Le présentateur vedette de la chaîne télévisée al-Jadeed, Neshan Der Haroutiounian. Photo tirée du compte Facebook du présentateur
Les libertés individuelles et d’expression ont remporté une franche victoire hier, avec la décision de la juge des référés de Beyrouth, Marie-Christine Eid, de rejeter le recours présenté la veille, mardi 29 janvier 2019, par une poignée d’avocats visant à interdire la diffusion de l’émission Ana Heyk (« je suis ainsi ») qui donne la parole à des lesbiennes. Une émission du présentateur vedette, Neshan Der Haroutiounian, sur la chaîne télévisée al-Jadeed, et qui, selon les avocats Mohammad Ziad Jaafil, Michel Fallah, Lina Sahmarani, Mohammad Assad Safsouf et l’avocat stagiaire Omar Chbaro, « fait la promotion des cas sociaux déviants et les met en lumière comme s’il s’agissait d’exemples à suivre pour la jeune génération. Ce qui va à l’encontre des lois en vigueur et plus particulièrement du code pénal, et sape les valeurs morales de la société libanaise ».
Des arguments qu’a défaits la juge Eid après avoir donné quatre heures à la chaîne télévisée pour répondre aux arguments des avocats. Elle a estimé que les plaignants n’avaient pas qualité pour présenter un recours et qu’ils n’avaient aucun intérêt personnel direct dans l’affaire, autrement dit qu’ils n’étaient pas directement lésés pour justifier une procédure temporaire accélérée de la justice. La juge des référés a également estimé que la requête présentée par les cinq avocats constitue une violation des dispositions de la Constitution, car elle est considérée comme une censure préalable.
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Propos haineux
Neshan, le présentateur télé vedette d’al-Jadeed, a donc présenté son émission hier soir, comme tous les mercredis, malgré les nombreuses menaces qu’il continue de recevoir et les pressions exercées par les milieux fondamentalistes, et notamment par la Jamaa islamiya, pour en empêcher la diffusion et interdire toute promotion. Les réseaux sociaux, eux, se sont emparés de l’affaire, faisant le buzz, jusqu’à véhiculer des propos particulièrement haineux envers la chaîne télévisée et son présentateur. « Je suis satisfait de la décision de la justice. J’estime que nous avons remporté la bataille de la liberté d’expression », affirme à L’Orient-Le Jour Neshan Der Haroutiounian, qui se défend de faire du sensationnalisme et de porter atteinte aux valeurs morales. « On m’accuse d’encourager la débauche. Or je ne fais que refléter la réalité de la société libanaise. Le lesbianisme en est une facette, au même titre que l’homosexualité masculine ou autre », dit-il, dénonçant une société patriarcale qui « pratique la politique de l’autruche en refusant à la femme de choisir sa sexualité ». Il révèle toutefois qu’il était « déterminé à diffuser l’émission » au cas où la justice n’aurait pas abondé en son sens, quitte à payer lui-même l’amende de 15 millions de LL. « Si l’émission avait été interdite, cela aurait été un précédent et aurait encouragé les extrémistes à faire interdire d’autres émissions », explique-t-il. Mesure qu’il estime impensable. Mais en même temps, le présentateur rappelle qu’il appartient lui aussi à une famille soucieuse du respect des valeurs morales de la société. « Je suis conscient de mes responsabilités familiales et sociales », conclut-il.
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L’intelligence de la juge des référés
Commentant l’affaire pour L’OLJ, Bertho Makso, directeur de l’association Proud Lebanon qui milite pour les droits de la communauté LGBT, fait certes part du soutien de l’association au présentateur Neshan. Mais il ne manque pas d’émettre des réserves envers son émission « Ana Heyk », qui met en vedette des cas extrêmes, pour évoquer des causes taboues. « Je comprends qu’il est difficile de trouver des homosexuels qui s’expriment à visage découvert. Mais ces cas mis en lumière ne donnent pas une image positive de la communauté LGBT du Liban », observe-t-il. Le responsable regrette aussi « l’usage par Neshan de termes péjoratifs, lorsqu’il pose des questions à ses invités, comme lors de l’émission sur les transgenres ». « Il est impératif que le présentateur travaille sur des termes positifs. Il a montré qu’il est capable d’excellence », insiste-t-il. Au-delà de cette critique qu’il veut constructive, M. Makso rappelle « le caractère sacré de la liberté d’expression ». Il salue enfin « l’intelligence de la juge Marie-Christine Eid », qui a réussi, « tout en restant neutre, et sans prendre position en faveur de la communauté homosexuelle, à mettre des limites aux avancées des fondamentalistes sur la question ».
Également contactée par L’OLJ, Layal Behnam, directrice de projets au sein de la fondation Maharat pour la liberté d’expression, tient d’abord à saluer le jugement émis par la juge Eid. « Nous sommes contre la censure préalable et pour la liberté d’expression, martèle-t-elle. Et si jamais certains jugent qu’un programme télévisé n’est pas conforme à l’éthique, c’est au Conseil national de l’audiovisuel d’émettre des garde-fous. » « Car, insiste-t-elle, la diffusion d’un programme sur l’homosexualité féminine n’est pas liée à la criminalité, ni même au code pénal. » Mme Behnam dénonce dans ce sens « les propos haineux véhiculés sur les réseaux sociaux par des parties conservatrices ». « Il s’agit d’une véritable campagne de haine, menée par un prédicateur », regrette-t-elle, dénonçant parallèlement « une recrudescence des atteintes aux libertés individuelles ». L’affaire semble loin d’être terminée, la Jamaa islamiya invitant hier la justice et le Conseil national de l’audiovisuel à réagir.
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commentaires (8)
Tout a fait d'accord sur le principe de la liberté individuelle ou sexuelle de tout un chacun. Dieu nous a crée libre et nous a donné la possibilité de décider si nous voulons opter pour une vie principalement dirigée vers le bien ou vers le mal. L’homosexualité n'est pas un bien et surement pas normale. En tant que Chrétien et croyant, je reconnais et respecte la liberté des gens qui sont, comme certains disent, "différents". Pour moi ils ne le sont pas. Ils sont identiques a chacun de nous mais ont choisit un mode de vie incompatible avec les préceptes de Dieu et donc pas normal. Le crime, le viol, les vols, etc... existent aussi depuis la nuit des temps et ce n'est pas pour cela qu'on peut se permettre de les légaliser sous prétexte que nous sommes en 2019! Je suis désolé si je ne puis faire pas du politiquement correcte mais la normal des choses est l'hétérosexualité et rien d'autre! Ceci dit, pour les défenseurs des mouvements LGBT, etc..., ne leurs en déplaisent, essayer de montrer une fausse image sur l’homosexualité est en fait déformer la vérité et la réalité en essayant de justifier l'injustifiable avec des arguments qui ne tiennent pas la route. Etre homosexuel est un choix individuel, faux pour moi, mais qui ne donne aucunes excuses a ceux qui n'aime pas ce mode de vie choisi, d’être violent ou méchant. C'est un cas de société qu'il faut avoir le courage d'aborder sans haine ni rancune, mais avec beaucoup d'amour. C'est ce dont ils ont besoin pour s'en sortir.
Pierre Hadjigeorgiou
14 h 00, le 31 janvier 2019