Chloé et Chaïma, deux Françaises qui ont fui le groupe Etat islamique (EI) agonisant dans l'est syrien, parlent à un journaliste de l'AFP dans la province syrienne de Hassakeh, le 17 février 2019. Photo AFP / BULENT KILIC
Elles ont fui le groupe Etat islamique (EI) agonisant dans l'Est syrien, plus poussées par la faim que par les remords : Chloé et Chaïma, deux Françaises rencontrées par l'AFP, sont prêtes à rentrer au pays mais sans sacrifier leur islam rigoriste et pour y être jugées équitablement, pas comme "des animaux".
Derrière le grillage de l'immense camp de déplacés d'al-Hol dans la province de Hassaké (nord-est), les jeunes prisonnières, dont les noms ont été changés, sont drapées dans un long niqab ne laissant voir que leurs yeux et flanquées de trois petits enfants crasseux. Comme les quelque 500 autres étrangères qui y sont arrivées ces derniers mois, elles sont suivies de près par des membres des forces kurdes sur la plaine ocre et sèche: capturées dans les derniers villages tenus par l'EI le long de l'Euphrate, elles sont soupçonnées d'en avoir conservé l'idéologie radicale et violemment antioccidentale.
D'entrée de jeu, elles préviennent l'équipe de l'AFP qu'elles ne fourniront aucun détail permettant de les identifier, pour éviter de voir leur nom diffusé et leurs familles stigmatisées en France.
La plus volubile, Chloé, 29 ans et originaire de la région lyonnaise, tient à faire passer un message, son regard bleu vif planté dans celui de ses interlocuteurs: "On n'est pas des animaux. On est des êtres humains. On a un cœur, on a une âme, voilà".
Il y a une semaine, l'AFP l'avait déjà croisée à sa sortie du village de Baghouz, où l'EI est toujours retranché dans son dernier réduit.
Chacune sait qu'en France, le gouvernement hésite à rapatrier les femmes et enfants de jihadistes, un sujet sensible dans un pays encore profondément marqué par les attentats perpétrés à partir de 2015. Avec un regard encore plus suspicieux sur celles et ceux qui ont accompagné l'EI jusque dans ses derniers retranchements.
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"On n'était pas d'accord" avec les combattants de l'EI, affirme Chaïma, la trentaine, qui a pris la fuite il y a une quinzaine de jours avec son mari et ses enfants pour se rendre aux forces kurdes. "Mais on pouvait rien dire, on devait se taire", dit-elle, la voix teintée d'un léger accent du sud.
Chloé, à l'unisson: "Les combattants de l'EI nous faisaient peur, ils nous disaient +On va vous égorger, vous violer+". Elle dit s'être enfuie avec l'aide d'un passeur, pour 50 dollars (44 euros).
Après ces dernières semaines d'angoisse, encerclée par les Kurdes à éviter les bombardements et sans rien avoir à donner à manger à ses trois enfants, Chaïma dit vouloir rentrer en France, pour sa famille notamment. Chloé également, mais à une condition: qu'elle puisse y "vivre (son) islam en toute liberté, et près de (ses) enfants".
La voix soudain plus lasse, elle raconte avoir perdu il y a un an et demi deux filles de deux ans et demi et six ans dans un bombardement. Mais aucun esprit de vengeance, assure-t-elle, considérant que ses souffrances extrêmes l'en empêchent : "On m'a tué des enfants, c'est pas demain que j'irai tuer quelqu'un".
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Quelle part de vérité accorder aux récits des deux Françaises? Ils fourmillent de détails invérifiables sur leurs parcours, leurs mariages, leur vie décrite comme pacifique avec leurs maris employés dans le civil, un classique chez les prisonnières de l'EI.
Un récit hétéroclite, où elles expriment à la fois leur déception vis-à-vis de l'EI, d'abord vu comme idéal pour "vivre son islam librement", mais qui a fini par "exécuter beaucoup de personnes pour rien, sans preuve, même des musulmans", selon Chloé.
Mais où elles se gardent aussi de condamner en bloc les attentats de 2015 à Paris. "Les gens qui ont fait ça ont voulu se venger" des bombardements de la France en Syrie, explique la même. Elles se disent aujourd'hui guidées par deux choses: l'attachement persistant à un islam rigoriste et la protection de leurs enfants. Et elles redoutent déjà ce qui est prévu pour les enfants de jihadistes une fois rentrés en France, qui seront séparés de leurs parents car ceux-ci seront arrêtés pour leur appartenance à l'EI. "Ils vont nous arracher nos enfants, les mettre dans des foyers ou familles d'accueil, ils vont être séparés les uns des autres et vont grandir (de façon) contraire à l'éducation qu'on veut leur donner", s'inquiète Chloé. "Et il y a beaucoup de choses en France qui sont contraires à notre religion, par exemple l'homosexualité, c'est interdit dans la religion".
Elles espèrent également, en cas de retour en France, écoper d'une peine assez légère. "J'espère qu'on sera jugés équitablement, au cas par cas, pas pour tout ce que le groupe a fait", dit Chloé.
Chaïma voudrait "une peine de prison pas trop longue, aménageable", qui lui permette de "profiter de (ses) enfants" car "c'est eux qui me restent", son mari ayant lui aussi été arrêté.
Sans doute un vœu pieux : l'an dernier, une Française jugée à Paris pour avoir séjourné au printemps 2015 avec trois de ses enfants en Syrie, où elle avait épousé un membre de l'EI, avait écopé de sept ans de prison.
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commentaires (10)
Au risque de me faire traiter de tous les noms par les autres commentateurs, je pense qu'il est du devoir et de l'obligation des pays occidentaux de les reprendre, quitte à les emprisonnées. Porter la nationalité d'un pays donne un droit inaliénable au citoyen de rentrer chez lui, sans visa, sans autorisation de quiconque (pour les double-nationaux c'est différent).
Shou fi
00 h 28, le 20 février 2019