Les événements semblent se précipiter au Liban. Après l’affaire de Qabr Chmoun, dont les séquelles continuent à se faire sentir au niveau politique et populaire, il y a eu les nouvelles sanctions américaines contre des responsables du Hezbollah dont deux députés. Pour certains, les deux développements ne sont pas liés entre eux et pour d’autres, au contraire, ils s’inscrivent dans le cadre d’un même plan pour affaiblir le mandat du président Michel Aoun, ce dernier étant considéré comme un allié du Hezbollah et en tout cas, il constitue un rempart face à son affaiblissement et à son isolement politique.
Pour les partisans de cette thèse, même si les incidents de Qabr Chmoun ne sont pas le résultat d’un plan prémédité pour assassiner un ministre (ou plus), la réaction du chef du PSP après le fameux « dimanche noir » n’était pas à l’apaisement. Or, toujours selon les partisans de cette thèse, Walid Joumblatt avait pris l’habitude ces derniers temps de chercher à calmer le jeu. À plus forte raison, il aurait dû le faire après un incident aussi grave qui a non seulement menacé la vie d’un ministre, mais aussi ramené le Liban à l’époque des fiefs et des barricades politiques et confessionnelles. Dans les déclarations qui ont suivi ce drame, le leader druze a tenu des propos plus ou moins conciliants à l’égard de Talal Arslane, mais il a poursuivi ses critiques violentes contre le chef du CPL et ministre des Affaires étrangères Gebran Bassil. Cette attitude pourrait avoir deux explications : soit il cherche à calmer sa communauté qui accepte mal le versement du sang de ses fils pour quelque raison que ce soit, soit il a compris qu’il y avait un plan régional et international sérieux pour affaiblir le Hezbollah en poussant ses alliés à le quitter s’ils ne veulent pas en payer le prix. Toujours dans ce même contexte, les partisans de la thèse du complot affirment qu’il y aurait actuellement des tentatives pour relancer le mouvement du 14 Mars contre le Hezbollah et le CPL. C’est dans cette optique que des efforts sont déployés pour rapprocher le chef des Forces libanaises du chef du PSP, en mettant en avant « la réconciliation de la Montagne » qui a été réalisée en 2000, sous la houlette du patriarche Sfeir.
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Placé dans ce contexte, l’incident de Qabr Chmoun ne serait plus un épisode isolé, qu’il s’agisse d’une réaction spontanée à la visite de Bassil ou d’un acte prémédité. Il aurait donc une dimension régionale, voire internationale, et il devrait être suivi d’autres mesures allant dans le même sens et visant à rétablir la fameuse division interne libanaise qui a commencé en 2005 avec l’assassinat du Premier ministre Rafic Hariri. Cette division a été toutefois neutralisée par ce qu’on appelle « le compromis présidentiel » conclu entre l’actuel président Michel Aoun et le Premier ministre Saad Hariri et qui a abouti à l’élection du premier à la tête de la République et à l’arrivée du second à la tête du gouvernement.
Ce « compromis présidentiel » a d’ailleurs connu plusieurs secousses au cours des trois premières années du mandat Aoun qui s’achèveront le 31 octobre, dont la plus importante a été l’épisode de la démission du Premier ministre Saad Hariri à partir de Riyad en novembre 2017. Mais, malgré tout, il continue de tenir le coup, en dépit des tentatives répétées de l’ébranler de la part de tous ceux qui se sentent exclus depuis qu’il a été conclu. L’incident de Qabr Chmoun pourrait-il être une de ces tentatives destinées à défaire le partenariat entre le CPL et le courant du Futur qui est l’une des clés de la stabilité actuelle dans le pays ? Le raisonnement pourrait se tenir sachant que les dernières années ont montré que le 14 Mars sans le courant du Futur et son chef n’a pas vraiment une présence efficace dans la vie politique libanaise.
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Il existe toutefois une autre interprétation des faits qui perçoit l’incident de Qabr Chmoun comme le résultat de la politique d’exclusion pratiquée, selon les partisans de cette thèse, contre le leader druze Walid Joumblatt, en dépit des signaux positifs adressés par ce dernier au cours des trois dernières années. Selon cette thèse, le CPL, profitant de son alliance avec le courant du Futur d’un côté et le Hezbollah de l’autre, chercherait à s’imposer comme le grand décideur du mandat actuel, pratiquant une politique d’exclusion à l’égard de tous les autres acteurs politiques. Les tournées dans les différentes régions du ministre Gebran Bassil s’inscriraient dans ce cadre, ainsi que ses discours qualifiés de « provocateurs ». Face à cette « offensive bassilienne », il ne faut pas s’attendre à ce que les autres parties restent inertes. Au contraire, chacune va réagir à sa manière et selon les émotions de ses partisans. Selon cette interprétation, le message de Qabr Chmoun (et de Tripoli) est clair : Bassil dérange car il joue en solo, sans respecter les équilibres politiques et les autres composantes, fort du fameux compromis présidentiel.
Face à ces deux approches contradictoires, c’est l’enquête officielle qui devrait trancher et déterminer la dimension réelle de l’incident de Qabr Chmoun. Mais ce qui est sûr, c’est que le malaise qu’il a provoqué reste profond, surtout qu’il a eu lieu à une période particulièrement compliquée pour la région et le monde.
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commentaires (6)
2 lectures contradictoires ? non 3 lectures je dirais. la 3 e etant celle que le citoyen libanais lambda donne avec assurance : les 2 1eres lectures sont de la connerie , criminelle DE SURCROIT.
Gaby SIOUFI
12 h 56, le 14 juillet 2019