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Culture - EXPOSITION

Georges Doche et Fadi Barrage : peinture, amitié et dolce vita beyrouthine

Un flash-back vers le Beyrouth d’avant-guerre à travers cette exposition liant les œuvres de deux artistes disparus aux cimaises de la nouvelle galerie « The Alternative-Artspace ».

Fadi Barrage, sans titre, aquarelle et encre sur papier.

De leur vivant, Georges Doche (1940-2018) et Fadi Barrage (1940-1988) étaient amis. Et ils possédaient en commun, à parts égales, la passion dévorante de la peinture. Mais ils sont diamétralement opposés dans leurs parcours respectifs. Avec toutefois un point qui les unit : ils étaient les pionniers, différemment, de techniques picturales inédites à Beyrouth.

Autant Georges Doche était porté aux images exubérantes et colorées, à un exotisme fantasque, à une certaine façon décorative ou mondaine, un urbanisme particulier en conte de fées moderne (sans oublier qu’il fut aussi un électron libre de la mode en créant des bijoux originaux), autant Fadi Barrage était adepte des traits scrupuleusement tracés (une sorte de rage de crayonner à la Assadour) pour creuser espace et volume avec des représentations, entre abstraction allusive et réalisme brumeux, du plus captivant dénuement. En dehors de tout compromis de séduction accrocheur, favorisant surtout la solitude et l’isolement. Comme pour un dire essentiel, une sorte de silence assourdissant, sans fioritures aucunes, si ce n’est la force intrinsèque du croquis, du dessin dont il fut un représentant.

Le premier a vécu jusqu’à l’âge de 73 ans et le second est mort jeune, à 48 ans, des suites d’une maladie. Aujourd’hui, en retrouvant dans les cartons de succession de Georges Doche des toiles de Fadi Barrage – que le peintre était heureux d’avoir réunies – The Alternative Artspace propose en un hommage posthume et une révélation de leur amitié cette exposition. Même si, avec 30 œuvres, là encore à nombre presque égal pour les deux peintres, l’ensemble paraît un peu injuste par rapport à l’étendue et l’importance des registres de leurs pinceaux et palettes.

L’espace d’exposition, un beau sous-sol vaste et clair avec petite cour coiffée d’une vigne, servi par un escalier au cœur d’une ruelle populaire et populeuse d’Achrafieh, entre la bretelle menant de l’église Saydé à la rue Saint-Louis, s’ouvre sur les collages, aquarelles, gouache, mixed médias et « brush air » de Georges Doche, aux dimensions variant entre 103x73 cm et 19x39 cm.

Les œuvres représentent un monde échappé aux rêves doux, faussement cotonneux et presque enfantin, composé de villes à l’architecture secrète et arrondie ; de portraits de rois mythiques et imaginaires, à la fois gentils et terrifiants, couverts d’oripeaux extravagants, venus d’Abyssinie ou d’antiques tribus latines inconnues ; de fleurs charnues, vénéneuses, sensuelles ; et de paysages improbables aux contours soyeux et caressants.


(Lire aussi : Les expos de la semaine à Beyrouth)


Inclassable et reconnaissable
L’œuvre de Fadi Barrage, dont l’inspiration est en rupture avec l’aspect épicurien et esthétisant de Georges Doche, fait surgir un univers plus nuancé, plus sec, moins enjolivé, plus en profondeur avec une matière qui échappe à tout ce qui est salonnard.

En aquarelle, gouache, huile, encre, aquarelle, techniques mixtes, un boulon, une racine, une algue, un pan de visage, une cavité, une obscure aspérité ou le regard d’un ourson prennent une dimension, un éclairage, une lumière et un relief insoupçonnés, inattendus. Ces toiles aux thèmes variés sont presque un panel résumé du parcours de l’artiste, sans être pourtant le meilleur de ce qu’il a peint ou dessiné.

Avec une dominante de tonalité ocre, des couleurs estompées avec un imperceptible rougeoiement pour les perspectives et profondeurs, des clair-obscur qui ont des résonances et des ampleurs saisissantes, se déploie une inspiration inclassable et reconnaissable d’emblée, comme arborant le sceau d’un signe distinctif.

Barrage, artiste discret et talentueux, nourri de grec et loin de tout tapage sociétal, a vu son atelier à Bab Idriss détruit et pillé. Ses toiles avaient été retrouvées accrochées sur une corde à linge. Heureux celui ou celle qui les a récupérées car il y a là la marque et le trésor d’un talent exceptionnel. Qui se souvient encore de cette superbe mégatoile, digne de l’abstraction d’Etel Adnan, mais en lignes tortueuses et tourmentées avec un éclatant fond bordeaux d’où s’échappent un lacis et un écheveau de traits grisâtres, suspendue dans son atelier au haut d’un escalier d’une ancienne demeure aux pierres branlantes ? Une œuvre sans doute perdue, lacérée, dévorée par le monstrueux brasier de la guerre…

On retient aussi ici l’encre de cette image où les deux amis se regardent comme pour entamer une discussion, juger d’un événement ou évaluer une situation. Image délibérément brouillée dans un dédale de tracés tout en finesse, au geste nerveux, insistant, libératoire. Comme un cri qui résonne aux oreilles.

Fadi Barrage, pour la plupart de ses toiles, même terminées, n’apposait pas sa signature. Il le faisait chez ses clients. Comme un ultime geste d’authenticité. Et de communication. Mais même sans sa signature, son travail, superbe et différent, est parfaitement reconnaissable…

Une exposition particulière qui laisse le spectateur un peu sur sa faim et donne envie de voir plus en profondeur les œuvres de deux artistes, coqueluches des amateurs et collectionneurs d’un art alors naissant, qui ont fait couler beaucoup d’encre et marqué la peinture d’avant-guerre.


The Alternative Artspace « (Platform 39)

« En dialogue » présente les œuvres de Georges Doche et Fadi Barrage jusqu’au 20 mars 2019.

À la rue Mgr Ghophraël, secteur Fassouh, à Achrafieh.


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