Elle aime sa vie. Ça se voit. Ça s’entend. Depuis toute jeune, elle refuse de se laisser couper les ailes par le principe de réalité. Mais prendre le risque de les brûler, flirter avec le danger, filer vers une existence digne de la fiction, voilà ce que Carole Abboud sait faire. Toujours en rébellion intérieure, mais jamais enfant rebelle, simplement retranchée dans sa bulle, elle n’hésite pas à la crever de temps en temps pour s’échapper. À l’âge de 11 ans, elle quitte une salle de classe après une remarque déplacée de la maîtresse et prend calmement le chemin de la maison, sans aucune explication ou confrontation. Carole Abboud est l’aînée d’une fratrie de cinq. « J’étais cet enfant porteur d’un espoir plus grand par rapport aux autres. Celui qui allait construire la famille, pour qui on va faire les premiers biberons, assister aux premiers pas et faire tout ce qu’on fait avec un enfant et qu’on n’a jamais pu réaliser jusqu’à présent. C’est une place à part dans l’imaginaire des parents. Et j’ai vécu, dit-elle, leur apprentissage comme une pression. Plus tard quand le moment viendra de faire un choix professionnel, il a fallu me battre, avoir recours aux mensonges et aux subterfuges pour arriver à mes fins. »
Une allégorie de la liberté
Actrice accomplie, elle avoue pourtant : « Je n’ai jamais fait le clown en classe, ni des imitations de professeurs, ni des sketches avec une ribambelle de cousins les soirs de Noël, ni des performances théâtrales en fin d’année scolaire. Mais je regardais les films égyptiens avec de grands yeux admiratifs, j’aimais le cinéma et le théâtre s’est toujours présenté à moi comme une évidence, en filigrane, comme une petite voix intérieure qui me chuchotait ma voie. Aujourd’hui, je refuse de céder à la dictature Netflix et trouve toujours un moment pour me plonger dans l’obscurité d’une salle. » Quand son père apprend qu’elle est acceptée à l’Université libanaise, il lui impose une licence en économie comme un plan B. Elle s’exécute le temps de calmer les esprits, jongle avec les horaires de deux établissements universitaires, court d’une région à une autre, se convainc que l’économie est une matière indispensable dans l’existence. Pour finalement se souvenir (un an et un mois plus tard) qu’à 11 ans, elle avait déserté une salle de classe, alors raison de plus… 10 ans plus tard. C’est ainsi qu’elle abandonnera définitivement une classe de statistiques, et toute une licence avec, pour se concentrer sur le théâtre, au grand dam de son père. Après une licence en interprétation et mise en scène à l’Université libanaise, elle rejoint le monde du petit écran où elle se produit dans des téléfilms libanais et réalise des doublages. C’est en 1994 que sa carrière débute avec Laila Assaf Tangroth dans Frihetsligen et Histoire d’un retour de Jean-Claude Codsi. Depuis, elle ne cessera d’enchaîner les rôles sur scène, sous la direction de Hassan ben Jaddi, Nabil al-Azan, Suleiman al-Bassam ou Jawad al-Assadi, collabore au cinéma avec les réalisateurs Ghassan Salhab, Mahmoud Hojeij et Joe Bou Eid. En 2002, après le succès de Terra Incognita de Ghassan Salhab (sélection officielle, Cannes 2002 – Un certain regard), elle part pour Paris et s’y installe jusqu’en 2006, obtenant une maîtrise en arts du spectacle de l’université Paris 8. Son retour au pays coïncide avec l’ouverture du théâtre Babel dont elle prendra la charge pour s’occuper de production, de concerts musicaux ou de pièces de théâtre. Elle vit cet espace comme étant le sien jusqu’en 2011, année où elle fonde sa propre société de production « c.cam production ».
L’amour comme moteur
Pour son retour sur les planches, Jacques Maroun lui propose un rôle tiré d’une pièce écrite par un auteur américain, John-
Patrick Shanley, Danny and the Deep Blue Sea, dans une traduction vers l’arabe de Arzé Khodor. Carole Abboud retrouve ses anciennes amours. « J’affectionne particulièrement le théâtre américain, j’avais d’ailleurs choisi celui de Tennessee Williams pour mon sujet de diplôme. Au divertissement, je préfère les rôles sérieux, ceux qui forcent la réflexion et la recherche de soi. Le personnage féminin de la pièce ne me ressemble pas du tout, mais le rôle est plein et tellement riche. » C’est la rencontre entre Dany et Roberta, tous deux blessés et saouls de malheur, l’histoire de deux marginaux qui se rencontrent pour mieux se déchirer. Privés de tout, ces deux êtres en déroute s’épaulent avec une tendresse désespérée... Une bouleversante histoire d’amour au sens très large. Et qui s’inscrit dans l’universalité tant ce couple ressemble à tant d’autres. De Jacques Maroun qui la dirige, elle dira : « C’est un metteur en scène qui travaille énormément sur les comédiens et sur la préparation d’un rôle. Être dirigé par lui est un vrai plaisir, c’est être toujours en alerte, avoir les sens constamment en éveil, un peu comme si on était à l’université toujours prêts à aller plus loin. »
« Et puis, conclut-elle avec un petit air enjoué, l’amour est toujours présent dans ma vie. Sous la forme d’une présence, d’une idée ou d’un souvenir, il est mon moteur. De lui vient la souffrance et le plaisir, deux notions indissociables, qui sont l’essence même de la vie et du théâtre. »
Juillet 1997
Le jour où j’ai perdu mon père.
Mai 2002
« Terra Incognita » de Ghassan Salhab (et nous aussi pour la première fois) dans « Un certain regard » à Cannes.
Octobre 2006
Je termine (enfin) mon master à l’université Paris 8.
Février 2007
Je joue « Richard III » au Royal Shakespeare Company, à Stratford Upon Avon.
Septembre 2007
Ouverture du théâtre Babel.
Juin 2011
J’ouvre ma boîte, « c.cam production ».
Février 2019
Je monte sur scène après quatre ans d’arrêt avec Jacques Maroun dans « Danny and the Deep Blue Sea » de John-Patrick Shanley.
*Black Box Beyrouth
Avenue Charles Malek, Achrafieh.
« El Wa7ech » de Jacques Maroun. Avec Carole Abboud et Dory al-Samarani. À partir du 14 février 2019.
Billets chez Antoine Ticketing.
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