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Moyen Orient et Monde - Défense

Exportations d’armes à Riyad : les Européens face à leurs désaccords

L’embargo de Berlin sur les ventes d’équipement militaire à l’Arabie saoudite met ses partenaires, notamment français et britannique, en difficulté.


Le chef de la diplomatie britannique, Jeremy Hunt, et son homologue allemand, Heiko Maas, lors d’une conférence de presse mercredi à Berlin. John Macdougall/AFP

Mis sous pression depuis l’assassinat du journaliste saoudien Jamal Khashoggi le 2 octobre dernier, les Européens peinent à adopter une position commune sur la question des ventes d’armes à l’Arabie saoudite. À l’instar de la Finlande et du Danemark, l’Allemagne a décidé en octobre d’arrêter toute exportation d’armes à destination du royaume. Une mesure saluée par les organisations de défense des droits de l’homme qui ne cessent d’alerter sur l’utilisation d’armes occidentales au Yémen par la coalition menée par Riyad et Abou Dhabi, dont les forces appuient celles du président yéménite Abd Rabbo Mansour Hadi contre les rebelles houthis.

La décision de Berlin impacte toutefois l’ensemble de la chaîne européenne de production d’armes alors que Riyad représente un marché particulièrement lucratif en matière d’armement. Le budget du royaume wahhabite en matière de dépenses militaires s’élevait notamment à 210 milliards de riyals saoudiens, soit 56 milliards de dollars, en 2018. Selon l’Institut international de recherches sur la paix de Stockholm (Sipri), les principaux fournisseurs d’armement à l’Arabie saoudite entre 2013 et 2017 étaient les États-Unis (61 %) et le Royaume-Uni (23 %), suivis d’autres pays européens tels que la France (3,6 %), l’Espagne (2,4 %) ou l’Allemagne (1,8 %). Dans une lettre adressée au ministre fédéral allemand, Heiko Maas, le chef de la diplomatie britannique, Jeremy Hunt, s’est dit « très préoccupé par l’impact de la décision du gouvernement allemand sur l’industrie de la défense britannique et européenne et par les conséquences sur la capacité de l’Europe à respecter ses engagements vis-à-vis de l’OTAN », a rapporté le journal allemand Der Spiegel. Bien que la part des exportations allemandes vers Riyad soit moins importante que celle de Londres ou Paris, sa décision peut les affecter directement alors que « l’Allemagne produit de nombreuses pièces pour des armes qui sont ensuite assemblées dans d’autres États européens », précise Pieter Wezeman, chercheur au sein du programme sur les armes et les dépenses militaires du Sipri, interrogé par L’Orient-Le Jour. Si d’autres pays européens ont également imposé des restrictions sur leurs exportations vers l’Arabie saoudite, leur production est moins importante que celle de l’Allemagne « qui produit des composants-clés ; on pourrait presque dire qu’elle a le monopole sur certains d’entre eux », souligne le spécialiste.


(Lire aussi : Ventes d'armes à Riyad : Londres s'inquiète de la position allemande)


Pas d’alternative

Le groupe britannique BAE Systems se retrouve notamment dans une situation délicate pour la production de ses avions Eurofighter Typhoon, fabriqués par le consortium réunissant le Royaume-Uni, l’Italie, l’Espagne et l’Allemagne. Ayant livré 72 Eurofighter en 2017, BAE espère décrocher un contrat avec Riyad pour une commande de 48 avions de combat s’élevant à 11 milliards de dollars. Formé en 1986, le consortium « avait convenu que chacun des membres obtiendrait une part, mais aurait aussi la responsabilité de commercialiser (l’Eurofighter) à l’étranger, et le Royaume-Uni s’est vu confier sa commercialisation au Moyen-Orient », explique M. Wezeman. « L’accord stipulait également qu’une fois qu’une vente avait été organisée par l’un des partenaires, les autres continueraient à fournir les composants, de sorte qu’un pays puisse continuer à fournir ces avions », poursuit-il. Un mécanisme qui est aujourd’hui bloqué par l’embargo allemand sur les exportations d’armes vers l’Arabie saoudite alors qu’il « va être très difficile, voire impossible pour le Royaume-Uni, de trouver des composants alternatifs », observe-t-il.

MBDA, filiale d’Airbus, de BAE Systems et de l’italien Leonardo, se retrouve également touché par la décision de Berlin alors que les licences d’exportation de matériels allemands faisant partie du missile air-air longue portée Meteor, que l’Arabie saoudite veut intégrer à ses Eurofighter, sont bloquées. S’exprimant à Reuters sur la possibilité pour Berlin d’empêcher une vente d’armes comprenant des composants allemands, le patron d’Airbus a récemment déclaré à cet égard que « cela nous rend fous, depuis des années à Airbus, que la partie allemande se donne le droit de bloquer la vente, disons, d’un hélicoptère français alors que seule une pièce allemande minuscule est entrée dans sa fabrication ».


(Pour mémoire : Pas d'armes françaises "récemment" vendues à l'Arabie et utilisées au Yémen, assure Paris)


Moscou et Pékin

En visite à Berlin mercredi pour rencontrer son homologue allemand, M. Hunt a réitéré ses propos, mais s’est heurté à une fin de non-recevoir de la part de M. Maas au sujet de la levée des restrictions contre Riyad. Selon le chef de la diplomatie allemande, celle-ci « est dépendante de l’évolution du conflit au Yémen et de la mise en œuvre de ce qui a été convenu lors des négociations de paix à Stockholm ». Grande première depuis 2016, les représentants des rebelles houthis et du gouvernement yéménite se sont réunis en décembre dernier en Suède et se sont notamment mis d’accord pour un cessez-le-feu et le retrait des forces des deux parties de la ville portuaire stratégique de Hodeida, permettant l’établissement de couloirs humanitaires. Mais l’accord piétine depuis, alors que les violations de la trêve se multiplient et que chaque partie campe sur ses positions. Selon M. Hunt, « nous ne pensons pas que le fait de changer nos relations commerciales avec l’Arabie saoudite aidera » l’avancée des négociations sur le Yémen. « En fait, nous craignons que cela ait l’effet inverse – cela réduirait notre influence sur ce processus », a-t-il estimé.


(Pour mémoire : La France campe sur ses positions sur la vente d'armes à l'Arabie saoudite)


Face au blocage, M. Hunt a également estimé qu’il y avait un risque que Riyad décide de s’approvisionner en armement à Pékin ou Moscou. L’Arabie saoudite serait notamment en pourparlers avec la Russie pour l’achat de missiles S-400 depuis l’année dernière. Alors que la Chine et la Russie ont le Golfe dans leur ligne de mire pour des exportations d’armement, « l’Arabie saoudite a acquis toute son infrastructure et son système militaire aux États-Unis et en Europe au cours des dix dernières années », rappelle M. Wezeman. En plus des coûts de remplacement, Moscou et Pékin « ne fournissent pas la même qualité d’équipement, de services ou de formation », note-t-il avant d’ajouter que « bien qu’il existe une alternative, ce n’est pas quelque chose que Riyad souhaite vraiment ». Si les désaccords entre les partenaires européens ont été un peu plus exacerbés ces derniers mois, trouver un compromis reste possible alors que l’embargo allemand a été présenté comme temporaire. Toutefois, même si les parties trouvent une voie de sortie, « cela mettra beaucoup de pression sur des pays européens autres que l’Allemagne pour se demander si Berlin est un partenaire fiable dans les programmes de production militaire », estime M. Wezeman.


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commentaires (3)

L,HYPOCRISIE A SON COMBLE ! LES INTERETS PRIMENT SUR TOUTE AUTRE CONSIDERATION.

LA LIBRE EXPRESSION

13 h 49, le 22 février 2019

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Commentaires (3)

  • L,HYPOCRISIE A SON COMBLE ! LES INTERETS PRIMENT SUR TOUTE AUTRE CONSIDERATION.

    LA LIBRE EXPRESSION

    13 h 49, le 22 février 2019

  • Si c'est pas hypocrites toutes ces demarches européennes ! !!!! Pensez bien qu'ils le savent que leurs armes tuent et affament un peuple , les enfants les femmes les vieux sans défense etc... vous pensez qu'ils ignorent que le pays le plus rétrograde du monde en fait un usage inconsidéré, avec le consentement de leur master MIND pêcheur en eau trouble ? Et des libanais(es) viendront nous dire la main sur le coeur , qu'ils sont l'exemple à suivre . Au delà de ces armes occidentales meurtrières , ils ne perdent pas de vue que 60% du trafic mondial de pétrole passe par bab EL Mendeb . Alors que présent ces êtres humains dans la balance de leur " principe" hypocrite.

    FRIK-A-FRAK

    12 h 52, le 22 février 2019

  • hahahaha ! tant pis pour les purs humanistes scandinavo-germaniques, bravo et bienvenus les autres pragmatiques, nombreux a offrir ce "service" au diable et aux anges noirs.

    Gaby SIOUFI

    11 h 10, le 22 février 2019

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