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Moyen Orient et Monde - Soudan

Répression sanglante du régime contre les manifestants à Khartoum

Presque deux mois après la chute de Omar al-Bachir, l’armée soudanaise et des milices paramilitaires ont tiré à balles réelles sur la population, faisant plusieurs dizaines de morts.

Les forces soudanaises déployées à Khartoum ont pris d’assaut hier le campement installé depuis des mois par des manifestants antigouvernementaux. Ashraf Shazly/AFP

Le bras de fer que se livraient depuis deux semaines le mouvement soudanais de contestation sociale et la junte militaire, au pouvoir depuis près de deux mois, a conduit hier à une effusion de sang dans la capitale Khartoum et la ville jumelle d’Omdourman, en cette fin de mois de ramadan.

Les forces soudanaises et des milices paramilitaires sont intervenues à l’aube contre des manifestants qui effectuaient pacifiquement un sit-in depuis plusieurs jours devant le quartier général de l’armée, dans le centre de Khartoum. Dans son dernier bilan, le Comité central des médecins, proche des manifestants, a fait état de « plus de trente morts » et de centaines de blessés. Le bilan pourrait toutefois s’alourdir.

En réponse, l’Alliance pour la liberté et le changement (ALC), fer de lance du mouvement de contestation, qui s’est toujours montrée pacifique jusqu’à présent dans ses revendications, a annoncé dans un communiqué « l’arrêt de tout contact politique et des négociations » avec le Conseil militaire de transition, qui dirige le pays depuis la déposition de l’ancien président soudanais Omar al-Bachir, le 11 avril dernier, et appelé à « la grève et la désobéissance civile totale et indéfinie à compter d’aujourd’hui », à des « marches pacifiques et des cortèges dans les quartiers, les villes, les villages », et à « renverser le Conseil militaire ».

« Nous n’avons pas dispersé le sit-in par la force », a affirmé le porte-parole du Conseil militaire, le général Chamseddine Kabbashi, à la chaîne de télévision Sky News Arabia, diffusée depuis les Émirats arabes unis. Les forces armées et des RSF (Forces de soutien rapide, sous la direction des services de renseignements soudanais) ont mené « une opération conjointe pour nettoyer certains sites » près du sit-in, a déclaré le Conseil militaire dans un communiqué publié en fin d’après-midi, pointant des « activités illégales » sur ces lieux. De nombreuses vidéos diffusées sur les réseaux sociaux et vérifiées par l’agence Reuters montrent toutefois des manifestants prendre la fuite, alors que des coups de feu retentissent.

Le sit-in « est devenu une plaque tournante pour toutes sortes d’activités criminelles, un lieu dangereux, une menace (…) pour la sécurité nationale de l’État », avait déclaré Osman Hamid, un général de la milice des RSF, d’après des propos rapportés par le Sudan Tribune le 31 mai. « Nous, les forces de soutien rapide, en coordination avec d’autres forces de sécurité (...), sommes responsables de la restauration de la sécurité des citoyens (et mènerons) des procédures judiciaires pour mettre fin à ces violations et ce comportement », avait-il ajouté.

Entre appels au dialogue et condamnations

Les réactions internationales n’ont pas tardé à affluer. L’Égypte, voisine du Soudan, a appelé à une reprise du dialogue à Khartoum entre les représentants du mouvement de contestation et les militaires au pouvoir. Dans un communiqué, le ministère égyptien des Affaires étrangères a jugé « important que toutes les parties soudanaises exercent la retenue et retournent à la table des négociations avec l’objectif de réaliser les aspirations du peuple soudanais ». Paris, Washington, ainsi que le secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres ont de leur côté condamné la répression. Dans un communiqué, la haut-commissaire de l’ONU aux Droits de l’homme Michelle Bachelet a quant à elle exhorté les autorités soudanaises à « mettre fin immédiatement à ces attaques et à garantir à tous un accès sûr et sans entrave aux soins médicaux ». « L’expérience de la région nous a appris qu’une transition ordonnée et préservant l’État et ses institutions est le seul moyen d’éviter des années de chaos et de déperdition », a tweeté quant à lui le ministre émirati des Affaires étrangères, Anwar Gargach.


(Lire aussi : Au Soudan, les islamistes font bloc derrière l’armée pour préserver la charia)


Pression des pays du Golfe

« Ceux que l’on observe à Khartoum, ce ne sont pas les militaires seuls, mais des milices paramilitaires qui ont servi au Darfour et au Yémen, et qui sont pour la majorité d’entre elles originaires du Darfour », explique Roland Marchal, spécialiste de l’Afrique subsaharienne au CERI de Sciences Po, contacté par L’Orient-Le Jour.

Ces milices, mais également le Conseil militaire, sont par ailleurs soutenues par les pays du Golfe, notamment les Émirats arabes unis et l’Arabie saoudite. Le chef du Conseil militaire au pouvoir au Soudan, le général Abdel Fattah el-Burhane, s’est récemment rendu en Égypte, aux Émirats et en Arabie. Les trois pays lui ont affiché leur soutien ainsi que de gros financements. Le général Mohammad Hamdane Daglo, chef des RSF, est également un allié de Riyad et d’Abou Dhabi, dont il a soutenu l’intervention au Yémen.

« Les milices que l’on a pu observer hier sont le plus souvent des trafiquants et des mercenaires, et sont aujourd’hui dans Khartoum avec un armement colossal fourni par les pays du Golfe, avec pour mission d’écraser l’opposition », explique pour sa part Marc-Étienne Lavergne, géopolitologue, spécialiste du Moyen-Orient et de la Corne de l’Afrique et directeur de recherche au CNRS. « Ce ne sont plus seulement les mercenaires d’un gouvernement soudanais, ils sont aux ordres des pays du Golfe », ajoute-t-il. Par ailleurs, si les manifestations se poursuivent, les risques de répression et de violences pourraient redoubler, d’autant qu’« il n’y a plus de levier de la part des représentants du mouvement contre l’armée car ici, ce sont les fusils qui parlent », conclut Marc-Étienne Lavergne.



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