Alors que dans d’autres pays, l’homosexualité est légalement reconnue et le mariage entre personnes de même sexe autorisé par la loi, les relations homosexuelles restent interdites et sanctionnées par la législation libanaise, constituant toujours une question taboue, notamment auprès des différentes communautés religieuses.
Une soirée que devait organiser hier le club Genre et Sexualité de l’Université américaine de Beyrouth (AUB), au bar Madame Om à Mar Mikhaël, a ainsi été annulée in extremis suite aux pressions exercées par des milieux religieux sunnites, qui ont accusé les organisateurs de corruption, affirmant qu’ils représentent un danger pour la morale, la société et la religion, sans toutefois à aucun moment mentionner expressément les homosexuels ou l’homosexualité.
C’est l’ancien mufti de la République Mohammad Rachid Kabbani qui est d’abord monté au créneau, appelant le président de la République, Michel Aoun, le chef du Parlement, Nabih Berry, et le Premier ministre désigné, Saad Hariri, ainsi que la direction de l’AUB, à interdire la soirée organisée, selon lui, par « le club de sexe au sein de l’Université américaine de Beyrouth » et les exhortant à « appréhender les organisateurs de cette soirée et sanctionner le responsable au sein du ministère de l’Intérieur qui a donné son autorisation ». « Le thème de l’événement est scandaleux, il jette la honte sur le Liban et les Libanais, et présage une destruction divine du pays », a ajouté l’ancien mufti.
Une heure plus tard, Dar el-Fatwa, qui a tenu à rester dans un registre d’ordre général, évitant de parler de la soirée en question, a affirmé dans un communiqué vouloir « faire face à quiconque enfreint les valeurs morales et les préceptes des religions monothéistes qui préservent la société libanaise de toute corruption et toute décadence morale que répandent des corrupteurs auprès des jeunes dans les universités et les établissements éducatifs ». « Partant, Dar el-Fatwa appelle les responsables concernés à préserver la société de toute faille ou déviance qui serait de nature à perdre les jeunes et les mener à transgresser valeurs et principes », conclut le texte.
De son côté, la Ligue islamique sunnite a publié un communiqué dans lequel elle affirme que « la liberté du genre est le point de départ de la corruption au sein de la société (…), qu’il faut interdire sous toutes ses formes (…), comme par exemple l’invitation d’un club universitaire à un rendez-vous pornographique ». La Ligue a dit « rejeter toute sorte de normalisation pratiquée par des individus ou des associations via l’organisation d’événements politiques sportifs, musicaux ou culturels », indiquant « avoir demandé au mufti de la République, Abdellatif Deriane, d’assumer ses responsabilités » devant Dieu et les hommes « en prenant position » contre la normalisation, et en faveur de la protection de la morale et de l’identité religieuse, dénominateurs communs de toutes les confessions religieuses au Liban ».
En soirée, le club Genre et Sexualité de l’AUB a publié un communiqué dans lequel il a indiqué qu’ « une soirée mêlant musique et speed-dating (rencontres express) sur le thème de Halloween devait avoir lieu » hier, soulignant que « ceux qui ont présenté notre groupe comme étant » le club de sexe de l’AUB » ne connaissent ni l’esprit de ce club, ni ses activités, ni même son nom », et déplorant que le club » ait été accusé de promouvoir l’immoralité, alors que son objectif principal est de fournir une plate-forme sûre à une communauté marginalisée à cause de son autonomie corporelle et l’expression de son identité sexuelle ». Évoquant l’événement, le communiqué précise qu’ « il n’avait aucune implication sexuelle de quelque nature qu’elle soit » et indique que le club Genre et Sexualité « a décidé de l’annuler parce que la sécurité des participants n’aurait pas été garantie ».
Le texte indique en outre que « la communauté LGBTQ et la société religieuse n’ont pas vocation à s’exclure l’une de l’autre, notant également qu’ « au-delà de la défense de la liberté sexuelle, le club œuvre à faire respecter les libertés d’expression et les droits fondamentaux », avant de conclure qu’ « il continuera à mener des batailles pour faire triompher la justice ».
(Pour mémoire : Un pas important vers la fin de l’homophobie franchi au Liban)
« Ce n’est pas un club de sexe »
Joint par L’Orient-Le Jour, Georges Azzi, directeur de l’association Arab Foundation for Equality (AFE), affirme que « le club universitaire dont ont parlé l’ancien mufti Kabbani et la Ligue islamique sunnite n’est pas un club de sexe, mais un club fondé par des étudiants qui veulent sensibiliser leurs camarades contre les comportements homophobes en organisant des conférences et d’autres événements autour du genre et de la sexualité ». « Beaucoup d’autres sujets y sont traités, notamment le droit de la femme, les libertés individuelles et la santé sexuelle », explicite-t-il. « Quant au soi-disant rendez-vous pornographique ou à l’orgie comme ils l’appellent, il s’agissait d’une soirée Halloween, gay friendly, ouverte à tous, y compris à la communauté gay », souligne M. Azzi, qui s’étonne du « regain de pression exercée récemment, alors que cette communauté avait auparavant plus de visibilité ». Le directeur de l’AFE attribue cette attitude au Conseil des ulémas musulmans, lequel, a-t-il indiqué, « a fait interrompre en septembre dernier une conférence régionale à l’hôtel Le Crillon (Broummana), qui s’est finalement poursuivie le lendemain dans un autre hôtel ». Pour M. Azzi, « ces pratiques se multiplient pour distraire l’opinion publique des autres problèmes que les gens endurent ». Il appelle dans ce cadre « tous ceux qui croient dans les libertés individuelles à s’unir pour réclamer leurs droits ».
Contacté aussi par L’OLJ, Tarek Zeidane, directeur de l’association Hilm (qui se consacre aux droits des LGBT), rappelle que « l’une des libertés individuelles consacrées par la Constitution est la liberté de rassemblement », et indique à cet égard que « se réunir dans un endroit public pour faire connaissance fait partie de cette liberté ». Pour ce qui est de la liberté sexuelle, M. Zeidane indique que de plus en plus les juges ne condamnent plus les personnes homosexuelles, affirmant que « cinq décisions judiciaires prononcées entre 2009 et juillet 2018 ont refusé de qualifier les relations homosexuelles comme étant des conjonctions charnelles contre nature qu’incrimine l’article 534 du code pénal ».
À noter qu’un groupuscule se présentant sous le nom de l’Union de la jeunesse nationale a vivement critiqué l’AUB, qu’il a accusée d’ « autoriser la création sur son campus d’un club destiné à favoriser la rencontre de personnes qui pratiquent des relations contre nature », estimant que l’université « exécute des plans occidentaux et américains pour saper la société, et propager une culture contre nature et contraire à nos croyances et à nos concepts nationaux ».
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13 h 37, le 31 octobre 2018