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Liban - Reportage

Quelques milliers de manifestants lancent un ultimatum à la classe politique, mais sans grande conviction

Les enseignants du privé et les fonctionnaires des administrations ont brillé par leur absence, hier, place Riad el-Solh.

À la tribune, le président du syndicat des enseignants de l’école privée, Rodolphe Abboud, prononçant son allocution. Photo A.-M.H.

Ils avaient annoncé une mobilisation massive qui verrait la participation de l’ensemble des travailleurs de la fonction publique et des enseignants des deux secteurs public et privé. Avec pour objectif de mettre en garde l’État contre ce qu’ils voient comme un empressement à puiser dans la poche des enseignants et des fonctionnaires pour réduire son déficit budgétaire.

Mais au final, quelques milliers de manifestants tout au plus, principalement des représentants de l’école publique de toutes les régions du pays, enseignants, directeurs d’établissement, surveillants, mais aussi des lauréats du Conseil de la fonction publique en attente d’être embauchés, se sont retrouvés hier place Riad el-Solh, l’espace d’une petite heure et demie, pour prendre part au sit-in organisé par le Comité de coordination intersyndicale. Un comité qui regroupe pourtant six composantes de larges secteurs professionnels, à savoir le syndicat des enseignants des écoles privées, la Ligue des enseignants de l’école secondaire publique, la Ligue des enseignants de l’école publique primaire et secondaire, la Ligue des professeurs de l’enseignement technique, la Ligue des fonctionnaires des administrations publiques et la Ligue des retraités du secteur public.


(Lire aussi : Cap sur l’austérité, confirme Hariri)


La grille des salaires, une ligne rouge
Rassemblés autour des représentants syndicaux qui crachent leurs discours dans le désordre ambiant, une foule de manifestants écoutent les revendications qu’on égrène, tandis qu’à côté, d’autres papotent par petits groupes, au cœur d’un important dispositif sécuritaire. Sur les écriteaux qu’ils portent à bout de bras, leurs attentes, leurs craintes. « La grille des salaires est une ligne rouge », dit l’un. « Mettez fin à la corruption et au gaspillage, et accordez-nous nos droits », dit l’autre, tous deux signés de l’école secondaire officielle de Bazourieh, à Tyr. « Nous sommes là parce que les autorités envisagent de puiser dans nos salaires et nos retraites, alors que nous, enseignants du secteur public qui formons la classe moyenne, avons toujours payé nos taxes, contrairement à d’autres qui en sont exemptés », résume la directrice de l’établissement, Elham Faraj.

Il est 11h30. Au même moment, quelques centaines de mètres plus loin, le Parlement entame sa session plénière à la tribune duquel le Premier ministre Hariri évoque la préparation du « budget le plus austère » jamais élaboré. Un Parlement indifférent à ce mouvement de rue qui se veut un avertissement et une menace d’escalade. Un mouvement qui se déroule pourtant dans le calme. Car si les manifestants se disent « en colère », ils se disent aussi « déçus par une classe politique » qu’ils accusent « d’avoir volé les deniers publics ».

D’ailleurs, ils ne se privent pas d’en faire état à la presse. Comme ces enseignantes d’écoles publiques du Koura et du Nord qui « craignent fort que l’État n’effectue une coupe dans leurs salaires », ou ces représentants d’écoles publiques de Baalbeck qui « refusent que les enseignants paient le prix de la nouvelle politique d’austérité, car seule la classe politique est responsable de la crise financière que traverse le pays », ou encore ce professeur de l’Université libanaise, Bourkan el-Khatib, qui voit « les acquis des enseignants universitaires aller à-vau l’eau », invitant les autorités « à amorcer la réforme administrative » et « assurer du travail à la population », ou encore cette femme qui somme l’État de « mettre fin aux salaires des politiciens décédés ».

Mais ils se gardent bien d’exprimer leur pensée tout haut et d’une seule voix, laissant les discours parfois virulents aux bons soins de leurs représentants. Le président de la Ligue des enseignants de l’école secondaire publique, Nazih Jebbaoui, présente les trois lignes rouges à ne pas franchir. « Ne pas toucher aux salaires des enseignants, ne pas toucher aux avantages sociaux et couvertures de santé, ne pas toucher aux retraites. » De son côté, le président du syndicat des écoles privées, Rodolphe Abboud, invite l’État « à contrôler plus efficacement les comptes des administrations scolaires, car ce n’est pas la grille des salaires qui est la cause de tous les maux, mais plutôt le gaspillage et la mauvaise gestion ».


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Un cafouillis qui met fin au sit-in
C’est alors que survient le cafouillis qui sème le malaise. Le sit-in se termine en queue de poisson peu avant midi trente. De jeunes lauréats du Conseil de la fonction publique s’emparent du micro et dénoncent « les considérations d’ordre confessionnel qui les empêchent d’être recrutés dans la fonction publique, alors qu’ils ont reçu des promesses fermes d’embauche ». Autre couac, la représentante de la Ligue des fonctionnaires, Nawal Nasser, tente de faire entendre sa voix. Mais les organisateurs n’avaient pas prévu de lui donner la parole. Vexée, elle quitte la tribune et les lieux. Elle fera toutefois part à L’Orient-Le Jour de sa « solidarité totale » avec le mouvement. « J’ai représenté les fonctionnaires et les employés municipaux à Riad el-Solh. Ils ont respecté l’ordre de grève au sein de leurs locaux, même s’ils n’étaient pas présents à la manifestation », explique-t-elle, tout en précisant que le mouvement n’est qu’un « premier pas ». « Nous tenons à faire part aux autorités de notre vigilance. Au moindre faux pas, nous réagirons. Et si on touche à nos acquis, ce sera l’escalade », ajoute-t-elle.

Que retenir donc de ce rassemblement qui se voulait un avertissement ferme aux autorités ? Si les organisateurs saluent « le succès du mouvement vu le court délai d’organisation » et assurent « avoir atteint leur objectif », il n’en reste pas moins que certains corps de métier, comme les enseignants du privé ou les fonctionnaires, ont brillé par leur absence : les premiers « par crainte de représailles ou de licenciement de la part de leurs directions », selon le président du syndicat des enseignants du privé, Rodolphe Abboud, les seconds parce qu’ « ils se sont engagés à observer l’ordre de grève sans quitter leurs bureaux », comme l’explique la représentante syndicale Nawal Nasser, et visiblement aussi pour d’autres considérations d’ordre organisationnel. Leur représentation s’est donc limitée aux chefs de ligue ou à quelques personnes tout au plus.


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Des syndicats « à la solde du pouvoir »
On notait, par contre, la participation d’un syndicat indépendant, regroupant des enseignants et des fonctionnaires, mené par Hanna Gharib, secrétaire général du Parti communiste libanais et ancien leader déchu de l’intersyndicale, qui a appelé à une manifestation massive le 1er mai, de la place du Musée à la place des Martyrs, et invité les autorités « à réclamer de l’argent aux requins de la finance et non pas aux travailleurs à revenu limité ». Donnant par ailleurs son avis sur le degré de mobilisation, le syndicaliste a révélé « quelques divergences de visions et de méthodes ».

De son côté, une enseignante du secondaire, Siham Antoun, également présente sur les lieux, fait un constat particulièrement noir, évoquant « un cuisant échec ». « Les manifestants présents n’étaient pas à la hauteur des capacités de rassemblement du secteur public, qui avait regroupé 100 000 personnes il y a quelques années », regrette-t-elle. La raison de cette faible mobilisation est liée, assure-t-elle, « à la mainmise du pouvoir politique sur l’ensemble des syndicats. Il les manipule comme des marionnettes ». Et de préciser que « la majorité des syndicats des enseignants du public sont à la solde du président du Parlement, Nabih Berry, et de son mouvement Amal, alors que le syndicat des enseignants du privé est phagocyté par le Courant patriotique libre, parti du chef de l’État ». « Il n’est pas étonnant dans cet état des lieux que les droits des enseignants et des fonctionnaires partent en fumée, aussi bien la grille des salaires que les prestations sociales », conclut-elle.


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