L’intervention télévisée du chef des Forces libanaises, Samir Geagea, jeudi soir, a sans aucun doute marqué un tournant majeur sur la scène politique libanaise au milieu d’une crise aiguë que vit le pays depuis le début de l’affaire de Qabr Chmoun. Les positions en flèche exprimées par M. Geagea – qui a saisi l’opportunité pour se positionner en tant que candidat sérieux pour la prochaine élection présidentielle – et ses attaques contre le président de la République qu’il avait épargné jusque-là, et de manière plus virulente encore contre le chef du CPL, sont autant de signes précurseurs que le divorce est désormais consommé entre les deux formations et avec Baabda. Ce revirement significatif de la part de M. Geagea, qui n’a pas voulu cette fois-ci « porter des gants », comme le souligne un cadre FL, peut s’expliquer en partie par la crise provoquée par l’incident de Qabr Chmoun, dont le dénouement n’est toujours pas en vue. Il est toutefois principalement motivé par une disjonction entre le CPL et les FL, qui s’est progressivement mise en place, le camp aouniste n’ayant pas, selon les FL, respecté ses engagements comme prévu dans l’accord de Meerab, qui avait scellé, en 2016, la réconciliation et un partenariat politique entre les deux formations et donné lieu au compromis présidentiel qui a fait parvenir Michel Aoun à la tête de la présidence.
À maintes reprises, les FL ont accusé le successeur de Michel Aoun à la tête du CPL, Gebran Bassil, de vouloir faire cavalier seul et de résumer à lui seul le sexennat en monopolisant la prise de décision, court-circuitant ainsi aussi bien les FL que le président de la République, qui, selon Samir Geagea, n’avait plus son mot à dire.
C’est à cet état de fait qu’a fait allusion jeudi M. Geagea en expliquant que toutes les fois qu’il allait solliciter le chef de l’État, ce dernier le renvoyait à M. Bassil, lui signifiant qu’il était incontournable pour toute solution.
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Une chose est certaine : c’est un ras-le bol qu’a cherché à exprimer par le biais d’un message fort le leader des Forces libanaises qui, durant près de deux heures, a passé en revue ce qu’il considère être des dysfonctionnements majeurs au sein du partenariat entre le CPL et les FL, mais aussi au niveau de la gestion de l’État dans son ensemble. M. Geagea a notamment reproché au président Aoun de « ne pas s’acquitter de ses responsabilités » et d’avoir échoué à intégrer le Hezbollah dans le giron de l’État.
« En tant que chef de l’État qui se prévalait de son partenariat avec le Hezbollah, M. Aoun s’était pourtant engagé à ramener le Hezbollah à sa libanité, et non à se laisser entraîner par le parti dans une autre direction », a souligné M. Geagea.
M. Geagea a également exprimé de manière tout aussi directe son opposition à la saisine du Parlement par le chef de l’État concernant la polémique entourant la parité islamo-chrétienne dans l’administration. « Je suis contre l’initiative du président Aoun d’adresser une question à ce sujet au Parlement car j’estime que le moment n’est pas propice », a-t-il dit, laissant entendre qu’elle risque de provoquer des clivages communautaires sérieux, toute remise en cause de la Constitution par le biais d’un exercice d’interprétation de certaines de ses clauses ne manquant pas d’ouvrir la boîte de pandore. Un exercice d’autant plus dangereux à un moment où la communauté sunnite, représentée notamment par le courant du Futur qui défend bec et ongles les accords de Taëf, est monté au créneau à plusieurs reprises pour rappeler que ce texte est intouchable.
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Ces critiques inédites visant le chef de l’État ne signifient pas pour autant que les ponts sont coupés avec Baabda, insiste-t-on dans les milieux FL où l’on assure l’attachement de M. Geagea « à entretenir les meilleures relations avec le sexennat ». Idem pour l’accord de Meerab qui, en dépit des multiples entorses qu’il a subies, continue de servir par « ses valeurs intrinsèques et ses effets sur la société en général par-delà les divergences politiques », comme le souligne un responsable FL.
« M. Geagea aurait pu simplement dire qu’il n’en voulait plus. Or, il ne l’a pas fait, pour laisser une marge de manœuvre pouvant permettre au chef de l’État à agir pour rectifier le tir », poursuit le responsable qui a requis l’anonymat.
Pour l’ancien député et membre du bureau politique du courant du Futur, Moustapha Allouche, en ciblant le chef de l’État qu’il avait pourtant ménagé au cours des trois dernières années, Samir Geagea est sorti de sa réserve en laissant entendre qu’il n’est plus question de tergiverser. « Cela signifie que la relation entre le CPL et les FL est désormais pire que ce qu’elle était », dit-il.
Un député influent du CPL va encore plus loin en affirmant qu’après cette intervention, les FL et avec elles le PSP « ont franchi le pas en mettant un pied dans le camp de l’opposition au sexennat ». Jusque-là, rappelle le responsable, les deux formations faisaient la nette distinction entre le CPL et la présidence de la République. « Ce n’est plus le cas. On peut dire que le divorce est consommé sur le plan politique. »
Pour la première fois depuis le début du sexennat, M. Geagea a évoqué sa candidature à la présidence de la République, affirmant que s’il est élu (en 2022), « les Libanais seront en 2025 certainement dans une meilleure situation qu’aujourd’hui ». Un signe que la campagne pour la présidentielle a en effet commencé pour M. Geagea.
« Il est grand temps de changer la perception des gens selon laquelle il y aurait deux candidats seulement à la présidence de la République, à savoir Gebran Bassil et Sleiman Frangié. L’aspiration à la magistrature suprême n’est pas confinée à ces deux acteurs. Le message de M. Geagea était clair : je suis également un candidat sérieux avec un projet politique bien défini », insiste le responsable FL.
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commentaires (6)
Il n’y a d’aveugle que ceux qui ne veulent pas voire ... les FL SONT LE FER DE LANCE DE L’OPPOSITION !!
Bery tus
00 h 00, le 04 août 2019