Dans le monde arabe, le processus de réhabilitation du régime Assad a débuté. C’est en tout cas ce que laisse entrevoir la récente vague de dégel des relations entre Damas et plusieurs pays arabes. Les Émirats arabes unis y ont rouvert leur ambassade le 23 décembre, et l’Arabie saoudite devrait faire de même. Après une éviction de la Ligue arabe en 2011, en condamnation de la répression par le régime du soulèvement populaire, et des années d’affrontements indirects via un soutien accru à certains groupes rebelles, la question de la réintégration de la Syrie fait aujourd’hui l’objet de négociations.
Les victoires de Damas sur l’insurrection, grâce à la double intervention russo-iranienne, ont changé la donne et contraint les différents acteurs à revoir leurs stratégies respectives à la baisse. Les Arabes sont désormais au fait qu’ils ont perdu la guerre qu’ils menaient. Pas celle qui visait à promouvoir l’émergence d’un régime démocratique en Syrie, cela n’a jamais été leur combat, mais plutôt celle qui les opposait à la fois entre eux et aux Iraniens. Au nom de la realpolitik, les Arabes semblent prêts à entamer un processus de normalisation avec un régime pourtant accusé de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité. Cette démarche en dit long sur l’état de la démocratie et de la défense des droits de l’homme dans la région, alors que les régimes hyper-autoritaires ont de nouveau le vent en poupe, 8 ans après le début des printemps arabes. Aux côtés du président égyptien Abdel Fatah al-Sissi, des hommes forts d’Arabie saoudite et des Émirats arabes unis, Mohammad ben Salmane et Mohammad ben Zayed, le dictateur de Damas ne détonne plus tellement. « Les dirigeants du monde arabe n’apprécient peut-être pas beaucoup Assad, mais ce n’est pas comme s’ils avaient un problème avec lui en tant que despote ou quelqu’un qui liquide ses adversaires. Ils le font aussi, et la plupart d’entre eux seraient tout aussi brutaux en situation de guerre civile », remarque Aron Lund, expert du think tank The Century Foundation, contacté par L’Orient-Le Jour.
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Influence iranienne
L’axe Riyad-Abou Dhabi-Le Caire a trois grands ennemis, bien qu’à des degrés divers : les Iraniens, les Frères musulmans et leur sponsor qatari, et les démocrates. Le régime de Damas, en tant que tel, n’est donc pas directement visé. Le début du retour de la Syrie dans le concert des nations arabes s’inscrit dans cette dynamique profondément antirévolutionnaire qui envoie un double message aux populations de la région : toute tentative d’insurrection contre le pouvoir en place sera réprimée par la force et personne n’y pourra rien.
Peu importe finalement que le régime Assad reste au pouvoir, le problème étant bien plus la question de l’influence iranienne. En mars dernier, le prince héritier Mohammad ben Salmane avait reconnu, dans une interview au magazine américain Time, que le président syrien restera probablement au pouvoir, tout en espérant que ce dernier ne deviendra pas une « marionnette » aux mains de Téhéran. Anwar Gargash, ministre d’État aux Affaires étrangères des Émirats, a justifié la réouverture de l’ambassade émiratie à Damas sur son compte Twitter par le fait que « face à l’expansionnisme régional de l’Iran et de la Turquie, il y a un rôle arabe à jouer en Syrie qui est devenu encore plus nécessaire ». Dès le début du conflit, les motivations de l’Arabie saoudite et des Émirats à s’impliquer de manière directe dans le conflit syrien ont été diverses. Riyad et ses alliés bahreïni et émirati ont accueilli les révolutions arabes avec beaucoup d’inquiétude, mais ont ensuite misé sur le fait que la chute du régime Assad serait un coup dur pour Téhéran, qui perdrait alors son seul allié dans la région. « Il y a eu cette idée que le fruit était mûr et que le régime Assad pouvait tomber facilement », estime Karim Bitar, directeur de recherche à l’IRIS et professeur à la faculté de droit et des sciences politiques de l’USJ, contacté par L’Orient-Le Jour.
Les puissances du Golfe vont donc apporter leur soutien à l’opposition syrienne, non par souci démocratique mais pour des questions d’ordres géopolitique et stratégique. « L’Arabie saoudite a eu à l’époque des considérations différentes, notamment une réticence fondamentale vis-à-vis des printemps arabes et un engagement antiqatari et anti-Frères musulmans », analyse Thomas Pierret, chargé de recherche au CNRS (Paris) et à l’Iremam (Aix-en-Provence), interrogé par L’Orient-Le Jour. Riyad voulait empêcher son petit voisin de gagner de l’influence dans ce pays et dans le même temps contrecarrer les plans de l’axe syro-iranien en lui substituant un régime sunnite allié. Pour ce faire, l’Arabie a soutenu financièrement des groupes rebelles, plutôt de tendance salafiste, participant ainsi, mais dans une moindre mesure que le Qatar et la Turquie, à la radicalisation et la communautarisation de l’insurrection syrienne.
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La « Syrie de Poutine »
Les Émirats, de leur côté, ont soutenu la rébellion mais ont peu à peu adopté une politique moins agressive vis-à-vis de Damas. « Les EAU ont continué à accueillir des figures du régime syrien, qui venaient y mettre à l’abri leurs avoirs financiers. Un homme d’affaires syrien m’a confié qu’il a dû quitter les émirats en 2013 car il soutenait un groupe rebelle, l’argent syrien présent dans les comptes en banque à Dubaï étant essentiellement des fonds pro-régime », explique Thomas Pierret. « Les EAU n’ont jamais affiché un soutien sincère au projet de renverser Assad », ajoute-t-il. Un calcul aurait, selon lui, alors été fait au moment où la rébellion avait des chances de l’emporter, qu’il était nécessaire de promouvoir des groupes rebelles inféodés à l’axe émirati-saoudien plutôt qu’à l’axe turco-qatari. Riyad a pour sa part dû faire face ensuite à deux crises majeures : la guerre au Yémen suite à son intervention dès mars 2015 contre les rebelles houthis appuyés par l’Iran, puis la mise au ban du Qatar en juin 2017.
L’intervention russe en novembre 2015 a changé la donne et amorcé le retour en force du régime. Mais elle a peu à peu été perçue d’un bon œil par ces régimes arabes, qui entretiennent de bonnes relations avec Moscou, et qui comptent désormais sur la Russie pour endiguer l’expansion iranienne. « Les pays arabes sunnites du Golfe vont justifier le rapprochement avec Assad en disant que le régime syrien est aujourd’hui devenu tellement dépendant de la Russie, qu’ils ne sont pas véritablement en train de rétablir leurs relations avec la Syrie d’Assad, mais plutôt qu’ils sont en train de construire une nouvelle phase avec la Syrie de Poutine », conclut Karim Bitar.
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commentaires (5)
Et dans tous ça on oublie le rôle d'Israël! Les premiers à vouloir sauvegarder la dynastie Assad. Cette dynastie qui décennie après décennie leur a neutralisé Aun coût minime une Syrie si prometteuse au sein des pays arabes. Un régime qui a réduit, en même temps, au moins deux pays arabes à grand potentiel en lambeaux! La Syrie elle-même et le Liban. Qui continue a offrir à Israël de s'imposer parmi les pays arabes non pas comme vainqueur...mais comme faiseur de paix... entretemps on se réjouit des victoires du régime made in Russia...et on s'évertue à oublier souvent de mentionner l'ntervention russe pour préserver la gloire du régime... On vit une mascarade, c'est sûr, mais ayons au moins la dignité de le reconnaître et l'intelligence de le comprendre...
Wlek Sanferlou
03 h 42, le 09 janvier 2019