Après tant d’années passées en anarchie, à ne verser en guise de taxes que l’humiliant pizzo prélevé de force par les diverses milices de la guerre civile, payer des impôts a quelque chose de signifiant. Non que ce soit vraiment nouveau, mais les nouvelles dispositions fiscales et mesures d’austérité viennent à point nommé nous rappeler qu’être citoyen, c’est d’abord contribuer au développement de son pays, à son sauvetage si besoin. Le statut de contribuable nous donne le plein droit de juger et de sanctionner la qualité des prestations de l’équipe au pouvoir.
Voilà longtemps que les Libanais ne sont que des serfs – c’est bien le mot dans les sociétés féodales – voués à l’adoration d’un seigneur – c’est aussi le mot – dont eux seuls pourtant légitiment le titre. C’est grâce à eux, à leur propension à porter les armes pour le défendre et même mourir pour lui, que le seigneur peut faire le seigneur parmi ses pairs, placer le fils de tel féal dans la fonction publique à mi-temps et plein salaire, assurer une éducation gratuite dans le privé aux enfants d’un autre ou soustraire un troisième à la justice quand il a commis un crime ou un délit. La « wasta » mérite bien quelques courbettes, sans compter le fait non négligeable qu’elle vous donne l’illusion de vous élever, tel un coq sur un tas de fumier, au-dessus de vos semblables. Le problème c’est que ces privilèges ont un coût, et ce coût est payé indirectement par tous, y compris ceux qui croient en bénéficier par courtoisie ou par le simple fait de leur appartenance communautaire. Quant au seigneur, il n’échappe à personne qu’en plus de ses émoluments, la longueur de son bras lui permet, grâce au soutien sans faille du populo qu’il flatte avec des clopinettes, de rafler commissions et contrats, bloquer projets et permis jusqu’à ce qu’« entente » s’ensuive, s’enrichissant éhontément à la plus grande fierté de ses adorateurs, enrichissant la Suisse au passage et contribuant à la banqueroute collective de ses administrés.
Sauf que l’heure du bilan est arrivée. Les caisses sont vides, les aides conditionnelles, et les sponsors arabes et autres ne sont plus intéressés. Pour tenir sur ses pattes, l’État libanais doit désormais ponctionner un peu plus douloureusement ce citoyen auquel il n’a jamais su offrir ne serait-ce qu’un écosystème favorable à la création d’entreprises et d’emplois. On va faire mal aux pourvoyeurs de travail, ce qui va encore augmenter le chômage. On va faire mal aux vétérans de l’armée, ce qui va ébranler la confiance des jeunes recrues. On va faire mal aux retraités qui vont se sentir encore plus misérables après avoir cotisé toute leur vie. On va faire mal aux petits salaires, ce qui va pousser encore plus de jeunes au départ. On va faire mal aux juges, ce qui va ouvrir la voie à toutes sortes d’abus. On va faire mal aux petits épargnants en augmentant l’impôt sur les intérêts bancaires sans considération pour les montants déposés. Mais soit. Le mal est fait, on ne peut pas faire marche arrière. Il s’agit à présent de sauver ce qui peut l’être, et c’est à nous, citoyens, qu’incombe ce sauvetage. Pour une fois, au petit jeu de « qui donne ordonne », jouons gagnant. Et quitte à racler le dernier fond d’unité qu’il nous reste, unissons-nous puissamment, fermement, contre ceux qui continuent à nous abuser. Cette débâcle est sans aucun doute un moment modificateur dans l’histoire de notre pays. En bien si nous voulons.
Dans le passé tant que les moutons avaient encore de la laine ça allait encore de les tondre gentillement mais maintenant ils vont tondre quoi? il n'y en a plus !
17 h 54, le 23 mai 2019