«Comment ça, vous ne voyez rien? Mais repassez la sonde, j’aimerais bien que ce soit une fille! » – C’est vous-même qui l’avez dit, monsieur, dit l’échographiste, qui aime mieux trouver dans le ventre des femmes un petit robinet sinon rien, histoire de sauver son quart d’heure de gloire. Les filles, en Orient du moins, on n’aime pas trop en avoir. Dans les villages – parce qu’en ville, on a appris à domestiquer l’inavouable déception –, on a inventé en guise de compliment une somptueuse litote : « Que Dieu lui prête vie et qu’elle puisse bercer son frère. » Et dans les confins du Liban, on obéira à son destin en berçant le petit frère. Plus tard, cette injonction, étrangement donnée par les mères : «Va faire un sandwich à ton frère! » Lequel est déjà un ours mal léché, bien velu, éternellement vautré et prêt à mourir d’inanition plutôt que faire cette chose qu’il déchoirait à faire : se nourrir seul tant qu’il y a des sœurs pour le gaver. Sachant que contrairement à la jolie formule inventée par Mme de Beauvoir, et qui prétend qu’« on ne naît pas femme, on le devient », sous certains cieux on naît femme, irrémédiablement et sans espoir de retrouver son enfance, si toutefois enfance l’on eut.
Petites filles qui devront bien vite subir la douleur des menstrues et la tyrannie émotionnelle des hormones, et vivre leur vie malgré tout en se mordant les lèvres, ce n’est rien, ça passera… jusqu’au mois suivant, mais c’est dans ce secret que se construit déjà leur force. Il est des milieux où elles apprennent aussi, dans le désordre : qu’elles sont impures ; qu’elles sont des fardeaux pour leurs familles, eu égard aux fameuses dots qu’il faut verser pour s’en débarrasser ; qu’elles sont sources de problèmes, eu égard à la concupiscence des hommes ; que la douleur insoutenable de l’accouchement est une punition divine à elles seules réservée ; que leur ventre appartient à la communauté, dans la mesure où il couve et fabrique des identités patriarcales et confessionnelles, et, à propos, que Dieu lui-même est une entité masculine, ce qui ne leur laisse pas d’autre choix que se soumettre au mâle, sur la terre comme au ciel. En vertu de tout cela, leurs déplacements sont limités, leurs rêves bridés et leur sexe excisé. Les religions monothéistes les traitent encore souvent comme des êtres inférieurs, les empêtrent dans une pudeur réglementaire, les encagent dans des étoffes et les offrent en libre-service au désir d’un mari qu’elles n’ont pas choisi et qui n’a pas besoin de permission pour les labourer, lui qui par ailleurs sait attendre les saisons de son champ pour y mener ses bœufs.
Pour tout cela, et pour une confuse histoire survenue loin d’ici, de révolte d’ouvrières en Russie ou de couturières à New York – ce qui en soi est signe que ces femmes, bien qu’exploitées, étaient émancipées –, l’on a décidé que le 8 mars serait la Journée des femmes. Il y aura des paroles, des engagements, quelques actions. Mais au bout du compte, une certitude demeure : le salut des femmes ne viendra que par les femmes, leur sororité, leur solidarité, et d’abord par les mères quand elles cesseront de transmettre le joug. On le sait déjà, ce n’est pas une journée, pas un mois, pas une année, mais l’avenir tout entier qui les attend et leur appartient. Le siècle a commencé religieux, il finira, par réaction légitime, éminemment féminin.
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Vous écrivez : ""Sachant que contrairement à la jolie formule inventée par Mme de Beauvoir, et qui prétend qu’« on ne naît pas femme, on le devient », sous certains cieux on naît femme, irrémédiablement et sans espoir de retrouver son enfance, si toutefois enfance l’on eut."" Excellent, Madame, Excellent ! Pas tout à fait, quand ""l’avenir tout entier les attend"". Vous n’avez pas entendu par exemple, en 2019 ce genre de déclarations : ""les femmes par contre"", à lire dans : https://plus.lesoir.be/174841/article/2018-08-25/il-est-plus-difficile-detre-femme-quhomosexuel-en-politique Et pour revenir à la jolie formule de Beauvoir : https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/03/08/simone-de-beauvoir-au-monde-en-1978-j-ai-cru-trop-vite-a-une-proche-victoire-des-femmes_5432979_3232.html Quel parcours pour les femmes depuis cette formule !
L'ARCHIPEL LIBANAIS
14 h 26, le 08 mars 2019