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Liban - Disparition

La dernière page de May Menassa...

Sans crier gare, une rupture d’anévrisme foudroyante a emporté May Menassa à 80 ans pile, plume en main. Écrire était la grande affaire de sa vie. Un parcours de plus d’un demi-siècle où la page noircie de son encre a mêlé journalisme au quotidien, critique culturelle et inspiration de romancière. Un flash-back sur une dame diligente qui avait juré d’aimer sans compter la vie dans tous ses états, jusqu’au bout.

Photo an-Nahar

Journaliste, critique et romancière, May Menassa a commencé par être l’un des plus beaux sourires de la télévision libanaise en 1959, quand elle entama une carrière de speakerine et animatrice de talk-show (Nissaa el-yom) dédié au militantisme féminin à peine enclenché à cette époque-là. Formée intellectuellement par une licence de littérature française, elle shifte pourtant vers la langue arabe qu’elle peaufine sur le tas au cours de sa prolifique et longue carrière vouée passionnément à l’écriture. En 1969, elle intègre l’équipe culturelle d’an-Nahar et signe des articles évoquant aussi bien l’art plastique que la littérature et le théâtre. BCBG, d’une élégance impeccable, toute menue, les cheveux coupés court, elle se frayait en tout temps (elle n’a jamais craint ni le bruit des canons, ni les rafales des mitraillettes, ni les remous sociaux) un chemin dans les concerts et les salles d’exposition de peinture, ou un siège avant que le rideau de scène ne se lève. Son activité intense, touchant parfois à une insatiable frénésie pour une jeune femme qu’on va croiser dans tous les événements culturels de la ville, aussi bien que dans de nombreux voyages à l’étranger, avait tout de l’allure d’une stakhanoviste de la plume.

Pour la sœur de Vénus Khoury-Ghata, la cousine de Latifé Moultaka et de Zad Moultaka, les sentiers du journalisme étaient de toute évidence insuffisants. La voilà qui se lance dans l’écriture en langue française de livres pour enfants avec Le jardin de Sarah, une fable enchantée à l’encre bleue pour sa petite-fille qui lui a permis de cultiver ses dons de conteuse de grand-mère heureuse et comblée. Et puis, en rangeant un jour des stylos et des crayons sur sa table de travail, mais aussi des cahiers d’écolier, qu’elle a remplis d’abord de sa propre calligraphie, pour laisser cavaler ensuite ses doigts sur le clavier de l’ordinateur, naîtront plus de sept romans en langue arabe où elle joue de la fiction, du lyrisme, des confidences. La littérature arabe lui ouvrait les bras, elle s’y engouffre éperdument.

Tout d’abord un règlement de comptes familial avec Sous les branches du grenadier, où l’écrivaine dévoile, dans un lyrisme presque victorien, les secrets de famille jalousement gardés. Un livre émouvant sorti en même temps que celui de sa sœur Vénus Khoury-Ghata à Paris, Une maison au bord des larmes, qui parle lui aussi des liens familiaux tourmentés, pour évoquer un père despote et un frère fragilisé par la maladie. Un exercice d’exorcisme et une atmosphère tendue comme chez les sœurs Brontë, à travers deux langues aux confluents qui se rejoignaient.

Écrire, encore et toujours

Et de ce point de départ, un peu explosif, comme libérée du poids du passé, mais sans renier toutefois son travail de journaliste, May Menassa aborde divers sujets qui vont du drame et de la force de la foi (elle était fervente croyante) à celui des coulisses du théâtre libanais, en passant par les séquelles de la guerre, la misère et la souffrance humaine. Rarement l’humour ou la légèreté affleureront dans ses narrations, quoique ses articles de presse étaient souriants, qualifiés souvent de roses (à l’opposé de la férocité de Nazih Khater qui officiait dans la même page qu’elle au journal), et tendaient à positiver toujours un état culturel national discutable. Ainsi se succéderont des titres tels Fragments d’un journal de prisonnier, Sablier, Marcher dans la poussière et Quand l’aube déchire sa chemise. Dans la foulée de ses écrits, l’un de ses romans frôle la reconnaissance et sera sélectionné dans la liste des ouvrages à retenir pour le Arabic Book Award.Entre-temps, la journaliste s’occupait aussi de mode féminine et sa plume se prêtait à commenter haute couture et prêt-à-porter. Depuis 1986, elle a été à la tête du magazine Jamalouki, qui donnait la voix aux apprêts de beauté de la femme aussi bien au Liban que dans les pays arabes.

Elle était toujours pressée et empressée, May Menassa, avec un sourire qui lui prêtait une constante gentillesse, comme pour s’excuser de l’air qu’elle respirait. Affable, prête à bondir sur tout ce qui était culture, elle avait une grande dévotion pour son rôle culturel qu’elle plaçait au haut d’une liste d’obligations civiques qui font, hélas, cruellement défaut dans ce pays. Dynamique, d’une farouche indépendance, elle menait de front toutes ses activités sans jamais douter d’une mission dans laquelle s’était investie jusqu’au sacrifice, mais avec plaisir et délectation : écrire, encore et toujours.

On regrettera à jamais son premier sourire sur petit écran, ses petits pas dans les allées des festivals, ses papiers serrés sous les bras, et le stylo tortillé entre ses doigts. Paix à son âme.

Journaliste, critique et romancière, May Menassa a commencé par être l’un des plus beaux sourires de la télévision libanaise en 1959, quand elle entama une carrière de speakerine et animatrice de talk-show (Nissaa el-yom) dédié au militantisme féminin à peine enclenché à cette époque-là. Formée intellectuellement par une licence de littérature française, elle shifte pourtant...

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