C’est une véritable mobilisation politique sunnite autour du Premier ministre Saad Hariri et, plus généralement, de la présidence du Conseil qui s’est manifestée hier.
Dans la foulée de la détérioration notable des rapports entre les deux piliers du compromis présidentiel, à savoir le courant du Futur et le Courant patriotique libre, trois anciens chefs de gouvernement se sont réunis pour mettre les points sur les i et faire barrage aux tentatives de porter atteinte aux prérogatives de la présidence du Conseil. Il s’agissait de Tammam Salam, Fouad Siniora et Nagib Mikati.
À l’issue de leur rencontre tenue au domicile de M. Salam, les trois anciens Premiers ministres ont répondu tant au chef du Courant patriotique libre, Gebran Bassil, qu’au secrétaire général du Hezbollah Hassan Nasrallah.
Pour rappel, des propos que M. Bassil aurait tenus lors d’une récente tournée dans la Békaa-Ouest et ayant fuité avaient suscité la colère dans les rangs de la communauté sunnite. Selon ces fuites, le ministre des Affaires étrangères aurait estimé que « le sunnisme politique (incarné par le camp Hariri) est né sur le cadavre du maronitisme politique (ayant prévalu depuis 1943) ». « Nous voulons recouvrer ces privilèges intégralement », aurait-il ajouté. Dans une tournée effectuée dimanche dans le caza de Baabda, le leader du CPL s’en est violemment pris en outre au directeur général des Forces de sécurité intérieure, le général Imad Osman (proche du courant du Futur), l’accusant d’abus de pouvoir.
Quant à Hassan Nasrallah, il a profité de son tout dernier discours, prononcé samedi dernier à l’occasion de la Journée al-Qods pour dénoncer les prises de position formulées par le Premier ministre lors des sommets arabe et islamique tenus fin mai en Arabie saoudite. M. Hariri avait alors réaffirmé la solidarité du Liban avec les pays arabes (face aux menaces iraniennes). Des positions qui, selon le patron du Hezbollah, ne représentent pas le Liban officiel.
(Lire aussi : Le CPL et le Futur tentent de calmer le jeu)
Salam, Mikati et Siniora en appellent à Aoun
Pour en revenir à MM. Siniora, Salam et Mikati, ils ont publié un communiqué dans lequel ils ont stigmatisé les déclarations de Gebran Bassil, tout en appelant le président de la République Michel Aoun à s’acquitter de ses responsabilités. Évoquant ce qu’ils ont qualifié de « prises de position et d’actes condamnables de la part de certains ministres et responsables », ils ont estimé que de tels agissements visent à évoquer des dossiers épineux auxquels il n’est pas bon de revenir. D’autant que l’accord de Taëf et la Constitution les ont tranchés. Les anciens Premiers ministres ont d’ailleurs mis en garde contre « les dangereuses répercussions de ces questions sur l’unité nationale », exprimant leur « étonnement face à de tels actes et prises de position, à l’heure où le Liban a besoin de la solidarité de tous pour faire face aux défis dus au déséquilibres internes et aux retombées des chocs et défis régionaux et internationaux ».
Les ex-Premiers ministres ont exhorté le chef de l’État, « à qui la Constitution a confié la responsabilité de veiller à son respect », de mettre fin à ces agissements et prises de position « provocateurs », à même de porter atteinte au prestige du sexennat.
MM. Siniora, Salam et Mikati ont également appelé à mettre fin aux ingérences politiques dans les institutions et appareils sensés protéger tous les Libanais. Une critique implicite du jugement rendu jeudi dernier par le commissaire du gouvernement près le tribunal militaire, Peter Germanos, dans l’affaire Hajj-Itani.
Répondant à Hassan Nasrallah, les trois ex-Premiers ministres ont stigmatisé le fait d’arracher à Saad Hariri « son droit à exposer la position (officielle) du Liban dans le cadre des sommets arabe et islamique. D’autant que selon la Constitution, il relève des prérogatives du chef du gouvernement de représenter le cabinet et de s’exprimer en son nom ».
(Lire aussi : Le compromis présidentiel vacille une fois de plus...)
Les prérogatives du Premier ministre
Ce n’est pas la première fois que les crises de politique politicienne poussent Fouad Siniora, Nagib Mikati et Tammam Salam à se mobiliser pour exprimer leur solidarité avec Saad Hariri. Ils avaient fait de même pendant les houleuses négociations pour la mise sur pied du gouvernement, notamment lorsque le leader du Futur peinait à surmonter l’obstacle chrétien, né principalement des desiderata de Gebran Bassil.
Mais aujourd’hui, la solidarité des trois ex-Premiers ministres avec M. Hariri est notable, dans la mesure où elle intervient à l’heure où la communauté sunnite semble, selon certains observateurs, ressentir de la colère à l’égard du compromis présidentiel – auquel les haririens demeurent attachés jusqu’à nouvel ordre – mais aussi et surtout face aux atteintes à la fonction de chef du gouvernement.
C’est sous cet angle que les milieux des trois leaders sunnites interprètent pour L’Orient-Le Jour leur initiative. « Il s’agit d’une façon d’affirmer l’attachement aux prérogatives du Premier ministre et au prestige lié à son poste », souligne un proche du dossier, insistant sur l’importance du respect de la Constitution. Une position réitérée hier par le mufti de Tripoli Malek Chaar, dans un entretien accordé à l’agence al-Markaziya. Dénonçant « les provocations », il a insisté sur l’importance du respect de la Constitution, mettant en garde contre tout échec de l’entente de 2016.
(Lire aussi : Bassil revient à la charge contre les FSI, Raya el-Hassan contre-attaque)
S’il est conscient de l’importance de cette dimension, le courant du Futur préfère percevoir le meeting Siniora-Salam-Mikati comme une démarche à même de « prouver que Saad Hariri n’est pas seul dans les batailles », pour reprendre les termes d’un proche du Premier ministre, contacté par L’OLJ. Reconnaissant que « les anciens chefs de gouvernement ont exprimé le point de vue des gens », ce proche de la Maison du Centre ne manque pas de réitérer l’attachement du Futur à l’entente de 2016 scellée avec le chef de l’État. « D’autant que la seule alternative à cet accord est le chaos que nous refusons », ajoute-t-il.
Mais en dépit de cette attitude, visant d’abord à calmer le jeu avec le CPL après les sérieuses secousses qu’a subies leur partenariat, le Futur semble déterminé à tracer les lignes rouges à ne pas franchir, notamment pour ce qui est des prérogatives du Premier ministre. Sami Fatfat, député de Denniyé, a été on ne peut plus clair à ce sujet dans ce tweet posté hier : « Tout comme le maintien du compromis relève de la responsabilité de tous, il est du devoir de tout le monde de ne pas porter atteinte aux prérogatives du Premier ministre. » Et M. Fatfat de décocher une flèche en direction de Gebran Bassil. « Celui qui a causé le problème (de la dernière polémique) devrait convaincre les gens qu’il tient toujours au compromis », a encore écrit le jeune député sur Twitter.
En face, le chef du CPL s’est montré soucieux de manifester son attachement au compromis de 2016, en dépit de tous les obstacles. S’exprimant lors d’une conférence de presse – dans le cadre de laquelle les onze ministres du tandem Baabda-CPL ont exposé le bilan de leurs ministères au cours des 100 premiers jours du cabinet – le chef de la diplomatie a déclaré sans détour : « Certains veulent torpiller le compromis. Mais il n’atteindront pas leur but. » Mais il a toutefois poursuivi son attaque contre le général Imad Osman, qu’il avait accusé dimanche d’abus de pouvoir.
Lire aussi
La polémique s'envenime entre Ahmad Hariri et Bou Saab
L’acquittement de Suzanne el-Hajj dégénère en empoignade politique
JAMAIS, JAMAIS AUPARAVANT LE DISCOURS DES LIBANAIS HONORABLES N'AVAIT MENE A TANT DE DIVISION CONFESSIONNELLE. JAMAIS MEME LORS DES PIRES EPISODES DE 1958 , 1969 , 1973 , 1975-1990. CECI DEPUIS LE DISCOURS DU CPL, PRECISEMENT CELUI CLAMANT LA BATAILLE POUR LE RECOUVREMENT DES DROITS DES CHRETIENS. DU TRES BEAU TRAVAIL DONT LE SEUL VRAI RESULTAT RISQUE DE NOUS DETRUIRE COMPLETEMENT.
16 h 01, le 04 juin 2019