Dans les milieux du 8 Mars, on est catégorique : le Hezbollah est plus que jamais sérieux dans sa lutte contre la corruption parce qu’il est déterminé à restituer au Trésor les fonds « volés » ; il refuse que sa démarche soit considérée comme une attaque contre le sunnisme politique ou comme un instrument de règlement de comptes et la place sous le signe du « jihad financier ». Un concept nouveau de « guerre sainte », à travers lequel il veut surtout redorer son blason alors qu’il est lui-même accusé d’avoir trempé dans des affaires de corruption. Mais le Hezbollah balaie ces accusations tant qu’elles ne sont pas associées à des preuves ou des documents. Soit dit en passant, il ne s’arrête pas non plus aux nombreuses affaires de corruption dont la justice libanaise avait été saisie mais qui n’ont jamais été menées à leur terme.
À ceux qui lui reprochent de faire cavalier seul et de ne pas avoir coordonné – s’il est vrai que sa guerre contre la corruption a une dimension nationale et qu’il ne cible pas les sunnites en particulier – avec des parties capables de le soutenir dans cette guerre, notamment avec le courant du Futur, à travers une reprise des réunions de dialogue de Aïn el-Tiné, le parti de Hassan Nasrallah réplique en affirmant que ces assises, qui se tenaient durant la période de vide présidentiel, n’ont plus de raison d’être. Le dialogue entre le Hezbollah et le Futur a lieu aujourd’hui dans le cadre du gouvernement, du Parlement et des commissions parlementaires, argue-t-on dans les milieux du 8 Mars.
En fait, la formation chiite a besoin d’être seule dans sa lutte contre la corruption, alors qu’elle est soumise à d’importantes pressions économiques internationales. Il lui importe de donner d’elle-même une image contraire à celle que l’Occident véhicule, à savoir celle d’un parti terroriste qui, pour s’autofinancer, est impliqué dans des trafics de drogue en Amérique latine.
Cependant, non seulement cette tactique est restée sans effet au niveau international, mais un enchaînement d’événements récents a révélé une intransigeance internationale vis-à-vis du Hezbollah. Bien qu’elle n’ait pas cautionné la décision de Londres qui a récemment prohibé ce parti, sans faire de distinction entre ses deux ailes politique et militaire, l’Union européenne s’est alignée indirectement sur la politique britannique en s’abstenant de convier à la réunion de Bruxelles III sur les réfugiés syriens, le ministre de la Santé, Jamil Jabak, proche du Hezbollah, et le ministre d’État pour les Affaires des réfugiés, Saleh Gharib, qui représente le député Talal Arslane au gouvernement et qui est considéré comme un proche de ce parti et de la Syrie. En 2018 pourtant, l’UE avait invité les ministres des Forces libanaises Ghassan Hasbani (Santé) et du courant du Futur Mouïn Merhebi (Réfugiés) à Bruxelles II. Le Liban sera ainsi représenté à la conférence qui s’est ouverte hier dans la capitale belge par le chef du gouvernement, Saad Hariri, et les ministres des Affaires sociales, Richard Kouyoumjian (FL), et de l’Éducation, Akram Chehayeb (PSP), tous trois officiellement invités par l’UE en même temps que le chef de la diplomatie, Gebran Bassil, qui ne pourra cependant pas s’y rendre.
(Lire aussi : Lutte anticorruption : une volonté sérieuse, mais pas encore de résultats concrets, le décryptage de Scarlett HADDAD)
Cet épisode tend à montrer que l’Occident, en dépit des nuances politiques dans sa position par rapport au Hezbollah, suit en définitive une même ligne de conduite vis-à-vis de ce parti. Celle-ci s’est reflétée dans les propos des deux émissaires américain, David Satterfield, et français, Pierre Duquesne, accueillis en février dernier à Beyrouth. M. Satterfield, sous-secrétaire d’État pour le Proche-Orient, qui était venu dans le cadre des préparatifs de la visite du secrétaire d’État, Mike Pompeo (attendu la semaine prochaine dans la capitale), avait averti ses interlocuteurs libanais que Beyrouth devrait assumer les conséquences de ses choix politiques et que l’administration américaine traite avec le Liban en fonction de ces choix. En gros, il avait expliqué que Washington considère que le Hezbollah est directement responsable de l’absence d’un État fort au Liban et que les Libanais le savent bien mais que les forces politiques doivent quand même assumer leurs responsabilités à ce niveau. L’Occident, a-t-il dit, ne pourra pas faire preuve de bienveillance à l’égard du Liban à ce niveau ou tenir compte de ses spécificités.
Chargé par le président français Emmanuel Macron de mener le processus de la Conférence économique pour le développement par les réformes et avec les entreprises (CEDRE, tenue le 6 avril 2018 à Paris), l’ambassadeur de France et délégué interministériel à la Méditerranée Pierre Duquesne était reparti fin février de Beyrouth avec l’impression que les hommes politiques au Liban auront des difficultés à se conformer aux exigences de la CEDRE et ne sont pas prêts pour le processus déclenché par cette conférence internationale. Selon lui, le Liban n’a toujours pas donné l’impression d’être sérieux dans sa façon de plancher sur les réformes prévues par la CEDRE.
L’Occident reste ainsi complètement insensible, voire indifférent à la guerre du Hezbollah contre la corruption. Et pour cause : de sources diplomatiques occidentales, on estime que c’est ce parti qui, fort de ses armes et de la puissance qu’elles lui confèrent, a encouragé la violation de la Constitution et des lois. On rappelle aussi que ce parti refuse de livrer à la justice ses cadres accusés d’implication dans l’assassinat de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri.
De mêmes sources, on insiste sur le fait que la lutte contre la corruption devrait suivre une procédure et des mécanismes très précis.
commentaires (6)
MEME LES LIBANAIS NE SONT PAS DUPES !! ILS SAVENT EXACTEMENT LE PQ, LE TIMING ET LES CIRCONSTENCES
Bery tus
15 h 02, le 13 mars 2019