La bombe lancée samedi dernier par le chef du Courant patriotique libre, Gebran Bassil, qui a préconisé une réduction « momentanée » des salaires des fonctionnaires pour pouvoir remédier au déficit des finances publiques, a enflammé les milieux politiques et les corps professionnels, qui ont crié au scandale en menaçant d’un recours imminent à la rue.
Cette annonce-surprise, dont M. Bassil revendique la paternité se disant suffisamment « courageux » pour la rendre publique, a suscité une cascade de réactions survoltées parmi ses pairs, mais aussi dans les milieux associatifs et les corps professionnels qui ont unanimement dénoncé une mesure « injuste et inadaptée ». Si elle est avalisée, soutiennent les contestataires, cette décision risque d’entraîner une crise sociale tout aussi grave que la crise économique et financière que seule la lutte contre la dilapidation, la corruption et l’évasion fiscale sont à même de régler.
Outre les fonctionnaires de l’administration publique, dont les enseignants, ce sont également les retraités de l’armée qui seraient potentiellement affectés par cette mesure extrême, des informations en coulisses ayant circulé sur la possibilité d’effectuer dans la foulée des coupes dans les pensions de retraite des soldats et officiers de l’armée et d’une partie des compensations dont bénéficient les miliaires.
C’est à l’issue d’une tournée à Saïda et Zahrani que M. Bassil avait soulevé la question du budget et les coupes potentiellement envisageables, évoquant « des défis » et des « décisions difficiles » à prendre, affirmant que les « autres parties se murent dans le mutisme » face à une décision aussi impopulaire.
« Si la réduction (des rétributions) n’a pas lieu, l’opinion publique doit être prévenue que plus aucun salaire ne pourra être payé. Les Libanais ne doivent pas uniquement songer à ce qu’ils ont dans leur poche », avait tweeté samedi M. Bassil, s’attirant une foule de réactions survoltées. Les propos du chef du CPL ont d’autant plus surpris qu’ils surviennent au lendemain d’une série de déclarations rassurantes formulées par plusieurs bords politiques signifiant que les mesures d’austérité que le gouvernement compte prendre n’affecteront aucunement les classes pauvres ou moyennes. Des slogans qui s’avèreraient mensongers si les anticipations de M. Bassil devaient se concrétiser.
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Un ballon d’essai
Pour l’heure, ces mesures, qui selon certains médias auraient reçu l’aval du Premier ministre Saad Hariri et du président de la République Michel Aoun, n’ont « aucun fondement concret », à en croire des sources informées. Les anticipations de M. Bassil ne seraient donc rien d’autre qu’un « ballon d’essai » pour tester et éventuellement préparer le terrain en amont, si ces dispositions impopulaires devaient être entérinées par le gouvernement.
Selon une source proche du Premier ministre, les propos de Gebran Bassil ne concernent « que lui seul », une telle décision n’étant absolument pas envisageable si elle n’obtient pas l’aval de l’ensemble de la classe politique. Dans les milieux du président du Parlement Nabih Berry, on s’est dépêché de s’en laver les mains et de stigmatiser une « mesure qui aura un impact négatif sur les plans économique et social », comme l’a noté hier Kassem Hachem, député du groupe parlementaire Amal.
Contacté par L’Orient-Le Jour, M. Hachem a affirmé que la mesure annoncée par M. Bassil ne fait que « refléter un avis personnel, que le reste des parties politiques ne partagent pas nécessairement ». « Beaucoup d’idées sont actuellement lancées pour remédier à l’urgence de l’assainissement des finances publiques public mais rien n’a encore été décidé », a indiqué le député.
Même son de cloche chez Hadi Abou el-Hosn, député joumblattiste, qui a estimé « inacceptable » toute atteinte aux salaires des fonctionnaires et à leurs droits acquis, proposant une série de sources alternatives pour réduire le déficit, notamment la réduction des taux d’intérêt que les banques imposent à l’État.
Également parmi les contestataires de la mesure préconisée par le ministre, l’ancien officier de l’armée et membre du bloc parlementaire aouniste, Chamel Roukoz, connu cependant pour ses positions critiques à l’égard de son beau-frère, Gebran Bassil.
« Le déficit doit être traité en s’attaquant à la dilapidation, les recels de fonds publics, et en procédant à la réhabilitation du mécanisme légal des appels d’offres. Pourquoi ne pas aller non plus chercher le manque à gagner du côté des fonds maritimes », a commenté pour L’OLJ le député.
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Les anciens militaires s’insurgent
Outre la cascade de réactions de la part de plusieurs figures politiques, celles des internautes dont plusieurs ont accusé la classe politique de vouloir « imposer des sacrifices aux citoyens au lieu de s’attaquer à la corruption dans laquelle ils sont majoritairement empêtrés ».
En soirée, la Mutuelle des fonctionnaires a annoncé dans un communiqué une grève générale prévue demain, en guise de refus des mesures annoncées. Le ton est également monté dans les milieux des militaires, plus précisément parmi les officiers à la retraite dont certains ont appelé à la mobilisation et menacé de couper, aujourd’hui, les routes d’accès à Beyrouth.
On apprenait toutefois en soirée que des appels au calme ont été lancés et qu’une délégation d’officiers à la retraite a été conviée aujourd’hui même au Parlement pour en discuter avec les députés. Pour Chamel Roukoz, « l’escalade pourrait avoir lieu à partir du Parlement », comprendre qu’une contestation pourrait être envisagée par les députés de la nation ou une partie d’entre eux.
Bien que désapprouvant le ton « saugrenu » employé par le groupe d’anciens militaires qui ont menacé d’escalade, un officier à la retraite exerçant une fonction de conseiller se dit toutefois d’accord sur le principe, soulignant que le fait de porter atteinte aux salaires et compensations des militaires, « déjà assez maigres au départ, est une véritable punition et une insulte » aux gens du métier.
Le conseiller met toutefois en garde contre les risques que pourraient entraîner une telle mesure, affirmant à L’OLJ que « la véritable réaction à une telle décision ne s’est pas encore manifestée et qu’elle sera redoutable » si l’option des coupes dans les attributions des militaires devait se concrétiser. « Ce n’est pas parce qu’elle n’est pas criée sur tous les toits ni annoncée à grande pompe que notre réaction sera moins virulente », a lancé, à la manière d’un avertissement, cet ancien officier. À son tour, il conseille aux responsables politiques d’aller piocher « là où l’argent public est dilapidé, volé et détourné d’une et mille manières », faisant allusion notamment au dernier scandale d’évasion fiscale au port de Beyrouth, évaluée à près de 650 millions de dollars en manque à gagner et aux « impayés en électricité et en eau dans les régions relevant du Hezbollah ».
Exprimant son pessimisme quant à la capacité de la classe politique actuelle à redresser la situation, l’ancien officier en arrive à conclure que « la seule issue serait de replacer le Liban sous mandat. Mais la question est de savoir quel Hercule acceptera cette tâche ardue qui est pire que le nettoyage des écuries d’Augias ».
Pour mémoire
Éducation : Le gouvernement ignore l’échelonnement des effets de la grille des salaires
Au nom de qui et de quoi, un ministre des Affaires étrangères se mêle de problèmes qui ne concernent pas son ministère ? - Il demande à la Ligue arabe de réintégrer la Syrie en son sein. De quoi il se mêle ? A-t-il une procuration de son tuteur Bachar el-Assad pour parler au nom de la Syrie ? - A propos de la réduction des salaires des fonctionnaires. De quoi il se mêle ? - Cet individu, est-il déjà Président de la République ou "on" la lui ont promise ? Qui est ce "on" ?
15 h 08, le 16 avril 2019