Des tentes au sol, certaines calcinées, des objets abandonnés çà et là : c'est sur cette artère devant le siège de l'armée à Khartoum, occupée pendant deux mois par des milliers de manifestants, que soufflait l'espoir d'une transition démocratique au Soudan, étouffé lundi dans le sang.
La veille de la fête du Fitr, qui marque la fin du mois de jeûne musulman du ramadan, des hommes armés, nombreux, en treillis, ont brutalement dispersé à l'aube le campement dressé depuis le 6 avril par le mouvement de protestation.
Les manifestants avaient pourtant réussi à mettre fin à une dictature, précipitant la chute du président Omar el-Bachir, destitué par l'armée le 11 avril après 30 ans de règne. Ils avaient ensuite poursuivi leur mouvement pour réclamer aux militaires qu'ils donnent le pouvoir aux civils.
Mais alors qu'elles avaient jusque-là fait preuve de retenue, les forces de sécurité soudanaises ont finalement mis en œuvre les mots du dictateur déchu qui, au début de la contestation née le 19 décembre, avait sommé "les rats de regagner leur trou".
Des vidéos sur les réseaux sociaux ont montré des manifestants tentant de prendre la fuite, certains portant des blessés à bout de bras ou sur des brancards. Proche de la contestation, le Comité de médecins soudanais a avancé le chiffre de 113 morts et plus de 500 blessés. Un bilan contesté par le gouvernement (61 morts). Selon ces médecins, 40 corps ont été repêchés dans les eaux du Nil. "Un massacre", a dénoncé l'Association des professionnels soudanais (SPA) qui fait partie de l'Alliance pour la liberté et le changement (ALC), fer de lance de la contestation.
Pour les protestataires, il n'y a pas l'ombre d'un doute: les paramilitaires des Forces de soutien rapide (RSF), qu'ils considèrent comme un avatar des Janjawid, milices accusées d'atrocités durant la guerre civile au Darfour (ouest), sont responsables de la tuerie.
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"Sous-main"
Ces forces armées sont dirigées par un des deux nouveaux hommes forts du pays: le redouté général Mohammed Hamdan Daglo dit "Hemeidti", ancien chef de milices qui ont terrorisé le Darfour, passé numéro deux du Conseil militaire au pouvoir depuis la chute de Bachir. A la tête du Conseil, le général Abdel Fattah al-Buhrane, un militaire de carrière inconnu du grand public jusqu'à ce qu'il soit propulsé à la tête du pays. Quelques jours avant la dispersion du sit-in, il s'était rendu en Egypte, aux Emirats arabes unis, ainsi qu'en Arabie Saoudite. Officiellement, ces trois pays ont appelé à la reprise du dialogue, mais leurs dirigeants sont soupçonnés par les manifestants et des experts de chercher à maintenir le statu quo et de soutenir l'armée.
Désormais, les généraux soudanais sont sous la pression de la communauté internationale pour céder rapidement le pouvoir. Vendredi, le premier ministre éthiopien s'est rendu à Khartoum pour tenter de résoudre la crise et a lancé un appel au dialogue.
La veille, l'Union africaine (UA) avait suspendu le Soudan "jusqu'à l'établissement effectif d'une autorité civile de transition". Une initiative saluée par l'Union européenne. L'ONU, Washington, Londres et la France avaient eux aussi condamné la répression et appelé à la reprise des négociations. Après les violences, les protestataires ont rejeté tout dialogue avec un Conseil qui "tue des gens". Les discussions étaient suspendues depuis le 20 mai, les deux parties ne parvenant pas à trouver un accord sur la présidence et la composition du Conseil souverain censé gérer la période de transition pendant trois ans. Après l'intervention éthiopienne, l'ALC a déclaré envisager une reprise des discussions, opposant toutefois des conditions: la "reconnaissance" par le pouvoir des violences sur les manifestants, la libération des prisonniers et le "retrait" de la présence militaire dans tout le pays.
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"Terreur"
Depuis l'évacuation du sit-in, les rues de la capitale sont restées quasiment désertes. Certains habitants ont avoué vivre dans la "terreur". Ces derniers jours, les membres des RSF, en uniformes beiges et armés de kalachnikov, ont déambulé dans les rues, à pied ou à bord de pick-up, lourdement armés. Le lieu du sit-in est inaccessible, surveillé par l'armée et des membres des RSF. Les barrages de fortune, montés par les manifestants pour empêcher les forces de l'ordre de passer, ont été retirés, tout comme des affiches réclamant "le pouvoir aux civils" et "le renversement du Conseil". Mais le mouvement de contestation, né après la décision du gouvernement de tripler le prix du pain, espère encore un soubresaut. Les chefs de la contestation ont appelé à continuer "la révolution", à la "désobéissance civile" et à des "rassemblements pacifiques". Selon des observateurs, il y a un risque réel que la situation s'enlise dans une guerre civile. Trois jours après la fin du sit-in, quelques magasins avaient rouvert leur grille à Khartoum. Des files de Soudanais se formaient à nouveau devant les enseignes, dans un pays qui manque de tout, pris à la gorge par une économie exsangue et une inflation galopante. Vendredi, quelques voitures osaient s'aventurer sur les principales artères de Khartoum, qui sortait lentement de la torpeur dans laquelle la violence l'a fait sombrer.
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