, une artiste accomplie. Mais on sait que l’accomplissement pour elle n’a pas de limites, ni de fin. « Vous allez rire, dit-elle, si je vous avoue que même sous les bombes dans un Liban en guerre, mes mains n’ont jamais cessé de modeler ou de peindre. D’ailleurs, et comme si elle zappait le temps d’un geste, j’ai encore plein d’idées dans la tête, pourvu que je puisse les réaliser. »


Engagée pour la paix

Dans son laboratoire, situé dans le même immeuble, où elle a entassé tous les déchets métalliques rapportés de magasins de quincaillerie, de garages ou même de dépotoirs d’Ouzaï, elle sculpte et tel un forgeron brise le métal et le bronze, leur donnant la forme qu’elle désire. Là, s’entassent des squelettes de projets, des assemblages qui verront sans doute le jour très bientôt, mais également des familles de cèdres et ces tours qu’elle a réalisées auparavant et qui témoignent de son enracinement dans le pays et de l’influence de la guerre sur son travail. Car malgré les voyages, les migrations qu’elle a elle-même vécues avec sa famille, les départs au Koweït, aux États-Unis pendant de longues années, Ginane Makki Bacho est retournée à bon port, même si parfois elle ne retrouve plus ses repères ni reconnaît les noms des rues et des institutions qui ont forgé le patrimoine de son Liban natal. Elle y puise cependant son essence et sa pulsion première, la passion pour tous les arts de la peinture, sculpture et gravure, qui ont sillonné son parcours. Et surtout ce désir de partager et même d’éduquer, à comprendre dans son terme le plus pédagogique. « J’ai grandi dans une ambiance d’éducateurs, entre une mère enseignante et un père doyen de la faculté des lettres de l’Université libanaise. J’ai hérité de toutes les valeurs qu’ils m’ont inculquées, à savoir la non-violence, la laïcité et le respect de toutes les croyances mais aussi de la justesse et de la droiture. » Toutes ces influences et cette mémoire accumulée, elle les a, un jour, reproduits avec des collages sur de grandes toiles teintées de nostalgie pour l’ancien Beyrouth. Une façon d’exorciser le temps ou même de l’hiberner.


Mémoire du pays

Dès son jeune âge et malgré son penchant pour le dessin, l’artiste s’oriente d’abord vers les lettres mais s’arrête à la soutenance de son diplôme et lâche la plume pour le crayon : « J’ai toujours aimé le dessin. » Après deux ans passés à l’Institut des beaux-arts de Beyrouth où elle apprend les règles académiques auprès des plus grands noms de la peinture (Hussein Madi, Amin el-Bacha, Jean Khalifé…), elle décroche sa licence en gravure à l’Université américaine de Beyrouth, puis son master à l’Institut Pratt de Brooklyn à New York. Des départs forcés, à cause de la guerre – d’abord au Koweït puis vers les États-Unis où elle demeure 16 ans – font d’elle une nomade. Puis c’est le retour au pays. « En 2013, le propriétaire de la galerie Ayyam me défie de peindre mes mémoires. ». Afterimage était un repli sur elle-même et dans la mémoire. Elle consacre ainsi deux ans à se peindre en tant que femme avec, en fond de toile, les métamorphoses de sa ville.

Sa démarche s’articule désormais sur des collages en peinture ou des assemblages en sculpture. Elle sauvegarde des lettres, les documents de son père, les photos mais aussi des pensées éparses et en fait un montage comme dans un film. « Je suis, en fait, une raconteuse d’histoires et tous ces détails de ma vie, je ne veux pas les jeter. Demain, mes enfants s’en chargeront. Tous ces objets que je collectionne parfois compulsivement et obsessionnellement, ce sont mon univers. Un monde indissociable de moi-même. »

Ginane Makki Bacho est une artiste engagée mais aussi une femme de passion. « Je suis devenue quatre fois maman et je compare mes sentiments maternels à une surface limpide que rien ne peut perturber. Ces sentiments, je les retrouve dans la création d’une œuvre. » Si elle a exposé en France et en Amérique, dans des pays arabes, au musée « National Women in the Arts », récemment à Brooklyn Museum, elle continue aujourd’hui d’exposer chez Saleh Barakat : « Mes sculptures portent sur mes visions de l’actualité politique, mais Afterimage demeure la mémoire de ma vie et de ma ville Beyrouth que j’adore », confie-t-elle.

C’est ainsi que ses dernières installations en 2016 à la galerie Saleh Barakat et actuellement chez Agial redonnent la vie. Elles charrient avec elle des émotions multiples comme la haine, la colère, la tristesse mais aussi l’espoir d’un monde meilleur. Ses êtres assemblés et reconstitués ne sont pas des poupées, mais « des reproductions expressives et rappellent notre humanité défaillante. Rien ne dure et nous ne sommes que des passagers sur cette terre. Il faut donc toujours travailler pour laisser des traces après soi ».


9 septembre 1947

Naissance à Beyrouth.

9 juin 1967

La démission de Gamal Abdel Nasser, le rêve d’un monde arabe uni.

14 juin 1968

Elle donne naissance à son premier enfant.

1er décembre 1988

La perte de mon père et maître qui a cru en moi.

Juin 2000

Retour des États-Unis, après 16 ans de vie mouvementée.

17 décembre 2010

Début du printemps arabe qui « nous a donné de nouveau de l’espoir, avant la désillusion ».

18 mars 2013

La naissance de la première petite-fille et première fille de la famille (...). « Elle me ressemble et est ma continuation. »



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