On ne naît pas fanatique. On le devient.
Qu’est-ce qui s’est passé sous le crâne de Brenton Tarrant à Christchurch, en Nouvelle-Zélande, et de tous ceux qui l’ont précédé, à l’instar du Norvégien Anders Behring Breivik, dans ce terrorisme individuel, dans cette réécriture dans des litres de sang de leur propre Mein Kampf, dans cet Armageddon de toutes les haines possibles et imaginables ? Comment s’est articulé le processus qui va de la prise de conscience par ces terroristes de leur différence, d’où qu’ils viennent et quelle qu’ait été leur éducation, jusqu’à la prise de décision : je veux tuer l’autre – l’autre qui ne vit pas, prie pas, mange pas et n’aime pas comme moi ? Quel est ce déclic, cet instant T au cours duquel s’opère la folle bascule ?
Il y a quelque chose de troublant dans le fanatisme de ce IIIe millénaire qui fait particulièrement fantasmer. Qu’il soit d’action ou de réaction, ce fanatisme est plus exhibitionniste que jamais : M. Tarrant a filmé son odyssée de la mort et l’a diffusée en direct sur Facebook. La vidéo a été ensuite relayée sur des millions de téléphones et regardée par certains des plus humanistes d’entre nous. C’est ainsi : le fanatisme est désormais vendeur, qu’il s’exprime à Paris, à Orlando, à Christchurch, à Beyrouth, en Irak, en Syrie... partout. Il est omniscient et omnipotent : ce fanatisme ne connaît ni race, ni religion, ni sexe, ni frontières. On a toujours voulu tuer/mourir pour une idée, mais là, on veut exterminer. Et le montrer. L’idée est devenue victime et bourreau, sauveur et monstre, mortifère et raison de vivre. À la fois.
Loin des dissections et des élucubrations psychologiques ou psychanalytiques, intéressantes ou pas ; loin des retours à l’enfance : a-t-il été allaité ou nourri au biberon ? Ou à une adolescence plus ou moins sereine ; loin des pseudo-influences : il n’écoute que du metal hard, repasse en boucle les discours de Marine Le Pen et de Matteo Salvini, déteste Amin Maalouf ; loin, surtout, des clichés en tout genre, aussi coriaces et parfois vrais soient-ils, il existe un terreau, des critères et des ingrédients communs à tous ces terroristes, à tous ces fanatiques. Communs à ce chrétien, à ce musulman, à ce juif, à cet athée qui assassine les autres ; à cet individu qui veut anéantir un collectif, aussi minoritaire soit-il : c’est qu’ils se sentent compris, entendus, protégés. Pourquoi ? Parce qu’aux quatre coins du monde, un concept-remède est en train, lentement et sûrement, de se décomposer, de pourrir : la modération.
Des États-Unis, référent toujours absolu (les fanatiques de tous bords portent des Nike, mangent McDo, écoutent Jay Z et fantasment sur Cameron Diaz) jusqu’aux Philippines, en passant par le Brésil, l’Italie ou l’Autriche, la modération se meurt sans fin. Ailleurs, elle ploie sous les coups de boutoir des dirigeants d’extrême droite ou d’extrême gauche. Rien n’est fait par les démocraties pour institutionnaliser la lutte contre les fanatismes. Rien n’est fait par les peuples pour empêcher ces fanatismes d’avoir des tribunes, d’être regardés et vus, écoutés et entendus, puis d’être utilisés comme caution, comme garantie de bonne conduite par les Brenton Tarrant de la planète, musulmans, chrétiens ou juifs.
Des organismes à gros budget doivent être créés pour éradiquer à la source ces fanatismes – une fois, bien sûr, qu’ils auront été identifiés et répertoriés. Pour aller les déraciner avant même qu’ils ne poussent : dans les mosquées, les églises et les synagogues, dans les écoles et les universités, dans les partis politiques, sur les réseaux sociaux et jusqu’au dark web, et, enfin, idéalement, dans les mentalités. Et il y a de l’espoir : les Néo-Zélandais ont été absolument extraordinaires avec la communauté musulmane de Christchurch après le carnage de vendredi dernier.
Ce travail, surtout, doit être fait au cœur du Moyen-Orient, laboratoire du monde : le Liban. Ce Liban tellement si convivial avant, tellement si empoisonné jusqu’à la mitochondrie désormais par autant de fanatismes qu’il y a de déchets sur son territoire et dans ses eaux : fanatisme sunnite prowahhabite, fanatisme chiite prowaliy el-faqih, fanatisme christiano-chrétien qui sautille de joie dès que les mots chrétiens d’Orient et alliance des minorités se prononcent, etc. Le fanatisme est définitivement l’ennemi de la nature.
Dans ce Liban, de plus en plus systémiquement, la modération se fait assassiner jour après jour. En silence. Le pire ? Très peu en sont mécontents : chaque fanatisme du IIIe millénaire a férocement besoin d’au moins un fanatisme rival pour vivre et prospérer.
l'ignorance engendre la peur et la peur engendre la haine et la haine engendre la guerre ……… et l'ignorance n'est pas acquis a la naissance ni le fanatisme …. on l'acquiert avec le temps et de par son environnement
23 h 38, le 18 mars 2019