Churchill disait : « Il n’y a pas d’urgence, il n’y a que des gens pressés. » Hormis les urgences médicales, effectivement, rien ne presse vraiment. Pourtant, au Liban, nous sommes toujours empressés. Empressés d’arriver à un rendez-vous. Débordés par on ne sait quoi. Submergés par on ne sait quoi non plus.
« Ma3jou2in ». Les Libanais sont souvent dépassés par les événements, leur rythme de vie, leurs activités sociales et parfois par leur boulot. Et par conséquent, ils deviennent agressifs. C’est amusant de voir le comportement de ce peuple toujours sur le qui-vive. « Je voulais t’appeler », « il faudrait qu’on se voie », « je suis très busy ces deux semaines ». Mais bien sûr. Le temps n’attend pas et les gens qui sont dans l’expectative d’un dîner ou d’une réponse à un message, eux, peuvent patienter. Le plantage se fait sans explications, même pas le lendemain. C’est vrai que (haram) il n’y a qu’elle/lui qui bosse. Nous, on se la coule douce toute la journée. Vous me direz, même ceux qui se la coulent douce ont trouvé un moyen d’être inondé par trop de rien. Ou peut-être une séance de sport. Voire deux.
« Je n’ai pas eu une minute à moi. » Effectivement, tellement peu de temps, que ledit destinataire n’est pas passé aux toilettes, n’a pas checké Instagram, ni regardé un épisode de Sex Education, ni répondu à d’autres missives électroniques. « Ma3jou2in ». Comme les serveurs des restaurants où se battent trois tables en duel et qui en font trop. Courent entre les clients, manquent de se vautrer et font tomber sur votre nouveau pull, la sauce trop citronnée du taboulé. On les sent en permanence débordés par la commande, ils se trompent dans la cuisson, demandent régulièrement à qui est le paillard de veau et le verre de saint-émilion. Les pauvres. Mais n’est pas commis qui veut.
Idem pour ces employés de bureau, quasiment tous trop zélés. Entre deux parties de solitaire sur leur vieux PC, un scrolling indifférent sur leur feeds Facebook, cinq coups de fil aux gamins restés à la maison à cause du mauvais temps, ils vous expliquent qu’ils n’arrivent pas à sortir la tête de l’eau.
Cependant, la palme revient définitivement aux amis, amants et autres petites copines qui ont lu votre WhatsApp mais néanmoins répondu ailleurs. C’est là que l’incompréhension s’installe face à ce détachement, ce manque de politesse et d’éducation dont font preuve aujourd’hui, la plupart des gens qui nous entourent. « 3omrik atwal men 3omré ». J’étais en train de composer ton numéro quand tu as appelé. « Chou bint 7alel ». Sauf que c’est moi qui t’ai appelé(e) (pour la énième fois). Moi qui t’ai texté(e) (pour la énième fois). Moi qui ai fait le premier, le deuxième, le huitième pas. « Je suis en réunion », « je ne suis pas seul(e) », « je conduis », « je suis fatigué(e) ». Ou tout simplement, « j’ai oublié de te rappeler ». Toutes les excuses sont bonnes. À tel point que certains pourraient battre à plate couture les carnets de correspondance de nos gamins avec leurs arguments à dormir debout. La bonbonne de gaz a explosé ; mon téléphone est tombé dans les w.-c., je ne pouvais ni répondre ni appeler ; mon écran a buggé ; je n’avais pas de réseau; ma grand-mère est à l’hôpital (alors que takhtakho 3dama depuis belle lurette) ; ma voiture est au garage; j’ai dû emmener mon chien chez le véto ; ma meilleure amie s’est fait larguer. Et le sempiternel, « j’étais en réunion toute la journée, j’ai fini tard et je ne voulais pas te déranger ». C’est vrai que 20h est une heure indue.
Il est affligeant de constater que dans ce chaos qui règne dans la vie de tout un chacun, il ne reste quasiment plus de place à la moindre considération pour autrui. Que les coups de klaxon intempestifs et autres insultes ont pris la place du minimum de courtoisie ; que les between entre deux voitures sont devenus le sport national. Que le between tout court est devenu sport national. C’est là qu’on case les autres. Entre deux.
commentaires (5)
JE NE DISTRIBUE PAS DES ENCENSEMENTS...
LA LIBRE EXPRESSION
10 h 30, le 17 mars 2019