Bien qu’irréaliste à ce stade, la question de la présence de la Syrie au prochain sommet économique de la Ligue arabe, prévu le 20 janvier à Beyrouth, continue d’alimenter les clivages entre les responsables politiques enlisés dans une surenchère infructueuse autour de ce sujet.
Après le Hezbollah qui avait estimé, jeudi dernier, pertinent d’inviter la Syrie à ce sommet, arguant du « climat positif arabe en faveur d’un retour de la Syrie sur la scène diplomatique », c’est au tour du président du Parlement, Nabih Berry, de considérer que le sommet arabe ne « peut pas avoir lieu sans la Syrie », des propos rapportés par le député sunnite prosyrien Abdel-Rahim Mrad, qui s’exprimait hier à l’issue d’une réunion avec le chef du législatif à Aïn el-Tiné.
Le député Amal Ali Bazzi, a, lui, fait savoir que le président de la Chambre « s’est prononcé en faveur d’un report du sommet arabe à Beyrouth, afin que celui-ci ne soit pas faible en l’absence d’un gouvernement ». Une position reprise par M. Berry lui-même lors de sa rencontre avec les députés de son groupe.
Ce second argument vient contredire la position du président de la République Michel Aoun, qui avait indiqué, il y a quelques jours, que le sommet peut parfaitement avoir lieu sous l’égide d’un gouvernement chargé d’expédier les affaires courantes, d’autant que le Liban n’en est que l’administrateur et l’hôte et non l’organisateur qui est la Ligue arabe. C’est d’ailleurs cette dernière qui décide quels pays inviter – en l’occurrence les vingt-deux membres actifs de cette instance – et si la Syrie devra ou non réintégrer ses rangs. Une éventualité qui reste pour l’heure lointaine, comme en témoignent plusieurs diplomates informés, qui croient savoir que le climat régional n’a pas encore assez mûri pour pouvoir aborder un tel sujet.
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« Surenchère »
Ce n’est pas la question de l’absence du gouvernement qui serait toutefois le véritable motif derrière la requête de report formulée par M. Berry. Pour de nombreux observateurs, les propos de ce dernier, et avant lui ceux du Hezbollah, doivent être placés dans le cadre d’une « surenchère qui ne mènera à rien de concret ».
M. Bazzi a d’ailleurs fait valoir l’argument selon lequel la décision de suspendre la Syrie de la Ligue arabe, prise en 2011, est « nulle et non avenue », puisqu’elle n’a pas été prise à l’unanimité des membres de la Ligue comme le prévoit la procédure appliquée au sein de cette instance. À l’époque, le Liban, l’Algérie et l’Irak s’était opposés à cette décision, qui a toutefois été avalisée par les autres pays membres.
« Cette campagne médiatique en faveur de la Syrie finira par se retourner contre le Liban et lui porter tort, en sapant en amont les chances de succès du sommet », avertit une source informée.
Si les propos du chef du législatif sur son souhait de voir Damas réhabilité dans le cercle arabe ne sont pas nouveaux, son appel au report du sommet l’est. Tout en étant conscient du fait que la tenue de ce sommet est irréversible, M. Berry a exprimé un vœu qui s’inscrit à contre-courant de la volonté du chef de l’État qui mise sur le succès de cet événement. « M. Berry a, comme d’habitude, saisi l’air du temps et voudrait être le chef d’orchestre de tout processus en cours plutôt qu’un suiveur », commente Karim Bitar, en allusion aux efforts récemment entrepris dans certaines capitales arabes en direction de l’assainissement des relations avec Damas.
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L’application de la résolution 2254
Tout en admettant que la normalisation des relations entre la Syrie et quelques pays arabes a effectivement débuté, par le biais notamment de la réouverture de l’ambassade des Émirats arabes unis à Damas, il n’en reste pas moins que le processus en est encore à ses débuts et loin de se concrétiser par la récupération par Damas de son siège au sein de la Ligue. « Ce n’est pas un détail passager et futile après tout ce qui s’est passé en Syrie. Les éléments d’une entente autour de cette question ne sont pas encore réunis. La Syrie ne sera pas blanchie par un coup de baguette magique », commente un diplomate ayant requis l’anonymat.
Pour l’ancien député Farès Souhaid, la décision politique de réhabilitation de Bachar el-Assad n’est pas exclusivement arabe mais dépend dans une large mesure de la position des États-Unis, « qui restent à ce jour neutres sur cette question, sachant que l’administration américaine continue de soutenir l’idée d’une étape transitoire dans le règlement de la crise syrienne », dit-il en référence au communiqué de Genève du 30 juin 2012, qui prévoit une « transition politique conduite et prise en main par les Syriens et visant à mettre fin au conflit ».
Mardi, le ministre égyptien des Affaires étrangères Sameh Choukri avait également affirmé que le gouvernement syrien devrait prendre un certain nombre de mesures en vue d’un règlement politique de la crise que connaît son pays, qui sont nécessaires pour que Damas puisse reprendre sa place de membre au sein de la Ligue arabe. Rappelant qu’une telle décision est du seul ressort du conseil de la Ligue et doit être approuvée par le sommet, M. Choukri avait clairement souligné que « pour le moment, il n’y a pas de changement » autour de cette question. Il avait ajouté que les mesures politiques que doit prendre Damas sont nécessaires « conformément à la résolution 2254 du Conseil de sécurité des Nations unies », adoptée fin 2015 après l’approbation d’une feuille de route pour un processus de paix en Syrie.
Une position qui met un terme à la confusion faite depuis quelque temps entre les timides tentatives de normalisation des relations entre la Syrie et certaines capitales de la région, et son retour en bonne et due forme au sein de la famille arabe, qui ne se concrétisera pas tant que le régime de Bachar el-Assad n’aura pas montré patte blanche, notamment en se désengageant progressivement de son partenaire iranien.
Selon un diplomate arabe, le climat général est certes à sa réintégration à moyen terme, mais pas sans conditions. « Il faudra également y mettre le scénario propice de sorte à montrer que tout le monde y gagnera au final. La mise en scène est toujours aussi importante que le fait en lui-même », dit-il.
C’est également ce que pense Karim Bitar, qui considère que le fait de ménager les formes sur un dossier aussi délicat est important, d’autant que l’attitude à adopter par rapport à la Syrie « est la dernière ligne de faille qui continue de diviser les Libanais ». Selon lui, ce dossier sera simplifié une fois que l’Arabie saoudite aura ouvertement déclaré la reprise des relations avec Damas. Ce qui n’est pas encore acquis.
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commentaires (10)
Vraiment on ne sait plus qui dirige ou qui a le droit de diriger ce pays . Triste .
Antoine Sabbagha
22 h 41, le 10 janvier 2019