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Moyen Orient et Monde - France

« Nous sommes le 8 décembre, je n’ai déjà plus rien » : paroles de Gilets jaunes

Les gilets jaunes ont manifesté toute la journée de samedi à Paris. À « L’Orient-Le Jour », ils ont expliqué les raisons de leur colère, tout en développant leur vision du monde, souvent imprégnée de thèses complotistes.

Sur la place de la République, les gilets jaunes manifestent le samedi 8 décembre. Stéphane Mahe/Reuters

Depuis les fenêtres d’un appartement situé juste au-dessus du restaurant Le Fouquet’s, un vieux couple s’avance pour observer la scène. Aussitôt repéré par un manifestant, les doigts d’honneur fusent, aux cris de « rends la tune » et « de quoi t’as peur ? ». Les deux riverains restent impassibles. Leur vitre est légèrement teintée, et toutes les issues des magasins chics au rez-de-chaussée ont été calfeutrées. Les manifestants qui s’évertuent en insultes échouent à provoquer une réaction de la part du couple, qui d’en haut les fixe, immobile et attentif. Un tir de flash-ball interrompt toute tentative d’engager une espèce de dialogue avec les deux observateurs. Résidant a priori dans l’un des quartiers les plus chers de Paris, ils ont l’espace d’un instant personnifié la catégorie des puissants.

Ils étaient environ 8 000 gilets jaunes à manifester samedi dernier à Paris, selon le secrétaire d’État à l’Intérieur Pierre Nunez. Sur les Champs-Élysées, les statistiques officielles sont copieusement moquées par les manifestants, qui accusent le pouvoir de sous-estimer leur nombre pour dissuader les attentistes. L’avenue a été délimitée par deux barrages de police, l’un devant l’arc de triomphe et l’autre au niveau du Grand Palais, la majorité des rues perpendiculaires étant également condamnées par les forces de l’ordre qui effectuent des fouilles serrées à l’entrée. « Parqués » sur un rectangle d’un peu moins de 2 kilomètres de longueur, les rangs sont néanmoins suffisamment clairsemés pour que les mouvements de foule s’enchaînent rapidement au rythme des fausses alertes et des tirs réguliers de flash-ball. Béatrice exhibe le bleu proéminent qui s’est formé sur son mollet suite à un impact lors des manifestations du week-end précédent. Elle pose coquettement avec une rose jaune. « Il y a pas grand-chose à faire. Tu mets de l’arnica et tu chantes merci Macron ! Merci Macron ! » entonne-t-elle. « J’ai été fleuriste pendant 10 ans. Si je devais vivre seule sans mon mari, je ne m’en sortirais pas. Heureusement que je n’ai pas d’enfants. » Son mari poursuit : « J’ai longtemps été membre du PCF (Parti communiste français), en parallèle j’étais syndiqué à la CGT (Confédération générale du travail). » Il enlace sa femme avec un bras. « La dernière fois, on a fait les meetings de Sarkozy. Puis au premier et second tours on a voté Marine Le Pen. »

(Lire aussi : "Gilets jaunes" : Macron s'exprime lundi soir pour tenter de sortir de la crise)


Les taxes et le drapeau
La plupart des manifestants interrogés par L’Orient-Le Jour ont parcouru plus de 100 kilomètres pour venir crier leur colère sur Paris (23 sur 27 personnes). De nombreux drapeaux régionaux ont fait intrusion sur l’artère vertébrale de la capitale. Ouvrier viticole, Arsène a fait le voyage depuis Bordeaux pour la première fois depuis le début de la mobilisation. Il semble exaspéré par les questions. « C’est simple. Nous sommes le 8 décembre, je n’ai déjà plus rien. » Il ne reviendra pas demain. « Bah non, je dois travailler », rappelle-t-il en enfilant son gilet fluorescent. Agriculteur en Charente, Stéphane confirme qu’il gagnerait mieux sa vie s’il abandonnait son exploitation et se mettait au chômage. « Je gagne 600 euros par mois. Je m’en sors en déjeunant chez mes parents de temps en temps. On nous demande de passer au gazole blanc. Au total ça fait 40 % de plus sur ma facture. Moi je veux bien, mais dans ce cas qu’on ne me demande pas de payer plus de taxes que la moyenne des autres pays européens. »

Quelques minutes auparavant, il échangeait des impressions avec Michel, un retraité du Val-d’Oise, qui a revêtu le bleu horizon, les guêtres et le casque réglementaire de la dernière génération d’uniforme qui habillait le soldat français durant la guerre de 1914-1918. « Je suis venu comme ça, car chaque Français a un poilu dans sa famille. Pour moi, c’est tout un symbole. La semaine dernière, les gilets jaunes ont protégé la flamme du soldat inconnu contre la racaille. » À l’instar de plusieurs autres manifestants interrogés, il affirme ne pas rencontrer de difficulté économique particulière. Il dit venir par solidarité avec les jeunes générations. À peine a-t-il le temps de s’expliquer qu’un passant intervient pour lui enjoindre de ne pas oublier les vieux. Une nuée de pavés et de bouteilles de verre en direction des forces de l’ordre déclenche aussitôt une vapeur de gaz lacrymogène, et la foule reprend son mouvement de balancier en direction opposée à l’arc de triomphe. À sa tête un jeune marque le pas, son prénom est emporté dans l’éclat d’un tir de flash-ball. Il a confectionné un drapeau français avec trois pièces de tissu bleu, blanc et rouge, nouées grossièrement entre elles. « Je n’avais pas de drapeau français chez moi, alors je l’ai fabriqué avec les moyens du bord. Cela rappelle ceux des grandes guerres de l’époque, ils fabriquaient des drapeaux avec ce qu’ils trouvaient pour célébrer les valeurs qu’ils chérissaient. »


(Lire aussi : Gilets jaunes : le récit d'un samedi sous tension en images)



« L’État nous pisse dessus »
Des manifestants expulsent bruyamment de leurs nez la substance piquante déclenchée par l’inhalation des gaz lacrymogènes. Trois jeunes grommellent le nom de Kadhafi. Quentin, Louis et Sacha ont tous les trois la vingtaine. « Je disais que quand Kadhafi gaze son peuple, BFM nous dit : Faut aller le renverser. Et là aujourd’hui, curieusement, on les voit plus ! »

BFM TV, une chaîne française d’information en continu, est devenue l’anathème des manifestants. Elle est accusée de véhiculer le point de vue du gouvernement d’Emmanuel Macron, lui-même inféodé à un « système » qui le précède et lui survivra : la « finance internationale », « les Rothschild », « l’ONU », « l’Europe », « les élites mondialistes », « les francs-maçons » sont autant d’éléments du système énoncés par les manifestants. « Médias : larbin du système », peut-on lire, griffonné au marqueur noir sur le dos d’un gilet jaune, « L’État nous pisse dessus, les médias disent qu’il pleut » sur un autre. L’un des trois garçons affirme qu’il préfère les « médias suisses » aux médias français, et surtout « Russia Today », un site d’information piloté par le Kremlin qui propose « un point de vue alternatif sur l’actualité ». « Mais c’est bien ça la grande réussite du système, s’insurge l’un d’eux. Nous faire croire que BFM TV est moins partial que RT. » « En France, vous avez ce qu’on appelle la France périphérique, reprend un de ses deux acolytes. Il y a les banlieues qui attirent l’attention des politiciens pour les raisons que l’on sait. » Il fait un signe du menton en direction des immeubles haussmanniens qui bordent l’avenue. « Et puis vous avez les bourgeois là autour. Regardez-les, ils sont terrorisés. Les gens ici veulent des mesures populistes. Il faut revaloriser ce terme de populiste. »


(Lire aussi : De Paris à Nice ou Marseille, paroles de "gilets jaunes" en colère)


« Macron n’est qu’un pion »
Le vote Front national (aujourd’hui Rassemblement national) était récurrent parmi les manifestants interrogés. Beaucoup ne se sont pas prononcés, sceptiques à l’égard de la presse, « qui déformera forcément (leurs) propos ». Une part importante déclare ne pas avoir voté aux dernières élections et désire que soit pris en compte le vote blanc. Les pourcentages varient d’une bouche à l’autre, mais dans l’ensemble, beaucoup estiment qu’Emmanuel Macron a été élu au mieux par 30 % du corps électoral, la plupart des estimations tombant en deçà des 20 %. François et Clément sont père et fils, du Havre. Le premier explique à sa façon l’exception française, ou l’élection, à contre-courant du « raz-de-marée populiste », d’Emmanuel Macron il y a un an et demi. « Des milices et certains groupes bien préparés ont fait élire Macron. Je pense en particulier à Bilderberg. C’est un groupe d’argentiers et de financiers mondiaux qui fait et défait les rois. Ce sont les five eyes, regardez sur internet, vous trouverez. » François marche pour l’ex-candidat de l’Union populaire républicaine (UPR), François Asselineau. Personnalité mineure sur le spectre politique, ce dernier est surtout connu pour la tonalité complotiste de ses déclarations. « Je ne regarde pas les médias français qui sont liés à Bilderberg et Israël. RT est le média que je suis le plus, ainsi que les médias syriens, iraniens et russes de façon générale », indique François.

D’un revers de la main, Loïc, venu de Normandie, balaye la question. « Macron, ce n’est qu’un pion, c’est Bruxelles qui nous dirige. » En guise de sortie de crise, plusieurs manifestants ont formulé le souhait d’organiser un référendum d’initiative populaire « à la suisse », d’établir une VIe République, voire d’en finir avec la République, une proposition venant d’éléments royalistes minoritaires, sympathisant de l’Action française (AF), un mouvement qui souhaite installer l’héritier du duc d’Orléans sur le trône de France. De tous bords politiques, ils dénoncent les impostures de la démocratie et de l’État souverain. Ils se sentent étrangers à la classe politique qui les dirige et aux médias qui les refléteraient servilement, au point d’accorder parfois plus de confiance aux organes de propagande de gouvernements qui ne sont pas dans les meilleurs termes avec la France.


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Depuis les fenêtres d’un appartement situé juste au-dessus du restaurant Le Fouquet’s, un vieux couple s’avance pour observer la scène. Aussitôt repéré par un manifestant, les doigts d’honneur fusent, aux cris de « rends la tune » et « de quoi t’as peur ? ». Les deux riverains restent impassibles. Leur vitre est légèrement teintée, et toutes les issues...

commentaires (2)

Si je ne l'avais pas entendu de mes propres oreilles de la part des gilets jaunes français et bien français , je ne l'aurai jamais cru . Cela m'a rappelé l'Afrique quand mes employés venait faire un prêt ou avance sur salaire 10 jours après avoir touché leur salaire . Les stats parlent de 10 millions de pauvres qui vivent avec 800 euros / mois ( seuil de pauvreté ) , le loyer d'un 30m2 à Paris c'est pas moins de 1040 euros . L' argent n'a pas de patrie , les financiers n'ont pas de patriotisme et n'ont pas de décence; leur unique objet est le gain . Napoléon Bonaparte 1769-1821 .

FRIK-A-FRAK

12 h 55, le 10 décembre 2018

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Commentaires (2)

  • Si je ne l'avais pas entendu de mes propres oreilles de la part des gilets jaunes français et bien français , je ne l'aurai jamais cru . Cela m'a rappelé l'Afrique quand mes employés venait faire un prêt ou avance sur salaire 10 jours après avoir touché leur salaire . Les stats parlent de 10 millions de pauvres qui vivent avec 800 euros / mois ( seuil de pauvreté ) , le loyer d'un 30m2 à Paris c'est pas moins de 1040 euros . L' argent n'a pas de patrie , les financiers n'ont pas de patriotisme et n'ont pas de décence; leur unique objet est le gain . Napoléon Bonaparte 1769-1821 .

    FRIK-A-FRAK

    12 h 55, le 10 décembre 2018

  • S'il y a bien un peuple qui devrait manifester c'est bien les Libanais! Ce qui est considéré comme étant de la résilience de la part de mes concitoyens, moi je trouve que c'est souvent de la résignation et surtout de la servilité. Un député est censé légiférer pour le bien de tous les citoyens et non pas pistonner ses électeurs pour obtenir plus de voix aux prochaines élections! Au Liban on sait que c'est chacun pour soi (chou we2feh 3layyeh?) mais il est grand temps de changer les mentalités.

    Tina Chamoun

    11 h 14, le 10 décembre 2018

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