Une succession de couacs en un laps de temps aussi court ne saurait être une simple coïncidence… Surtout lorsqu’ils interviennent tous au lendemain de la formation du nouveau gouvernement et qu’ils s’orientent tous, en l’espace de quelques jours seulement, dans une même direction (obstructionniste, en l’occurrence).
Les faits sont sur ce plan assez révélateurs : avant même que le gouvernement ne tienne sa première réunion, le ministre d’État pour les Déplacés se rend à Damas sans consulter le chef de l’État ou le Premier ministre, suscitant ainsi (la relation de cause à effet était inévitable…) un débat houleux lors du premier Conseil des ministres tenu au palais de Baabda ; le Conseil constitutionnel (contre l’avis de trois de ses membres, et grâce au revirement subit d’un quatrième pour des raisons obscures) invalide un seul mandat parlementaire, celui d’un député du courant du Futur, une décision qualifiée de coup de Jarnac par Saad Hariri ; et le Hezbollah lance une campagne contre la corruption, mais limitée uniquement à une seule partie et une seule période de l’exercice du pouvoir, suscitant (là aussi la relation de cause à effet était prévisible) une vive tension politique sur la scène locale. Et cerise sur le gâteau, les médias pro-Hezbollah ont lancé des critiques acerbes contre l’ambassadeur Pierre Duquesne, chargé par le président Emmanuel Macron d’assurer le suivi de la conférence internationale de soutien à l’économie libanaise (CEDRE), tenue à Paris en avril dernier.
D’entrée de jeu, le ton est donné : il faut briser, ou tout au moins freiner, l’élan de départ de la nouvelle équipe ministérielle, sans pour autant la torpiller totalement. Affaiblir l’État central, le déstabiliser, l’empêcher de rétablir son autorité de manière efficace, sans toutefois provoquer sa chute. Maintenir un équilibre instable et fragile au niveau du pouvoir… Cette stratégie menée par le Hezbollah – et bien avant lui par le régime Assad – n’est pas nouvelle. Déjà en 2006, la guerre de juillet provoquée par le parti chiite avait manifestement pour objectif de briser la dynamique du projet du 14 Mars et d’empêcher, au sortir de l’occupation syrienne, l’émergence d’un État efficace emmené par le courant souverainiste, avec comme Premier ministre… Fouad Siniora.
Suivant le principe des vases communicants, tout pouvoir central qui rétablirait progressivement l’autorité de l’État affaiblirait d’autant la tête de pont du projet transnational orchestré à Téhéran. Quoi de mieux qu’une petite guerre pour freiner le « dangereux » élan souverainiste et renverser la vapeur ?
Le climat créé depuis quelques jours dès la naissance du cabinet par les pôles de « l’axe de l’obstruction » (traduction du terme el-moumanaah, si cher au Hezbollah) serait-il le signe avant-coureur d’un processus semblable (mais politique cette fois), toutes proportions gardées ? L’ancien député Nabil de Freige soulignait il y a quelques jours que l’actuelle campagne menée par le Hezbollah contre Fouad Siniora avait, in fine, pour but de torpiller les perspectives offertes par la conférence de Paris d’avril 2018, de la même façon que le parti chiite avait tenté d’entraver la concrétisation des conférences de Paris 1 et Paris 2 à l’époque des gouvernements de Rafic Hariri.
Durant les années 90 et jusqu’au début des années 2000, un modus vivendi s’était établi sur l’échiquier local : le camp pro-Assad prenait en charge les dossiers politiques et sécuritaires, et en contrepartie Rafic Hariri devait avoir les coudées franches au niveau de tout ce qui touchait au développement économique. Un package deal que les alliés de Damas, et à leur tête le Hezbollah, n’ont pas respecté outre mesure, suivant le même principe des vases communicants.
Au cours des derniers mois, lors des tractations pour la formation du gouvernement, et même avant les élections législatives, le leader du courant du Futur Saad Hariri a paru pencher pour une sorte de trêve politique sur la scène locale, si bien que dès la naissance du cabinet, et fort de cette souplesse, il a lancé comme slogan « Au travail ! », pour mettre en chantier l’ambitieux programme de redressement économique convenu au cours de la conférence de Paris. Une sorte de remake du gentleman agreement qui avait été conclu avec Rafic Hariri dans les années 90, diront certains observateurs. Sauf que les couacs successifs apparus en un court laps de temps au lendemain de la mise sur pied de l’équipe ministérielle sont autant d’indices révélateurs des véritables intentions de « l’axe de l’obstruction ».
Le Liban est ainsi plus que jamais confronté aujourd’hui à un paradoxe qui laisse perplexe : la nécessité de contrer la stratégie d’instauration d’une instabilité chronique, sans toutefois entraîner le pays sur la voie de… l’instabilité politique. La véritable quadrature du cercle. Mais comme toujours, le miracle libanais finira tôt ou tard par prendre le dessus, contre vents et marées.
commentaires (6)
Excellente analyse! Je suis moins optimiste que l’auteur car à trop tirer on rompt la corde, L’obstruction c’est mener une campagne sur la négation ; il n’y a rien de constructif . Quand on se contente de casser le peu d’espoir , ça ne génère rien de bon . Le calcul du Hezbollah est erroné , très dangereux et se retournera contre lui le moment venu .
L’azuréen
21 h 08, le 05 mars 2019