Satterfield : « Il n’y aura pas d’appui extérieur si les mesures que va prendre l’État pour renflouer le Trésor ne sont pas transparentes. » Photo d’archives
Que se passe-t-il ? À quelques journées d’intervalle, deux procès-verbaux diplomatiques confidentiels établis par l’ambassadeur du Liban à Washington, Gaby Issa, finissent sur les pages du quotidien al-Akhbar. Après les fuites concernant les entretiens du vice-président du Conseil des ministres, Ghassan Hasbani, avec un haut responsable à l’ONU, sur des sujets régionaux, c’était hier le procès-verbal de la rencontre du 12 avril entre David Satterfield, sous-secrétaire d’État américain aux Affaires du Proche-Orient, et la délégation composée des députés Yassine Jaber et Ibrahim Kanaan et du conseiller du président de la Chambre, Ali Hamdan, qui devenait public.
Il y a là un scandale que le député Marwan Hamadé ne s’est pas privé de dénoncer, réclamant qu’un terme soit mis à « la diplomatie de bas étage », et que M. Issa soit suspendu car « inapte à représenter dignement le Liban auprès d’une grande puissance ». Les Forces libanaises, pour leur part, ont estimé qu’il s’agit d’un « acte honteux » qu’elles ne passeront pas sous silence, et ont annoncé qu’elles soulèveront l’affaire en Conseil des ministres et au Parlement. L’ancien député Farès Souhaid s’est interrogé sur la finalité de cette fuite inadmissible. « Sommes-nous donc au sein d’un “État dans l’État” ? » s’est-il interrogé, sachant que le quotidien qui publie cette fuite est proche du Hezbollah.
Dans les milieux politiques, on accusait le ministre des Affaires étrangères, Gebran Bassil, qui a nommé M. Issa, d’utiliser ce stratagème pour faire pression sur le chef du gouvernement Saad Hariri. Le procès-verbal, dont la véracité a été confirmée de diverses sources, reproche notamment au gouvernement « son extrême lenteur et son inefficacité » dans la mise en œuvre des réformes. Exactement le reproche que le chef de l’État Michel Aoun avait formulé dimanche à Bkerké.
En tout état de cause, ces règlements de comptes donnent une idée de la lutte d’influence que se livrent, à l’intérieur et à l’extérieur des institutions, les principaux dirigeants du pays.
(Pour mémoire : Satterfield invite les Libanais à opter pour des décisions « nationales »)
Les factures dans la banlieue sud
Les révélations contenues dans le rapport diplomatique éclairent bien la politique américaine au Liban. M. Satterfield s’est autorisé à s’ingérer dans les détails de la politique interne, allant jusqu’à demander, en ce qui concerne la question de l’électricité, ce qu’il en est des « branchements illégaux » sur le réseau d’EDL, et s’il y avait « un accord interne » au sujet de la suppression des générateurs, ou de l’instauration d’une perception saine des factures dans certaines régions, notamment la banlieue sud et le Liban-Sud.
Questions difficiles auxquelles seul M. Jaber a cru pouvoir opposer une timide réponse, en affirmant que le plan ne peut remédier du jour au lendemain à une période d’anarchie où certains édifices construits dans les régions en question ne prévoyaient même pas un espace pour l’installation des compteurs…
Par ailleurs, aux précisions apportées par M. Hamdan sur l’adoption à l’unanimité du plan de la ministre de l’Énergie Nada Boustani pour la modernisation par étapes de la production de l’électricité, de sa distribution et de la perception des factures, M. Satterfield a clairement signifié à ses interlocuteurs qu’« il n’y aura pas d’appui extérieur des acteurs régionaux et/ou européens, si les mesures que va prendre l’État pour renflouer le Trésor ne sont pas transparentes ».
La ligne Hoff « ou rien »
En ce qui concerne la zone d’exclusion maritime, M. Satterfield a affirmé que les deux dossiers des frontières terrestres et maritimes doivent être « séparés », et qu’en ce qui concerne la frontière maritime, ce sera la « ligne Hoff ou rien », sachant qu’en acceptant cette ligne comme tracé frontalier maritime avec Israël, le Liban sacrifie quelque 360 kilomètres carrés d’eaux territoriales.
M. Hamdan a eu beau expliquer que « la dignité des Libanais n’était pas à vendre », M. Satterfield a répondu que s’ils ne sont pas convaincus, les Libanais « n’ont qu’à trouver un nouveau médiateur ». Non sans préciser qu’il ne faut pas espérer que le rôle de l’ONU, sur ce plan, soit « autre que logistique », M. Satterfield s’est porté garant de l’accord d’Israël sur le point soulevé et de son acceptation d’une dissociation des deux dossiers des frontières maritimes et terrestres, c’est-à-dire, concrètement parlant, de sa disposition à négocier les frontières terrestres.
On sait qu’à Naqoura, le Liban demande que le tracé de la ligne bleue avec Israël soit repoussé de 80 mètres à l’intérieur du territoire israélien. C’est en se basant sur ce point de la carte que le Liban a délimité sa zone d’exclusion maritime. Toutefois, M. Satterfield a précisé qu’« il n’y a aucun lien juridique » entre la délimitation de la frontière terrestre et celle de la zone maritime. Il a par ailleurs refusé de jeter le moindre coup d’œil à l’étude établie par le Liban à cet effet.
M. Satterfield a pressé le Liban de souscrire à cet arrangement et d’en profiter au plus tôt, soulignant que la construction du projet « East Mediterranean Gas Pipeline » a commencé, qui doit acheminer le gaz naturel vers l’Europe, rivalisant ainsi avec le gaz venu de Russie.
(Pour mémoire : Pompeo et le parapluie international pour la protection du Liban)
Les réfugiés syriens
S’agissant des réfugiés syriens, M. Satterfield s’est inscrit en retrait des positions du secrétaire d’État Mike Pompeo et a redit que leur rapatriement « sûr et volontaire » est tributaire d’un règlement politique en Syrie. Il faut, a-t-il dit, que le régime syrien montre par ses actes qu’il souhaite leur retour. Et de révéler qu’à la connaissance des États-Unis, le régime syrien a arrêté 700 hommes d’un nombre initial de 1 000 dont la Russie avait pourtant garanti le retour. Et M. Satterfield de regretter que la Russie, « qui a sauvé le régime syrien et peut obtenir beaucoup de lui, ne le fasse pas dans le but de servir son propre agenda pour la région ».
Enfin, il a tenu à préciser la position des États-Unis sur le Hezbollah. « Vous avez beau dire que ce parti fait partie du tissu social libanais et des institutions, mais nous avons de sérieuses inquiétudes au sujet de ses liens avec l’Iran et les gardiens de la révolution, notamment en ce qui concerne le développement de missiles de précision. Si le Hezbollah ne respecte pas la politique de distanciation, le gouvernement s’exposera à perdre l’appui promis de la communauté internationale. Nous n’avons aucun problème à ce que le Hezbollah participe à la vie politique au Liban, mais le problème réside dans sa coopération avec l’Iran dans des projets illégaux », a encore averti le responsable américain.
Pour mémoire
Réfugiés syriens : Bassil se félicite des propos de Pompeo devant le Congrès
Après l’attaque de Pompeo, Nasrallah sur la défensive
Mission accomplie pour Satterfield : le ton a baissé entre le Liban et Israël
On peut être pour ou contre l'Amérique ou tout autre pays ami ou ennemi. Mais une chose reste constamment invariable indépendamment de toutes considérations : notre liberté et notre independance, notre prospérité, puissance économique et sociale, qui dépendent uniquement de notre bonne gestion des affaires intérieures et de la rigueur dont on aura fait usage envers nos institutions et nous même. Oui on ne surmontera pas nos difficultés actuelles sans l'aide précieuse des pays civilisés, car à côté de l'argent, il y à le savoir et la connaissance qui nous manquent dans bien des égards. Soyons vigilents avec nous même.
11 h 18, le 26 avril 2019