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Culture - Rencontre

Bassam Kyrillos et l’obsession d’une guerre sans fin

Dans son antre urbain, le sculpteur truffe sa matière première d’émotions, de vérités et de... physique quantique.


Si les propos de Bassam Kyrillos résonnent avec un fatalisme pour le moins glaçant, ses sculptures portent en elles, littéralement, le visage de l’espoir. Photo Anne Ilcinkas

Sculpter pour ne pas oublier et cristalliser des conflits mal déguisés. Reproduire à l’infini des espaces criblés pour décrier ce spectre omnipotent d’une guerre qui l’obsède, et emprunter à la physique quantique ses plus sombres théories pour faire rejaillir un espoir malgré tout. Les sculptures de Bassam Kyrillos, présentées dans le cadre de sa nouvelle exposition « Multiverses »*, sont truffées d’émotions et d’humanité.

Pour décrypter son processus créatif, c’est dans son atelier de la capitale qu’il nous reçoit. Plus petit, plus urbain et surtout plus fonctionnel que celui situé dans son village de Bentaeil, dans le casa de Jbeil, et que l’artiste affectionne particulièrement. « Cet espace me permet d’être plus proche de mes élèves de l’Université libanaise (UL) et d’éviter les embouteillages aux heures de pointe », explique-t-il. Des maquettes en polystyrène jonchent la pièce étroite où se marient pêle-mêle outils de modelage, œuvres finies et un fauteuil en cuir, « cadeau d’une amie », dans lequel il aime se poser et se perdre dans ses pensées. Celui qui à 16 ans a fait ses premiers pas dans la sculpture sous la houlette de Georges Ishac, un sculpteur du village, a exposé ses premières œuvres à l’âge de 18 ans.



Avec une voix mélancolique et des gestes lents, Bassam Kyrillos a du mal à s’épancher sur son parcours. Des souvenirs marquants dans cet espace ? Il en a, mais préfère ne pas les dévoiler. Il revient sur son parcours académique qui le mènera sur les bancs des Beaux-Arts à Paris mais aussi à Rome, et enfin de nouveau à Paris pour compléter un doctorat sur la relation entre la sculpture et le lieu.

« J’ai voulu renverser le rapport », souligne Kyrillos. Et d’expliquer que la perception consensuelle est que la sculpture appartient à un lieu, alors il se penche sur les moyens par lesquels, paradoxalement, ce sont les lieux qui s’immiscent pour habiter les sculptures et leur insuffler une vie.



(Pour mémoire : Quand la destruction du passé est sujet et objet de sculpture...)



Le visage de l’espoir
Les combats faisant rage en Syrie, il est frappé par la banalisation grandissante du phénomène de la guerre qu’il a vécue des années auparavant dans son pays, sans toutefois en peser toutes les implications humaines et sociales. « Nous faisons partie de la génération qui a subi les affres de la guerre. Elle vit en nous telle une gravure. » Des gravures et des blessures que Bassam Kyrillos reproduit sans fin sur les façades de ses sculptures. Comme si ces meurtrissures laissées par les combats étaient trop lourdes à porter, comme s’il ne fallait jamais baisser la garde, comme si pour enfin accepter l’autre, il fallait se résigner à défoncer à l’infini ces morceaux de polystyrène destinés à servir de base pour ses moules. Un processus cathartique qu’il résume par « pour dépasser, il faut retourner à cette blessure de départ ». Et gare à ceux qui pensent que si les canons se sont tus, la guerre, elle, plus sournoise que jamais, a battu de l’aile. Si les propos de Bassam Kyrillos résonnent avec un fatalisme pour le moins glaçant, ses sculptures portent en elles, littéralement, le visage de l’espoir. « Il faut transcender le déterminisme et permettre une situation de chaos qui donnerait ses chances à un nouveau concept de liberté », explique l’artiste. De ses façades d’immeubles et autres espaces se profilent des visages humains porteurs d’espoir et de prise de contrôle malgré tout.

Le nom de son expo, « Multiverses », est en lien direct avec la théorie du multivers quantique selon laquelle notre univers n’est qu’un parmi tant d’autres aux possibilités infinies. À cet égard, « tout le monde peut créer le monde auquel il croit et personne ne détient une vérité absolue », affirme le sculpteur, qui emprunte dans ses œuvres la théorie de la physique quantique, une philosophie contre-intuitive fondée sur le fait que la matière n’existe pas en tant que telle ; elle doit être pensée, sinon elle n’a aucun fondement. Son exposition est en somme une célébration de cette théorie, un rejet absolu du déterminisme, et une quête pour tenter d’assouvir une curiosité « que les philosophies religieuses n’ont pas réussi à satisfaire ».

Se retrouver face à ces pièces imposantes en bronze ou en aluminium, desquelles se dégagent des visages inertes, décapants de réalité, est un travail de mémoire nécessaire et une fenêtre tournée vers l’humanité, un appel en sourdine à ceux qui croient que tout est perdu d’avance.


*Galerie Mark Hachem. Imm. Capital Gardens, rue Salloum, centre-ville de Beyrouth.

Tél. : +961/1/999313. Jusqu’au 16 mars.



Pour mémoire
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