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Liban - Décryptage

Cana, 23 ans après, le souvenir et les leçons

Ce n’est pas un hasard si le directeur de la Sûreté générale, Abbas Ibrahim, a choisi d’inaugurer un bureau de l’institution qu’il dirige à Cana (Liban-Sud) le 18 avril. C’est en effet à la même date, il y a 23 ans (le 18 avril 1996), qu’un horrible massacre était perpétré, lorsque les avions israéliens ont bombardé le siège du bataillon fidjien de la Finul à Cana, dans lequel s’étaient réfugiés 800 civils libanais. Au total, 118 civils furent tués, pour la plupart des femmes et des enfants, dont les tombes alignées dans le cimetière de la localité continuent d’être fleuries chaque année.

Avant cette date tragique, Cana était célèbre au Liban pour être le lieu où le Christ a transformé l’eau en vin lors des noces dites de Cana (mais à l’étranger, de nombreuses sources situent cet événement dans un village arabe du nord de la Galilée, en Israël, appelé aujourd’hui Kafr Cana). Dans la Cana libanaise, la grotte par laquelle le Christ serait passé, et qui comporte des sculptures dans la roche racontant ce périple, est un lieu de pèlerinage qui faisait la fierté de la localité. Désormais, le cimetière est une raison de plus de se rendre à Cana et se recueillir sur ses morts. Mais cette date hautement symbolique ne rappelle pas seulement le massacre qui s’est produit ce jour-là. Elle marque un tournant dans la politique libanaise, dans laquelle, à partir de cette date, le Hezbollah est devenu un joueur de premier plan.

Au départ, pourtant, en lançant l’opération « Raisins de la colère », le Premier ministre israélien de l’époque Shimon Peres voulait détruire la puissance de feu du Hezbollah qui envoyait de temps à autre des roquettes sur les colonies israéliennes dans le nord de la Galilée, et en particulier sur Kyriat Shmona, en riposte à des bombardements israéliens. En même temps, Peres, qui avait succédé à Yitzhak Rabin, assassiné en novembre 1995, pensait que cette opération ferait de lui le favori aux élections israéliennes prévues à la fin du mois de mai de la même année.

L’armée israélienne a donc lancé son offensive en bombardant intensivement les localités du Liban-Sud et en appelant la population à évacuer les localités et villages pour que son aviation puisse détruire le Hezbollah. Affolés, 800 civils s’étaient réfugiés au siège du bataillon fidjien à Cana, lorsque les avions israéliens les ont attaqués.


(Pour mémoire : Massacre de Cana : "un cauchemar!", se souvient Timur Goksel, ex-porte-parole de la Finul et témoin)



Les Israéliens ont d’abord cherché à justifier leur agression en prétextant que les combattants du Hezbollah s’étaient cachés sous la bannière de la Finul (Force intérimaire des Nations unies). Mais l’enquête menée par l’ONU n’a rien montré de tel. Seuls des civils, en famille, s’étaient réfugiés auprès du QG de la Finul dans la localité, croyant ainsi se mettre à l’abri des raids aériens israéliens.

À l’époque, on avait dit que le massacre de Cana – qui a fait aussi des victimes parmi les soldats de la Finul et un mausolée a été construit sur place pour leur rendre hommage – a fait basculer l’offensive israélienne qui s’est ainsi retournée contre ses auteurs. Le fait de cibler sciemment un QG de la Finul et de tuer délibérément des civils qui s’y étaient réfugiés a été largement condamné par la communauté internationale et par l’opinion publique, qui a ainsi basculé en faveur du Liban.

Cette agression et les arrangements qui y ont mis fin ont constitué un tournant dans le conflit israélo-libanais. Des négociations de haut niveau ont été menées par plusieurs parties. Le président français de l’époque Jacques Chirac a joué un rôle de premier plan, avec son ministre des Affaires étrangères Hervé de Charette, en raison de ses relations étroites avec le Premier ministre du Liban de l’époque, Rafic Hariri. En même temps, les négociations ne pouvaient aboutir sans la participation du président syrien Hafez el-Assad, et même la contribution du ministre iranien des Affaires étrangères de l’époque, Ali Akbar Velayati, avec lequel Hervé de Charette s’est entretenu à plusieurs reprises. Il restait aussi les Américains, d’abord hostiles à l’intervention de la France, mais qui, après le massacre de Cana, ont dû céder. C’est ainsi que le secrétaire d’État américain Warren Christopher a été obligé d’accepter ce qu’on a appelé « les arrangements d’avril ».

Pour le Hezbollah et pour le Liban, c’était une grande victoire. Car, pour la première fois, Israël était condamné par l’opinion publique et par ses alliés habituels. D’autant qu’un mécanisme de surveillance de la cessation des hostilités avait été adopté. Le Hezbollah a ainsi été reconnu pour la première fois officiellement comme un mouvement de résistance et il a été mis sur un pied d’égalité avec les Israéliens, les deux parties s’engageant à ne plus frapper les populations civiles des deux côtés de la frontière. Ce qui est une manière détournée de reconnaître la légitimité de cette résistance contre Israël, pour la première fois depuis sa naissance après l’invasion de 1982.

Pour le Hezbollah, l’opération « Raisins de la colère » est donc une date cruciale qui marque le lancement officiel de la résistance avec l’aval des autorités libanaises, le Premier ministre Rafic Hariri en tête. Pour les Israéliens, c’est aussi le début d’une longue série de reculs et d’opérations mal calculées qui se sont couronnés par la guerre de juillet 2006 et par l’équilibre de la dissuasion qui commande actuellement le statu quo. Il faut préciser qu’à cause des « arrangements d’avril », Shimon Peres a perdu les élections de mai 1996 et le spectre de sa défaite au Liban l’a poursuivi jusqu’à sa mort. De son côté, Cana revit aujourd’hui, même après le second massacre qui s’est déroulé le 31 juillet 2006, mais elle n’oublie pas ses morts.


Pour mémoire

Invasions, offensives... : retour sur les opérations israéliennes contre le Liban depuis 1978

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commentaires (2)

Ne jamais prendre une décision quand on est en colère. Les raisins du même nom ont fini par donner aux Israelossassins un goût fort sûr en bouche! Paix aux ames des martyres de Cana.

Tina Chamoun

12 h 53, le 19 avril 2019

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Commentaires (2)

  • Ne jamais prendre une décision quand on est en colère. Les raisins du même nom ont fini par donner aux Israelossassins un goût fort sûr en bouche! Paix aux ames des martyres de Cana.

    Tina Chamoun

    12 h 53, le 19 avril 2019

  • Merci Scarlett pour cette commémoration. HEUREUSEMNT QUE VOUS ÊTES LÀ . BONE FÊTE DE PÂQUES À VOUS ET PERMETTEZ UNE BISE SUR CHAQUE JOUE .

    FRIK-A-FRAK

    12 h 30, le 19 avril 2019

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