« On avait sûrement calomnié Joseph K., car, sans avoir rien fait de mal, il fut arrêté un matin. » C’est dans des circonstances tout aussi kafkaïennes que celles narrées dans Le Procès que, le 7 août 2015, Danielle H. et Rana Z. ont été interpellées par des agents de la police des mœurs et placées en garde à vue. Après avoir été amenées à révéler le détail de leur vie affective et sexuelle, ces deux transsexuelles ont été traduites devant le juge correctionnel du Metn. Le ministère public leur reprochait d’avoir commis le délit sanctionné à l’article 534 du code pénal – qui dispose que « toute conjonction charnelle contre l’ordre de la nature sera punie de l’emprisonnement jusqu’à une année » – pour avoir déclaré qu’elles entretenaient des relations avec des personnes de même sexe biologique.
Le 26 janvier 2017, le juge correctionnel décide d’annuler les poursuites initiées sur ce fondement en considérant que les relations affectives et sexuelles entre personnes de même sexe biologique relèvent de l’exercice de la liberté individuelle et que devait être appliqué l’article 183 qui dispose qu’« il n’y a pas d’infraction lorsque le fait a été commis dans l’exercice non abusif d’un droit ». Il se fondait en outre sur les « droits naturels, inhérents, indissociables de la personne » qui « ne peuvent être acquis ni perdus à cause des croyances ou de la manière de vivre même si cette (dernière) est rejetée par la majorité de la société ». En reconnaissant la liberté sexuelle comme un droit naturel, il mobilisait ainsi la nature dans un sens opposé à l’emploi de ce concept par les nombreuses juridictions ayant pénalisé les relations sexuelles entre personnes de même sexe (et notamment la cour criminelle de Beyrouth, le 7 juin 2016 ou le juge correctionnel de Damour, le 30 juin 2017).
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Interprétation novatrice
C’est dans ce contexte que le parquet interjette appel devant la cour d’appel du Mont-Liban qui, par son arrêt du 12 juillet dernier (rendu à la majorité), confirme la décision du juge correctionnel en adoptant toutefois un raisonnement différent. Alors que plusieurs juridictions – dont les juges correctionnels de Batroun (décision du 2/12/2009) et du Metn (décisions du 28/01/14 et du 5/05/16) – avaient déjà considéré que l’article 534 n’est pas applicable aux relations sexuelles entre personnes de même sexe biologique, la cour d’appel innove sur le plan méthodologique en dégageant deux règles d’interprétation du texte pénal. D’abord, le juge ne doit pas se limiter au sens littéral du texte mais se fonder sur son « esprit » en recherchant le but initialement visé par le législateur. Ensuite, et conformément aux théories d’interprétation sociologique du droit selon lesquelles « les juges sont les garants de la justice sociale » (Pierre Brunet), l’interprétation doit toujours être adaptée à l’évolution de la société afin de parvenir à une application « raisonnable » et « juste » des textes.
À partir de ces deux règles d’interprétation, la cour d’appel se penche sur l’emplacement de l’article 534, situé à la deuxième section du deuxième chapitre du titre 7 consacrée aux « outrages à la pudeur publique et aux bonnes mœurs ». Cet indice permet de découvrir l’intention du législateur qui n’est pas orientée vers la pénalisation de la « déviation sexuelle », selon la cour d’appel, mais vers la protection de ces dernières. C’est à cette occasion que la cour détermine le contenu de la notion de « bonnes mœurs » par rapport au contexte social dans lequel elle est appelée à se prononcer, en affirmant qu’au regard de l’évolution de la société, « la conjonction charnelle en dehors du cadre de ce qui est traditionnellement entendu comme une relation sexuelle naturelle entre un homme et une femme n’est contraire à la pudeur publique et aux bonnes mœurs que lorsqu’elle a lieu dans un endroit public ou de manière à être vue ou entendue par une personne étrangère à l’action ou lorsqu’elle implique une personne mineure ».
Elle ajoute que « la relation entre un homme et une personne transsexuelle doit être assimilée à la relation entre un homme et une femme » prenant ainsi en compte l’identité de genre déterminée à travers le sexe psychologique et social ainsi que l’apparence acquise par l’effet d’un traitement hormonal et chirurgical – confirmant une décision similaire rendue en janvier 2014 par le juge correctionnel du Metn.
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Risque encore présent
Par cet arrêt, la cour d’appel du Mont-Liban reconnaît ainsi, pour la première fois à ce niveau juridictionnel, l’existence au sein de la société de plusieurs formes de sexualité qui se détachent du modèle hétérosexuel. Une lecture au demeurant confirmée aussi bien par plusieurs associations médicales libanaises ayant rappelé que l’homosexualité n’est pas une maladie à traiter que par les études anthropologiques – dont celle de Sofian Merabet (Queer Beirut, University of Texas Press, 2015) – démontrant l’existence d’un espace queer au Liban.
Cette décision constitue certainement une avancée dans la mesure où elle pose un principe selon lequel les rapports consentis entre adultes ne sont pas pénalisés, à partir du moment où ils se nouent dans l’espace privé. Même si elle ne s’impose pas aux autres magistrats qui demeurent libres d’adopter une interprétation divergente, l’adhésion d’une cour d’appel aux décisions de dépénalisation traduit une prise de conscience de plus en plus accrue par les juridictions libanaises des enjeux sociaux qui sous-tendent l’interprétation de l’article 534.
Les personnes LGBT au Liban restent toutefois susceptibles de poursuites pénales sur le fondement de l’article 534. Elles sont encore victimes d’actes de chantage initiés par des tiers qui les menacent de dévoiler leur orientation sexuelle aux membres de leur famille ou aux autorités publiques, de harcèlement moral et de violence physique dans la rue, d’intrusion dans leur vie privée à l’occasion de fouilles de données sur leurs téléphones mobiles. De telles pratiques attentatoires à la personne ne s’affaibliront qu’avec la multiplication des décisions judiciaires allant dans le sens de la dépénalisation des relations entre personnes de même sexe.
Youmna Makhlouf est avocate au barreau de Beyrouth, enseignante à la faculté de droit de l’Université Saint-Joseph et membre de l’association Legal Agenda.
Pour mémoire
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Et c’est là que Joseph s’est rendu compte qu’il venait de faire son coming out à l’État...
Le Liban vit encore au 16em siècle Mais changer cette loi ne rapporte rien aux politiciens en argent sonnant et trebuchant pourquoi s'y attarde alors? Faites donc une grande quette aupres de tous y inclus les pays etrangers et offrait la a nos politiciens et cette loi sera change en 24 heures triste mais tellement vrai apres les scandales des dechets, de l'electricite ou de toute adjudication au Liban A voir seuleemnt comment on se tire dessus pour un portefeuille juteux ministerial meme si le pays reste des mois sans gouvernement, on comprendra que malheureusement le message est tres clair et si reel DEMONTREZ NOUS LE CONTRAIRE MESSIEURS LES POLITICIENS ET NOUS RETIRONS TOUT CE QUE NOUS AVONS DIT ET PENSONS SINCEREMENT
12 h 13, le 12 août 2018