Comme prévu, le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a consacré une bonne partie de son discours prononcé hier et retransmis à la télévision à répondre aux propos virulents à l’encontre de son parti tenus par le secrétaire d’État américain, Mike Pompeo, lors de sa visite à Beyrouth, en fin de semaine dernière. Le dignitaire chiite a également saisi l’occasion pour réagir à la décision de Washington de reconnaître la souveraineté d’Israël sur le Golan syrien occupé.
Mais le secrétaire général du parti chiite a évité cette fois-ci de se lancer dans de virulentes diatribes contre les États-Unis et Israël, se plaçant sur la défensive et s’efforçant de manier les contre-arguments pour rejeter les accusations lancées contre son parti par le chef de la diplomatie américaine et s’affirmer comme « partenaire essentiel dans l’équation de la stabilité interne ».
Mais il a surtout créé la surprise en adoptant un ton particulièrement calme au sujet du Golan, ne faisant que dresser des constats et réitérer ses condamnations habituelles des prises de position de Washington concernant l’État hébreu.
Il n’en reste pas moins que le dignitaire chiite a tenu quelques propos significatifs à ce sujet. Stigmatisant naturellement la décision de reconnaître la souveraineté d’Israël sur le Golan, le secrétaire général a estimé qu’il s’agit d’une étape importante du conflit israélo-palestinien. Et d’ajouter : « Elle constitue une réelle menace pour nos droits et notre avenir. » « Cette décision est une insulte pour tout le monde arabo-musulman et des dizaines d’États qui considèrent toujours que le Golan est un territoire syrien occupé par Israël », a lancé Hassan Nasrallah. « Cette reconnaissance nous prouve que l’administration américaine ne reconnaît en rien les décisions du Conseil de sécurité, de l’ONU ni de la communauté internationale », a-t-il ajouté, soulignant que les États-Unis n’utilisent ces institutions que pour « servir leur propre projet ». Il a estimé aussi que cela « prouve que les décisions et institutions internationales ne sont pas capables de protéger les peuples et leurs droits en ce qui concerne la récupération des terres occupées et qu’elles ne sont capables que de “dénoncer” ».
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« Revenir au point de départ »
En conséquence, Hassan Nasrallah a appelé les dirigeants arabes à se retirer du processus de la paix avec Israël. « La seule réponse à la décision américaine est que la Ligue arabe décide, lors du sommet de Tunis (prévu dimanche prochain), de retirer son initiative de paix » lancée en 2002, et de « revenir au point de départ ». « Face à cette décision, le seul choix qu’il reste aux Syriens pour récupérer le Golan, et au Liban pour récupérer les fermes de Chebaa et les collines de Kfarchouba, et pour que soient respectés leurs droits sur les ressources pétrolières et gazières, c’est la résistance », a-t-il déclaré.
Le patron du Hezbollah faisait ainsi allusion à l’initiative arabe de paix adoptée à l’unanimité par les chefs d’État arabes réunis à Beyrouth en mars 2002. Ce plan prévoit la reconnaissance par les Arabes de l’existence d’Israël dans le cadre d’une solution au conflit israélo-palestinien. Celle-ci devrait être axée sur les deux États, ainsi que le retour aux frontières du 4 juin 1967, la proclamation de Jérusalem-Est comme capitale de l’État palestinien et le retour des réfugiés.
Depuis son adoption, cette « initiative arabe pour la paix » est la position officielle des pays arabes par rapport au conflit. Cependant, nombre d’observateurs soulignent sur ce plan que l’appel de Hassan Nasrallah aux pays arabes n’est pas une position nouvelle, le Hezbollah n’ayant jamais reconnu le processus de paix.
Par ailleurs, on relève dans certains milieux politiques que les prises de position du secrétaire général du Hezbollah sont venues confirmer les craintes que le président de la Chambre, Nabih Berry, a exprimées devant le chef de la diplomatie américaine lors de leur entretien, vendredi dernier, à Aïn el-Tiné. Le chef du législatif avait estimé que la décision américaine concernant le Golan était de nature à « encourager les extrémistes ». C’est dans ce cadre que s’inscrit l’appel lancé par Hassan Nasrallah aux Arabes, souligne un observateur, dans une allusion claire à la nuance qui sépare sur ce plan M. Berry du Hezbollah.
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« Monter les Libanais les uns contre les autres »
Quoi qu’il en soit, le secrétaire général du Hezb s’est attardé sur le séjour de Mike Pompeo à Beyrouth. Il s’est employé à démonter le discours incendiaire du chef de la diplomatie américaine. Il a accusé les États-Unis de « monter les Libanais les uns contre les autres », Washington étant selon lui « très irrité que le Liban soit sûr et stable ». « Cela nous rappelle ce qui s’est passé lorsque le Premier ministre Saad Hariri a été séquestré en Arabie saoudite, parce qu’ils (les États-Unis et l’Arabie saoudite) souhaitaient lancer une guerre civile entre les Libanais », a-t-il souligné, accusant un ministre saoudien « de semer la discorde entre Libanais ». Allusion à Thamer Sabhane, ministre d’État saoudien pour les Affaires du Golfe, connu pour ses positions particulièrement virulentes à l’encontre du Hezbollah et qui s’était rendu à Beyrouth peu avant la démission forcée de Saad Hariri, annoncée le 4 novembre 2017 depuis Riyad.
Hassan Nasrallah a souligné que le Hezbollah, bien que constituant « une puissante force militaire », n’a jamais troublé la paix interne du Liban. « Est-ce que nous empêchons la prospérité du Liban lorsque nous appelons à lutter contre la corruption ? » s’est-il interrogé, déclarant que son parti « est celui qui veille le plus à la stabilité et la paix » au Liban.
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Le leader chiite s’en est pris à la politique américaine dans la région, principalement axée sur la confrontation directe avec l’Iran, récemment visé par une vague de sévères sanctions, ainsi que ses alliés régionaux. « C’est avec des armes iraniennes que nous avons protégé le Liban contre les groupements terroristes créés par les États-Unis. Et c’est également par des armes iraniennes que nous avons libéré le pays de l’occupation israélienne », a-t-il lancé. Il a encore mentionné « la grande stupidité » de Mike Pompeo en ce qui concerne ses déclarations sur la présence d’usines de production de missiles, soulignant que c’est le triptyque « peuple, armée, résistance » et l’unité des Libanais qui empêchent Israël de lancer une nouvelle guerre contre le Liban. Il a aussi affirmé que les États-Unis « empêchent l’armée libanaise de posséder certains types de missiles ».
Notons enfin que Hassan Nasrallah s’est montré particulièrement soucieux de « remercier » le président de la République, Michel Aoun, le président de la Chambre, Nabih Berry, et le ministre des Affaires étrangères, Gebran Bassil, pour leur opposition catégorique à la décision américaine de considérer le Hezbollah comme une organisation terroriste. Il s’est naturellement abstenu de rendre hommage au Premier ministre Saad Hariri, les deux hommes étant aux antipodes l’un de l’autre en matière de politique étrangère et de souveraineté. « Les prises de position de MM. Aoun, Berry et Bassil sont remerciées, respectées, attendues et normales, dans la mesure où ils sont nos alliés », a déclaré Hassan Nasrallah. Une façon pour lui de confirmer la solidité de son accord avec le Courant patriotique libre et son fondateur, en dépit du partenariat Aoun-Hariri dans le cadre du compromis présidentiel.
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commentaires (12)
J'avoue ne rien trouver dans le texte qui justifie de dire que HN est sur la défensive. C'est moi ou?
Marionet
15 h 38, le 27 mars 2019