C’est le ministre de l’Économie et du Commerce, Mansour Bteich, qui l’a dit hier : il n’y aura probablement pas de réunion du gouvernement cette semaine. D’une part parce que les ministres seront occupés par les séances parlementaires consacrées au vote du projet de loi sur le budget qui s’étalent sur trois jours, passibles de prolongation, et d’autre part parce que l’affaire de Qabr Chmoun continue d’empoisonner le climat politique.
Certes, toutes les parties politiques affirment que les contacts se poursuivent discrètement pour tenter de trouver une issue à cette dramatique affaire, mais jusqu’à présent ils n’ont pas abouti à un scénario acceptable pour tous. De même, la mission du directeur de la Sûreté générale, Abbas Ibrahim, se poursuit, mais elle bute encore sur les positions contradictoires des protagonistes. Jusqu’à présent, le chef du PSP, Walid Joumblatt, refuse de livrer aux autorités compétentes une dizaine de personnes suspectées d’avoir participé à l’incident, posant comme condition que l’émir Talal Arslane en fasse de même. Cela peut paraître anodin, mais ce point résume justement toute la portée de l’incident. Pour M. Arslane et ses partisans, il n’est pas possible de mettre sur le même plan des éléments armés qui ont utilisé des armes illégales pour viser sciemment le convoi du ministre chargé du dossier des réfugiés syriens Saleh Gharib, et les gardes du corps de ce même ministre qui portent des armes légalement et dont la mission est de protéger ce dernier et d’ouvrir les routes bloquées pour lui permettre de passer. En principe, les gardes du corps d’une personnalité ont suivi une formation adéquate pour remplir cette fonction et lorsqu’ils voient un attroupement bloquant le passage de leur convoi, ils sont autorisés à tirer en l’air pour dégager la voie. Si par mégarde, leurs tirs atteignent des citoyens, il s’agirait alors d’une bavure qui doit suivre un processus disciplinaire interne précis pour aboutir à des sanctions, ou être déférée devant le tribunal militaire. Mais ils ne peuvent pas être assimilés à ceux qui portent des armes illégales et qui veulent empêcher le passage d’un ministre à n’importe quel prix.
C’est donc sur ces deux logiques différentes que repose la querelle actuelle sur la remise ou non à la justice des suspects. Pour Talal Arslane, les gardes du corps du ministre Gharib ne peuvent être entendus qu’en tant que témoins, alors que pour Walid Joumblatt, ils sont aussi responsables du drame que ses propres partisans qui s’étaient déployés sur la route secondaire menant vers Qabr Chmoun pour bloquer le passage de Saleh Gharib.
(Lire aussi : Cour de justice : toujours pas de compromis en vue)
Selon une source proche du Parti démocratique libanais (PDL, de Talal Arslane), c’est là que réside le vrai problème, non dans le fait de déférer le dossier devant la Cour de justice, même si les deux questions sont finalement liées. En effet, le fait de déférer le dossier devant le tribunal d’exception, dont les jugements sont sans recours, est symbolique et constitue une mise en cause directe du parti de Walid Joumblatt en tant que facteur de perturbation de l’ordre public. Bien entendu, nul ne peut prévoir dès maintenant quel serait le jugement – s’il y en avait un – et rien ne dit que le parti serait condamné en tant que tel, mais la tenue même du procès pourrait constituer une sorte de désaveu moral. Ce serait d’ailleurs pour cette raison que le Premier ministre Saad Hariri, qui est au cœur des réunions qui se déroulent depuis quelques jours pour tenter de trouver une issue à cette crise, ne serait pas très chaud pour que l’affaire soit déférée devant la Cour de justice.
Pour M. Hariri, la priorité est de sauver la cohésion gouvernementale et d’arrondir les angles afin de permettre au Conseil des ministres de travailler enfin à un rythme normal. Or il estimerait, dans ce contexte, que l’examen de ce dossier par la Cour de justice, avec la médiatisation qui devrait l’accompagner, serait de nature à raviver les tensions et les divisions entre les membres du cabinet. Selon les sources précitées, c’est pour cette raison que le Premier ministre a donc décidé de reporter la réunion du gouvernement. C’est lui qui a donc pris la décision, pour donner plus de temps aux médiations, sachant que dans le contexte actuel, si ce sujet est soumis au vote au sein du Conseil des ministres, il a de fortes chances d’être adopté, le Bloc du Liban fort (qui soutient Talal Arslane) ayant pratiquement onze voix et pouvant bénéficier de celles des ministres du Hezbollah et d’Amal (6). Saad Hariri a donc préféré, comme il l’a déclaré lui-même, laisser les esprits se calmer et donner une chance à un compromis acceptable, avant de convoquer une réunion du Conseil des ministres. Toutefois, selon des sources gouvernementales, les propos du secrétaire général du Hezbollah dans le cadre de l’entretien accordé vendredi à la chaîne al-Manar, sur le PSP et son chef n’indiquent pas que l’on se dirige vers un compromis. C’est en effet la première fois que Hassan Nasrallah critique de cette façon le leader druze. Certes, il a concentré ses propos sur l’affaire de Aïn Dara, mais il n’a pas l’habitude de développer autant un dossier conflictuel interne, même si, dans ce cas précis, il s’agit d’une réponse à une question dans le cadre d’un entretien, préférant généralement axer sur la nécessité de privilégier le dialogue avec les parties internes. Les accusations inattendues de Hassan Nasrallah contre le chef du PSP et la réponse de ce dernier, à partir du domicile du Premier ministre, samedi, donnent donc l’impression que le conflit demeure profond et que l’affaire de Qabr Chmoun cristallise des griefs anciens et nouveaux qui semblent difficiles à dépasser.
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commentaires (7)
Il n'est pas dans les prérogatives d'un ministre venu de la société civile de commenter les querelles inter-druzes, comme il n'est pas dans les prérogatives d'un ministre "Ibn Battouta" de s'en occuper non plus. C'est un problème qui concerne le chef du Gouvernement et la ministre de l'Intérieur. Point à la ligne.
Un Libanais
16 h 26, le 15 juillet 2019