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Idées - Commentaire

Trump et le Golan : le retour de la « muraille d’acier »

Le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, tient le stylo utilisé par le président américain Donald Trump pour signer un décret reconnaissant la souveraineté d’Israël sur le Golan. Archives AFP.

La récente décision du président Donald Trump de reconnaître la souveraineté d’Israël sur le plateau du Golan évoque une vieille plaisanterie : « J’ai décidé d’épouser la top model Claudia Schiffer. Je suis décidé et mes parents sont d’accord : il ne me reste plus qu’à convaincre Claudia. »

Israël et les États-Unis sont en effet les seuls à avoir décidé que le Golan était israélien et pourraient bientôt en faire de même pour de grandes parties de la Cisjordanie. Il leur reste maintenant à en convaincre le reste du monde. À en juger par les premières réactions de nombreux pays, il est peu probable que cela réussisse. Après l’annexion du Golan par Israël en 1981, le Conseil de sécurité des Nations unies, dans sa résolution 497, a unanimement qualifié cette entreprise de « nulle et non avenue », exigeant son « annulation ». Une ligne que le secrétaire général de l’ONU, Antonio Gutteres, a confirmée lundi dernier en déclarant qu’il continuait d’adhérer à toutes les résolutions du Conseil de sécurité sur le Golan.

Enterrement

Depuis, le droit international et même l’histoire ont été convoqués aussi bien par les partisans que les opposants à cette décision américaine pour justifier leurs positions sur le sujet. En réalité, la décision de Trump obéit à une autre logique et vise surtout à imposer un nouveau cadre pour les relations israélo-arabes : son administration cherche à remplacer le principe « Land for Peace » (affirmé depuis 1967 par la résolution 242 du Conseil de sécurité des Nations unies), en se basant sur l’idée qu’Israël est assez puissant pour ne pas avoir à faire de concessions.

De fait, les efforts d’Israël pour que les États-Unis reconnaissent leur souveraineté sur le Golan constituent une étape majeure dans l’enterrement du « processus de paix » des années 1990. Israël et ses alliés américains ne sont pas motivés par le désir de parvenir à un meilleur résultat dans le cadre des négociations, mais par l’anéantissement pur et simple de cette notion même. Ils veulent qu’Israël utilise sa supériorité militaire et impose une nouvelle réalité politique aux États arabes. Ce type de raisonnement était d’ailleurs déjà présent implicitement dans les propos que m’avait tenus, lors d’un entretien publié en juillet dernier sur Diwan, Michael Doran, ancien fonctionnaire du Conseil de la sécurité nationale américain et l’un des éminents partisans de la décision de Trump : « Le risque lié à une restitution du Golan à la Syrie n’est pas simplement à évaluer en fonction de l’alliance entre le régime d’Assad et l’Iran. De par sa nature même, la Syrie est une entité politique instable. Même si un régime favorable aux États-Unis et à la stabilité régionale devait un jour émerger à Damas, sa survie ne serait jamais garantie.  » Autrement dit : toutes les négociations de paix avec la Syrie, voire avec les Palestiniens qui souffrent d’une instabilité similaire, sont vaines. Israël doit plutôt chercher à assurer sa sécurité en s’engageant dans un expansionnisme défensif. En d’autres termes, pour qu’Israël reste vraiment en sécurité, il doit être autorisé à acquérir davantage de terres arabes.

Il s’agit ici d’une revisite de la théorie de la « muraille d’acier » défendue par le dirigeant sioniste révisionniste Zeev Jabotinsky (dont l’historien Bension Netanyahu, père de l’actuel Premier ministre, a été le secrétaire, NDLR). Dans un texte publié en 1923, il affirma que la colonisation juive de la Palestine devait se poursuivre derrière la « muraille d’acier » de la supériorité militaire sioniste. La seule façon pour les Arabes d’accepter la présence juive en Palestine, a-t-il écrit, « est la muraille d’acier, c’est-à-dire un pouvoir puissant en Palestine qui ne peut être soumis à aucune pression arabe. En d’autres termes, le seul moyen d’obtenir un accord dans l’avenir est de totalement renoncer à en obtenir un dans le présent ».


(Lire aussi : La décision US sur le Golan aura-t-elle des répercussions sur le sort des fermes de Chebaa ?)


Réécrire les fondements des relations israélo-arabes

Le raisonnement adopté par l’administration Trump et ses partenaires israéliens reprend les principes de cette théorie en l’élargissant à l’ensemble du monde arabe : saper la position des Palestiniens à l’égard de Jérusalem-Est, leur statut de réfugiés et leurs contacts avec les États-Unis ; établir des relations avec les États arabes pour contourner et marginaliser les Palestiniens ; et imposer des difficultés à la société palestinienne pour qu’elle devienne plus docile face aux diktats israéliens. De sorte que si et lorsque adviendra finalement un accord avec les Palestiniens et la plupart des États arabes, il se fera aux conditions d’Israël.

La décision du Golan s’inscrit dans ce courant de pensée. C’est la continuation, en Syrie cette fois, de la reconnaissance par les États-Unis de la souveraineté israélienne sur Jérusalem-Est ; de la réduction du financement de l’Unwra et des programmes d’aides financières américains aux Palestiniens ; de la fermeture du consulat des États-Unis à Jérusalem et de la représentation de l’Organisation de libération de la Palestine à Washington. Le caractère unilatéral et vindicatif de ces mesures tout comme leurs implications à long terme donnent à penser qu’elles n’ont pas été prises de manière intempestive, mais qu’elles faisaient partie d’une approche soigneusement réfléchie pour réécrire les fondements mêmes des relations israélo-arabes. Incidemment, ces mesures s’accordent bien d’ailleurs aux objectifs fixés par le « Congressional Israel Victory Caucus », un lobby de représentants pro-israéliens au Congrès américain qui estime qu’il « est peut-être temps que notre allié Israël gagne et que les Palestiniens aient la possibilité d’améliorer leurs conditions de vie ». En d’autres termes, l’objectif visé par l’administration Trump est qu’Israël soit déclaré vainqueur contre les Palestiniens et abandonne l’idée que le rétablissement de la paix exige des sacrifices mutuels.

Nous entrons donc dans une phase au cours de laquelle Israël refusera simplement de rendre des terres en échange de la paix avec les Palestiniens, voire avec les Arabes en général. En diplomatie cependant, l’ambiguïté constitue souvent la meilleure approche des problèmes insolubles : en clarifiant ainsi leur position, Israël et les États-Unis ont peut-être commis une erreur qu’ils vont regretter. Si Israël et ses partisans aiment à dire que le conflit israélo-palestinien et le conflit israélo-arabe au sens large ne comptent plus pour la plupart des Arabes, ils viennent de démontrer l’inverse.

Ce texte est la traduction d’un article publié en anglais et en arabe sur le site de Diwan.

Par Michael YOUNG

Rédacteur en chef de Diwan, le blog du Carnegie Middle East Center. Dernier ouvrage : « The Ghosts of Martyrs Square: An Eyewitness Account of Lebanon’s Life Struggle » (Simon & Schuster, 2010, non traduit).



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commentaires (4)

DEUX PRINCIPES INALIENABLES / 2 PRETEXTES / 2 PHOBIES MOTEURS DE LA STRATEGIE ISRAELIENNE : EXPLOSION DEMOGRAPHIQUE DES PALESTINIENS, MANQUE EVIDENTE DE CONFIANCE EN LES REGIMES ARABES,TOUS LES REGIMES ARABES-Y COMPRIS CELUI LIBANAIS (DORENAVANT). rien de nouveau donc, sauf le reve Trump/netanyahu actuel base sur un decouragement arabe .... UTOPIQUE !

Gaby SIOUFI

11 h 00, le 30 mars 2019

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Commentaires (4)

  • DEUX PRINCIPES INALIENABLES / 2 PRETEXTES / 2 PHOBIES MOTEURS DE LA STRATEGIE ISRAELIENNE : EXPLOSION DEMOGRAPHIQUE DES PALESTINIENS, MANQUE EVIDENTE DE CONFIANCE EN LES REGIMES ARABES,TOUS LES REGIMES ARABES-Y COMPRIS CELUI LIBANAIS (DORENAVANT). rien de nouveau donc, sauf le reve Trump/netanyahu actuel base sur un decouragement arabe .... UTOPIQUE !

    Gaby SIOUFI

    11 h 00, le 30 mars 2019

  • Le père de l'actuel p.m israélien s'appelait donc bension ? Ça ne s'invente pas un truc pareil . Il n'y plus rien à ajouter , ni à faire de l'historique , il s'agira de savoir si la partie des arabes qui décident de résister à cette situation a les moyens de foutre un coup de pied dans la fourmilière. Sinon c'est mal barré.

    FRIK-A-FRAK

    09 h 46, le 30 mars 2019

  • OFFRIR DES TERRES D,AUTRUI A D,AUTRE QUE LEUR PROPRIETAIRE LEGAL EST PLUS Q,UNE PLAISANTERIE... C,EST UNE INSULTE A L,ONU ET AU MONDE ENTIER !

    LA LIBRE EXPRESSION

    08 h 30, le 30 mars 2019

  • il n'a jamais été question d'un retour au muraille d'acier. Cette théorie n'avait jamais été abandonné....c'est une des bases du sionisme. Il est dommage que la plupart des ministres arabes des affaires étrangères ne connaissent pas la philosophie du mouvement sioniste, ne connaissent ni Jabotinsky ni même Ben Gourion... qui disait que la levantanisation d'Israél signifiait sa disparition..... Lorsque des ignares s'occupent d'un sujet, il ne faut pas s'étonner que le sujet soit maltraité....cela s'applique aussi sur les palestiniens.

    HIJAZI ABDULRAHIM

    01 h 54, le 30 mars 2019

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